Manoir Klee:

Le manoir était grand, et beau. Dans une certaine mesure il lui faisait penser à la demeure de son père, quoiqu’en beaucoup plus magnifique – tout ici inspirait la richesse des occupants, et le jeune homme resta quelques secondes pensif face à cet édifice. Il était probable que les propriétaires possédaient une fortune considérable, tout à fait le genre de gens que John visitait habituellement ; enfin, seulement s’ils avaient pourri la ville auparavant. Et le filet nauséabond qui se dégageait de ce lieu forçait son intuition à se dire que cambrioler cette maison ne lui causerait pas de soucis moraux particuliers.

Et pourtant, il n’allait rien voler. Pas même un bijou, pas même ne serait-ce qu’une cuillère. Lui-même étonné par la situation, il était ici pour travailler. Vraiment, pas une sorte de réunion de malfaiteurs où il serait payé pour s’associer à eux ou autre mauvais plan du genre, il était là vraiment dans l’unique but d’effectuer un travail… normal.


C’était parti sur un coup de fil inattendu, un collègue que John avait rencontré sur le paquebot Nightray. En fait, même s’il avait cherché à être discret, il y avait toujours ce type qui voulait être ami avec tout le monde, et pour être tranquille le Nephil avait consenti à lui laisser son numéro de téléphone. Un petit sacrifice pour une grande tranquillité, et finalement la personne en question avait été plus utile. Enfin, utile… Il avait essayé de nombreuses fois de refiler des bons plans foireux à John qui l’avait envoyé gentiment balader, et puis finalement il avait eu une bonne idée. Comme quoi, rien n’est désespéré…

Le boulot était simple : le jardinier d’un manoir était tombé malade, et il fallait le remplacer quelques jours pendant sa convalescence. Pas de vérification ultra poussée du passé, repas compris dans le salaire. Et comme la seule expérience de John dans le monde du travail était une soirée en tant qu’homme à tout faire, il devait être en mesure de tailler des haies pendant à peine une semaine ; enfin, même si sur le paquebot c’était une combine pour obtenir des informations… Quoique ça n’ait pas abouti.

Il avait eu pas beaucoup de temps entre l’embauche et le début du travail – à vrai dire, à peine une demi-journée, et il avait passé ce maigre laps de temps à se renseigner sur les bases du métier. Il avait quelques souvenirs des jardiniers de son enfance : quand il n’était pas sur la colline, John passait son temps libre à observer jardinier et personnel d’extérieurs à l’œuvre. Il détestait être chez lui, donc toute excuse était agréable pour s’attarder en-dehors.


John était donc maintenant face au portail du manoir … prêt à effectuer sa mince journée de travail – le lendemain sera plus intense. Il finit par franchir le vantail, allant droit vers la porte principale. Son accueil fut rapide, et à peine quelques minutes s’étaient écoulées depuis ses pensées du départ qu’il s’était retrouvé, en tenue et des outils en mains, face aux haies décharnées du jardin. On lui avait fait un topo de son boulot, c’est-à-dire finir ce que la jardinier avait commencé, une taille des plantes du jardin pour leur assurer une belle poussée au printemps. Heureusement pour lui, la saison n’était pas aux tailles abracadabrantesques, et on ne lui avait pas ordonné de construire des statues en herbes ou autres demandes insensées.
Alors, le jeune homme se mit à son office, relativement à sa portée ; et même si ce n’allait pas être au niveau du détenteur habituel du poste, on ne devrait pas lui reprocher de gros manques d’habileté. Un bon début pour John, qui décidément s’en sortait mieux dans ses affaires depuis peu.

Regarder le plan, tailler la haie. Baisser le ciseau, comparer avec le schéma, puis recommencer. John avait pris le pli, l’acte commençait à devenir mécanique. Et pendant qu’il répétait ses coupes inlassablement, il se perdait dans ses pensées…
Fichu Leeroy. Il y a même pas trois mois, j’aurai préféré mourir que d’être à la botte de riches, et voilà que je suis leur jardinier. Haa, y a pas à dire, ce fichu étudiant m’a bien changé. Et le chat a dû jouer là-dedans aussi… Merde, je crois que je commence à me faire à cette vie. Robin des bois, ma parole ouais !
Trop plongé dans ces quelques réflexions, le jeune homme dévia un peu trop son outil est cassa l’uniformité de son travail. Il fallait recommencer une partie, il se mordit les lèvres de rage ; il n’était pas encore assidu au travail, il allait devoir devenir plus efficace. Avant qu’il ne puisse plus se morfondre sur le travail qui l’attendait, une cloche tinta.

John releva la tête. C’était le zénith. Il s’arrêta quelques instants, songeur quant à la raison du bruit ; et c’est quand il entendit de nombreux bruits de pas en direction du manoir qu’il réalisa que c’était l’heure du déjeuner. Il faut dire que grâce à sa nature, il était beaucoup moins sujet à la fin – il pouvait parfois même passer plusieurs jours sans manger, et même si la faim se faisait ressentir, le jeune homme avait l’habitude de cette sensation. Il déposa ses outils et sa tenue salie par le travail, puis se dirigea à son tour vers le hall. Il était le dernier des servants à entrer, même si son retard était compréhensible étant donné qu’il venait à peine de faire ses premiers pas au service de la famille.
Il se plaça derrières le personnel encore debout, prêt à suivre la troupe et s’assoir où on le lui dirait. Après tout, il ne connaissait pas les traditions de ses patrons – et les froisser au premier repas serait fâcheux.

Quand ils furent tous assis, John demeure le seul encore debout. Personne ne lui avait indiqué de place, et, hagard, il se dirigea vers une place libre, quelque peu excentrée. De cette manière, le personnel ne s’intéresserait que peu à lui, lui évitant toute question trop personnelle. Il venait ici sous son nom habituel, et il ne s’était pas inventé de faux passé pour répondre à de quelconques interrogations. Et il n’allait pas non plus expliquer son vrai passé, ce serait démentiel ; il allait devoir improviser si besoin.

Avant de s’attaquer au plat, John avait commencé par l’observer. Les vrais repas étaient rares pour lui – et c’était d’un tout autre niveau que celui qu’il avait eu chez Leeroy.  L’assiette sentait bon, et John tenter, en vain, de remplacer la puanteur ambiante en inspirant le filet de fumée qui s’échappait du hachis. Déçu par son échec, il s’apprêtait  entamer le plat quand une femme s’adressa à lui. Il tourna la tête, découvrant un visage qui lui semblait familier ; et il se concentra pour tenter de se remémorer d’où provenait cette impression.
Echec. Il fallait donc répondre, et vite ; sinon il passerait pour impoli.

« - Euh, oui madame. On m’a appelé hier pour me dire qu’un poste était libre, et j’ai accouru, ha ha. »

Il reprit une mine interrogative après son petit rire forcé, puis fouilla à nouveau dans sa mémoire pour se souvenir de cette femme. Au trait quelque peu masculin d’ailleurs… Leur rencontre ne devait pas être récente, sinon il s’en souviendrait mieux. Peut-être près de six mois avant ? Il n’y avait que de rares fois où il s’était baladé de jour dans le quartier Nord – surtout l’été dernier à vrai dire. Et il était persuadé qu’il n’avait jamais cambriolé cette femme auparavant, il se souvenait du visage de ses victimes.

« - Excusez-moi, mais j’ai comme l’impression de vous avoir déjà croisé… Peut-être cet été ? »

Dans la boutique de Nylian. C’était ça, c’était la personne dont John avait passé toute sa petite visite à tergiverser sur le sexe ; enfin, maintenant il était fixé sur son genre, c’était bien une femme. Il se disait qu’il serait peut-être plus intelligent de réfuter l’idée de cette dame – après tout, il devait être louche ce jour là-, mais une étrange impression le prenait. En fait, il sentait que cette personne était de confiance, qu’il pouvait lui dire les choses sans retenu.

« - Ah, oui, c’est ça ! Vous avez une excellente mémoire ! »

« - Sinon, le travail n'est pas trop pénible? Dehors, par ce froid, ce n'est pas toujours évident. Surtout si vous êtes venu remplacer comme cela, au pied levé. »

C’est vrai que la température n’était pas bien élevée, mais cela faisait des années que le jeune homme n’avait pas eu de chauffage, alors cela ne le dérangeait plus tellement. Au pire, un rhume, mais il se demandait encore s’il pouvait encore un attraper un maintenant qu’il était Nephil : ce serait absurde que son corps lui ouvre des tas de nouvelles possibilités tout en étant toujours sensible à de basses maladies. Enfin, il avait pris un pull, donc ça lui suffirait d’autant plus.

« - Je tiens bien le froid, j’ai l’habitude. Je m’y fais au boulot, j’ai pas eu les tâches les plus compliquées, donc ça se fait sans trop de souci. Là j’viens de déraper un peu, donc je vais reprendre ça et bien récupérer ma faute, ça sera nickel ! »

Pourquoi avait-il parlé de son erreur ? Il était censé la camoufler juste après le repas… Pourquoi se sentait-il autant à l’aise avec cette personne ? Tout ceci était un peu étrange, mais après tout possible. Cette personne semblait chaleureuse et s’intéressait à lui, alors elle lui semblait tout à fait amicale.

« - Mais, dites-moi… Vous êtes la maîtresse de maison ? »

Les robes devaient donc être pour le mariage alors, et John ne pensa pas à féliciter la jeune femme de cet événement. A vrai dire, il n’avait jamais connu personne qui se soit marié, alors il n’était pas au courant des us et coutumes quant à ce genre d’événements. Enfin, ce qui importait, c’était que la personne face à lui soit donc bel et bien sa patronne, et qu’il se sentait pourtant tout à fait prêt à lui révéler tous les travers qu’il pourrait commettre durant ses quelques jours de travail.
Et une nouvelle confession n’allait pas tarder à être dite, car sa patronne venait de lui poser une question quelque peu problématique : elle l’interrogeait sur son expérience en tant que jardinier. Sauf que justement, cette expérience était absente ; et c’était bien le problème.

« - J’hésiterai pas à aller les questionner alors, merci. Quant à votre question… Ahem… Trois heures ? J’ai une expérience d’homme à tout faire, alors ça fait techniquement partie de mes capacités… »

Il avait réussi à s’empêcher d’aller plus loin, omettant le détail de son unique journée de travail et l’absence de jardins sur le paquebot. Il ne fallait pas qu’il détruise lui-même sa propre crédibilité, ce serait vraiment triste que John se fasse virer à peine une journée après son embauche. Même si cela lui donnerait une bonne raison de demeurer du côté illégal des affaires…
Néanmoins, une question lui traversa l’esprit. Il n’avait aucune idée du nom son employeur, et encore moins de celui de cette jeune femme. C’était bien une question dont il pouvait s’offrir le luxe de poser.

« - Et… Comment vous appelez-vous ? »

Vouvoyer autant une personne qui ne paraissait à pleine plus âgée que lui était difficile au jeune homme, mais il s’y forçait. Il fallait qu’il tente de faire bonne figure, et la politesse était une des clés pour cela.

John sourit. Cette femme était agréable, et cela le changeait beaucoup des riches qu’il avait côtoyé par le passé – il se disait même qu’il préférait rester ici à discuter avec elle que continuer son travail, seul, dehors. Enfin, il savait très bien qu’il ne fallait pas, alors il commença à entamer son plat pendant que Naoto lui parlait, se remplissant un peu le ventre pour continuer. De cette manière, il ne reviendrait pas au travail trop en retard ; et une fois la bouche vide, il consentit à répondre à la question de sa patronne.

« - Je m’appelle John Fallen, enchanté. Aucun souci pour les questions, oh, peut-être si vous commencez à m’interroger un peu trop sur mon passé je serai gêné, mais sinon aucun problème ! »

Aujourd’hui, il poussait son jeu de l’honnêteté à son paroxysme, et c’était plus une bonne sensation finalement. Sauf si cette femme cherchait à le mettre à l’aise en le questionnant sur son sujet difficile, mais elle lui semblait trop sympathique pour s’abaisser à cela – du moins, il y croyait fermement. Ne comprenant que maintenant la dernière phrase de madame Shirogane, John eu un instinct de surprise, puis continua.

« - Votre travail vous dites ? Vous avez un boulot lié aux questions ? »

Policier. C’était l’idée qui venait de se fixer dans la tête du jeune homme. Il se confiant aussi facilement à un agent de l’ordre, et cela ne lui plaisait guère. C’était même dangereux : son portrait-robot avait été diffusé, et elle pouvait très bien l’avoir reconnu. Enfin, il était censé avoir été gracié de celui-ci, mais quand même… Tentait-elle de lui soutirer des informations ? Ou était-il tout simplement trop paranoïaque ? Vraiment, il espérait de toutes ses forces que la dernière hypothèse était la bonne.

Ouf. John retint un soupir, mais laissa paraître un grand sourire sur son visage. Détective privée, c’était tellement mieux que policier ; déjà, elle n’allait pas chercher à coincer le jeune homme, et en plus peut-être connaissait-elle des gens qui pourraient aider John. Si elle était en congé maternité, elle avait bien dû travailler avec d’autres collègues, et probablement des gens talentueux. Et si John en apprenait les noms, il pourrait aller les voir pour enquêter sur son père – même si Fox acceptait de l’aider, un seul homme n’allait peut-être pas suffire.

« - Ah ! Si ça ne vous dérange pas, est-ce que vous pourriez m’indiquer le nom d’un bon détecteur privé ? J’ai un petit souci à régler… »

Peut-être en demandait-il trop à Naoto. Il avait envie de discuter avec elle, de continuer à lui parler, mais ce n’était pas réciproque. Surtout qu’elle était enceinte, et qu’on semblait la presser à finir son repas. Alors il finit lui aussi son assiette, se tournant à nouveau vers la jeune femme entre deux bouchées.

« - Si vous préférez finir votre repas dans le silence, n’hésitez pas à me le dire, il n’y pas de souci. »

Il lui sourit pour montrer que cela ne lui posait aucun problème, et continua son hachis. Et donc, s’en suivait un gâteau au chocolat ? Décidemment, John n’avait pas fini d’apprécier ce repas, et il imaginait que les prochains jours de travail allait être eux aussi très sympathiques. Finalement, on l’avait acheté avec un ton chaleureux et un bon repas… Il avait bien changé.

Son problème n’allait pas se régler rapidement, malheureusement. Déjà, trouver de vraies preuves allait être très compliqué, et si en plus il fallait gagner un procès… Vraiment, ce n’était pas en une visite que tout ceci allait se terminer. Mais les noms qu’il venait d’obtenir pouvait être d’une grande aide, et il fit en sorte de bien ranger ces sonorités dans sa boîte crânienne, de façon à les ressortir au moment propice. Enfin, ce qui était plus intéressant, c’était que sa discussion pouvait encore continuer un peu – quoiqu’il aura à l’arrêter tôt ou tard, pour éviter de se faire sermonner par le gérant du personnel.
Au même instant, le dessert arriva, et le jeune homme se fit une joie de goûter ce beau met, mettant une légère pause sur leur discussion. Il fallait savourer, car il allait devoir attendre longtemps avant de manger à nouveau de pareilles saveurs... Pour éviter de trop baver face à ce plat, John décida de reprendre la conversation.

« - C’est vraiment excellent ! Et merci pour ces noms, je les note. »

Il marqua un temps d’arrêt, soupira, puis reprit.

« - Quant à mon affaire, je crains que mon souci ne soit pas rapide à régler… Enfin, ne parlons pas de ça, je finirai par être en retard à mon poste, ha ha. Bref, votre grossesse se passe bien ? »

Evidemment, il avait assez raté sa tournure de phrase pour laisser entendre qu’il avait envie d’orienter la discussion sur sa petite affaire familiale ; alors que c’était absolument faux. C’était à cause de cette sympathie qu’il ressentait chez cette personne, il avait tant envie de ne pas arrêter de lui-même la conversation… Il fallait vraiment qu’il maîtrise mieux ses paroles, car Naoto devait probablement être talentueuse en déduction ; alors il avait tout intérêt à tout faire pour cacher sa vie secrète. Tant est qu’il ait une vie publique, en fait.

Ne pas désespérer. John eu le regard vide l’espace de quelques instants, se remémorant le soir où tout avait commencé ; si Naoto l’avait vécu elle aussi, tiendrait-elle le même discours ? Le jeune homme n’avait aucune idée de la force de caractère de celle-ci, et ne voulait pas présumer de trop, mais il était persuadé que ce genre de scène marquait quelqu’un à vie. Non, John n’avait jamais abandonné, sauf qu’en luttant il avait finalement sombré du mauvais côté. Il n’était pas corrompu, ni même souillé par le crime – mais son être était entaché de ce qu’il avait commis. Il lui avait fallu des mois pour comprendre que tout n’était pas manichéen, et il s’en était pris à des innocents. Et ça, il ne se le pardonnait pas.

« - Ouais… »

Ses yeux revinrent du néant, se dirigeant à nouveau vers la jeune femme et forçant le bas du visage du jeune homme à tracer un sourire.

« - Ah, tant mieux ! Donc des jumeaux, vous avez dits ? Vous vous êtes renseignés sur leur sexe ? J’imagine bien que ça doit être pesant ces deux lurons ! »

Sa part était déjà terminée. Mince. C’était si bon qu’il l’avait dévoré en à peine une dizaine de secondes, presque mécaniquement. Raté pour la dégustation, mais son ventre était bien rempli… Cela lui rappelait sa journée de convalescence chez Leeroy, tout aussi agréable. Décidemment, John adorait se faire inviter chez les gens, cela avait un côté agréable qu’il ne retrouvait nulle part ailleurs.

Elle n’avait rien relevé, et c’était tant mieux. John écouta le jeune femme, qui semblait pennée par sa grossesse. Il est vrai que le jeune homme n’avait aucune idée de ce que cela pouvait être – et il est très peu probable qu’il le vive un jour. Il se refusa d’imaginer sa vie s’il elle avait était tranquille et normale, et avant qu’il ne puisse relancer la conversation, un bruit se fit entendre. Le jeune tourna la tête, et comprit que des chaises étaient déplacées, signe qu’il était l’heure de se remettre au travail. Alors le Nephil se leva à son tour, regardant à nouveau Naoto.

« - Je crois que c’est l’heure pour moi d’y retourner… Si vous avez envie de vous balader encore un peu pour discuter, c’est avec plaisir ! Après, rien ne vous y force, bien sûr. »

C’était une façon de dire à cette jeune femme que John aimerait bien continuer à discuter un peu avec elle avant de continuer son œuvre. Enfin, celle-ci n’était pas si pénible à accomplir, mais obtenir encore quelques échanges le mettrait vraiment de bonne humeur. Un bon repas, très agréable : si le monde du travail ressemblait toujours à cela, John en serait bien heureux. Quoiqu’il sache qu’en réalité que c’était faux.

Et elle était même partante pour marcher un peu ; c’était parfait. John prit son temps pour revêtir ses affaires, et se mit à marcher lentement, afin de ne pas presser Naoto. Loin de lui l’idée de louper du temps de travail ; mais s’il était avec sa patronne, où était le mal ? Il observa quelques secondes le ventre celle-ci, l’admirant presque : dans le sud les femmes enceintes paraissent rarement heureuses, alors en voir une en bonne santé et souriante était une belle découverte.

« - Pas de souci pour ça, une balade me ferait du bien à moi aussi. Ça fait longtemps que j’ai pas autant mangé, alors je ne suis pas vraiment habitué ! »

C’était vrai, mais cela faisait déjà assez longtemps qu’il se le répétait pour y penser davantage. Ils s’avançaient tous deux, à pas tranquilles, dans le jardin. Le coin où John faisait son office n’était pas tout près, et ils avaient donc encore quelques minutes devant eux pour discuter ; soucieux de ne pas faire cette marche sous un silence dérangeant, le jeune homme se décida à relancer la discussion.

« - D’ailleurs, si c’est pas indiscret, comment avez-vous rencontré votre fiancé ? »

En fait, il ne savait rien de cet homme; pas même son nom. Il avait oublié de demander ça lorsque l'on l'a employé, trop préoccupé à se contenter de celui de l'homme qu'il avait au bout du fil. Avoir un nom à retirer de la liste de ses cibles potentielles était un luxe que John avait envie de s'octroyer.

Quand Naoto finit de parler, John tourna la tête pour lui répondre, et remarqua son sourire. Il semblait radieux, et le jeune homme préféra ralentir encore un peu la marche et se taire quelques instants, afin de laisser sa patronne profiter de ses souvenirs encore un peu. Pendant ce léger répit, il réfléchit à ce qui pouvait être ses meilleurs souvenirs ; et c’était peut-être sa journée chez Leeroy. Pour beaucoup, ce n’aurait été que peu de chose, mais pour John c’était bien plus que cela : c’était la première fois qu’il était invité par un ami chez lui. Certes, l’expression « ramassé à moitié mort dans la rue » était plus propice, mais le Nephil avait préféré réarranger un peu sa mémoire pour qu’elle paraisse plus agréable.
Néanmoins, il brisa à contrecœur ce silence.

« - Ça a l’air d’être de merveilleux souvenirs… Vous avez prévu votre mariage pour quand ? »

En fait, il aurait aimé poser d’autres questions. Le fait que son fiancé soit armurier, ou encore le nom de celui-ci ; c’était des informations qui intéressaient John. Mais, trop épris de sympathie pour Naoto, il préféra continuer sur ce sujet qui semblait tant la réjouir. Faire sourire quelqu’un simplement en lui rappelant le passé n’arrivait pas souvent au jeune homme – pour ainsi dire, jamais-, alors il avait envie de continuer sur cette voie.

C’était étrange, la date n’était pas fixée. Enfin, elle l’était presque, la naissance des enfants n’étant pas vraiment possible à repousser, mais fait étrange tout de même. John était habitué à des riches précis, pointilleux, voire même maniaques et capables de prévoir leur emploi du temps des semaines à l’avance ; alors un mariage, cela ferait bien des années que même la seconde aurait été ajustée. Décidemment, ce couple était différent, même si l’odeur du manoir laissait présumer à John que tout n’y était pas rose. Il était persuadé que Naoto était étrangère à toutes ces magouilles, mais qu’en était-il de monsieur Shirogane ? Aborder ce sujet serait un peu trop dangereux, et le jeune préféra abandonner toute piste sur ce chemin. Peut-être un autre jour, et sûrement probablement jamais. Il tenait assez en estime la jeune femme pour lui épargner des intrusions nocturnes.

« - Finalement, c’est assez en proche en fait… Vous êtes prête ? Vous avez finalement mis la main sur la fameuse robe ? »

Ce dernier mot ressassa quelques souvenirs à John. Sa première rencontre avec Nylian, pas des plus agréables ; mais qui finalement abouti étrangement à quelque chose de bien. Un souvenir ni bon ni mauvais finalement, juste étrange. Enfin, le jeune homme avait l’habitude d’avoir une vie étrange.

Ah, un grand projet, il en avait un. Coffrer Georges Brun, se venger de lui, lui faire payer. Et des tas d’autres synonymes tous plus violents les uns que les autres ; mais John savait qu’il ne pouvait pas être aussi direct en parlant de ça. Quoiqu’il ait bien envie d’en parler à Naoto : il avait le sentiment qu’elle garderait bien ses secrets. Cette sympathie si rapide lui rappela quelque peu Fox et son attrait instantané, mais le jeune homme évacua cette idée très rapidement de sa tête – elle n’avait aucun sens.

« - En quelque sorte … Un procès à faire contre un sale type, en lien avec ma question sur les détectives. Mais en dehors… Hmm, une reprise d’étude je crois, rien de bien extraordinaire. »

Et c’était vrai. John allait devenir normal, ce qui semblait pour lui hors norme, mais qui était banal pour tous les autres. Il se senti bas l’espace de quelques instants, comme rabaissé par ses propres pensées ; puis se ravisa. Il était juste différent, pas inférieur. Se rendant compte qu’il s’était qualifié de la même façon que l’on usait pour nommer de façon politiquement correcte les personnes handicapées mentalement, il se retenu de rire. Décidemment, son esprit partait dans n’importe quelle direction aujourd’hui, c’était étrange… Mais pas si désagréable.

Il se savait pas encore ce qu’il allait faire comme études ; mais il allait en faire, c’était une certitude. Cela avait commencé par les cours particuliers d’Ash, et dans quelques temps il irait s’inscrire quelque part, à un endroit où l’on voudrait de lui. D’ici là, il allait devoir faire des recherches…

« - J’ai arrêté mes études il y a si longtemps que je crois que si je veux un travail à temps plein, j’ai pas vraiment le choix… Je sais pas encore sur quoi me diriger, je compte me renseigner bientôt. Vous avez arrêté les vôtres ? Vous étiez dans quoi ? »

John n’avait aucune idée de ce qu’il fallait étudier pour devenir détective privé, alors sa curiosité avait été piquée au vif ; et cette discussion lui rappela son petit jeu avec Aleister au musée. L’histoire était intéressante, mais il doutait pouvoir s’inscrire à la fac dans ce domaine. Alors il allait devoir viser plus bas, ne pas chercher à devenir une tête quelque part… Et ce n’était la faute à nul autre que lui.

John était un peu déçu. Finalement, elle n’avait fait un truc qui n’avait rien à voir avec les enquêtes, c’était une sorte de don ; enfin, elle avait tout de même un master en informatique. Pourtant, elle paraissait si jeune : à peu près de l’âge de John s’il jugeait bien. Voilà donc une tête face à un cancre, drôle de situation – qui aurait été encore plus drôle si les rôles avaient été inversés.

« - Ha ha, au moins ça vous fait un joli diplôme ! »

Néanmoins, ils étaient arrivés. John enfila le tablier qu’il avait laissé traîner par-là, ramassa ses outils et se tourna à nouveau vers Naoto.

« - Je vais y réfléchir à l’alternance, ça pourrait être une piste, merci. Je crois que je vais devoir vous quitter, le devoir m’appelle… Merci pour cette petite balade et ce repas, c’était très agréable de discuter avec vous, Naoto ! »

Il disait cela à contrecœur, mais pourtant il devait le faire. Il adorerait passer le reste du temps à blablater avec cette dame, mais on le payer pour tailler des haies, alors il se résigna à y retourner. Il serait mieux d’éviter de se faire virer dès le premier jour.

« Merci, bonne fin de journée à vous aussi. »

Quand la femme eu tourné le dos, John regarda à nouveau son plan, tentant de se concentrer à nouveau sur sa haie. Tailler à nouveau un peu tout, réajuster et camoufler l’erreur ; c’était le début. Ensuite, il fallait continuer le travail… En soit, cette discussion quoique fort agréable l’avait mis un peu en retard sur son timing déjà embourbé par sa coupe ratée de la matinée, et il tenta de s’activer pour finir à l’heure. Enfin, ce moment sympathique valait bien une heure de plus non payée, le jeune homme n’était pas vraiment à cela près…
Finalement, un travail n’était pas si désagréable – il faut avouer que son expérience sur le bateau avait été quelque peu compromise, et le Nephil se demandait de plus en plus si cette voie-ci n’était pas la bonne. Peut-être qu’osciller entre intrusion pour récupérer des preuves et un boulot stable pourrait être une voie. Enfin, déjà fallait-il reprendre des études, les réussir et se faire engager. En fait, c’était peut-être la chose la plus dure dont il allait devoir s’acquitter : à ses yeux, c’était d’une toute autre difficulté que de s’infiltrer les gens ou se battre.