La fin de journée me parut atrocement longue et terne. Sombre et vide également. Je ne me souviens même plus être rentrée au QG mais la première chose dont je me rappelle, c’est de m'être changée. Puis de m'être recroquevillée en position foetale sur le lit avant de recommencer à pleurer. Des larmes qui s'éternisèrent toutes la nuit durant. Non, je n'eu même pas la chance de dormir, encore trop sur les nerfs pour cela.

Je n'ai pas la force de quitter ma chambre aussi n'ais-je pas non plus mangé depuis la veille. Et la journée qui continue de s'étirer. Je me sens tellement coupable, tellement seule. Et j'ai si peur. De l'avoir perdu. Définitivement. Vers midi, je saisis mon portable mais je reste incapable d'écrire ou d'appeler. pourtant, Dieu seul sait à quel point j'en ai envie. mais je suis tout bonnement paralysée de trouille. Je compose son numéro un nombre incalculable de fois sans jamais envoyé l'appel. je compose des centaines de messages qui ne partirent jamais, toujours effacés.

Mes larmes n'ont pas cessées mais sont taries à présent. Je sanglote toujours mais les yeux secs. J'ai si mal mais lui, comme va t'il? Il faut que je le sache, j'ai besoin de savoir. Au moins de m'assurer qu'il est en vie. Car rien ne me prouve que finalement on lui ai laissé la vie sauve. Alors que c'était bien la seule motivation à mon geste: le protéger. Maladroitement, certes, mais c'était tout ce que j'avais trouvé. Alors, après m'être rongée les sangs encore des heures durant, alors que la nuit est tombée depuis longtemps sur la cité, je finis par réussir à composer le numéro et à laisser sonner ce dernier.

Première sonnerie. Rien que d'entendre ce son, je manque de raccrocher. La panique remonte d'un cran et alors que j'esquisse le geste de venir stopper l'appel, un bruit se fait entendre et avec lui, l'espoir d'entendre cette voix que j'espère et attend autant que je crains à présent.

"- Da... David?..."

Naoto... ! Qu... ?

Merci seigneur, il est toujours en vie. Mon soupir de soulagement est au moins aussi profond que la tension qui m’enserrait le cœur à cette simple pensée. Non, il n'est pas mort. Il est bel et bien vivent, à l'autre bout du fil. Dommage que je n'ai pas la force de sourire.

Tu vas bien?!

"- Je... crois que.. Oui... Enfin, on ne... m'a pas fait de mal..."

Non, je ne vais pas bien. Je ne pense qu'à toi, je ne fais que revivre ces quelques minutes d'horreur et je ne cesse de me fustiger moi-même. J'aurais dû rester à tes côtés, t'épauler, accepter d'être ta femme qu'importe les circonstances. Et pourtant, j'ai cédé. Ce que j'en ai honte. Je ne mérite même pas que tu ais répondu à mon appel. Même les bébés commencent à me retourner le ventre, comme pour me montrer à quel point eux aussi ont honte de mon comportement.

Mère indigne, femme indigne, fille indigne... Oui, le féminin ne me va vraiment pas du tout....

"- Et toi?... Comment vas-tu?... "

Je... C'est difficile à dire. Tony et Doc' s'inquiètent pour toi. Non, en fait on s'inquiète tous. Moi le premier.

Après ce qu'il s'est passé, ils en sont encore à s'inquiéter à mon sujet? Pour le coup, je ne sais pas si je dois les en remercier ou pas. Ce n'est de moi qu'ils devraient se préoccuper mais de David. Sa voix au téléphone, elle me rappelle un peu celle, faible et fatiguée, qu'il avait eu après son cauchemar lors de son burn-out. Et songer que je suis la cause de tout cela me fend le cœur de plus belle.

"- Tu pourras... les rassurer alors..."

Comment... comment vont les enfants? Ils ne te donnent pas trop de douleurs ou de nausées?

"- Ils sont... agités en ce moment... Ils ont compris que... quelque chose n'allait pas... Mais pour le reste, c'est supportable..."

Ma main posée sur mon ventre ne ressent que davantage les coups qu'ils me donnent. La nausée, les douleurs, je les ai toujours mais elles me paraissent tellement insignifiantes devant ce que je ressens en même temps. Savoir David au bout du fil est à la fois un bonheur et une torture. Si proche et pourtant si loin en même temps. Ce que la vie peut se montrer cruelle. Et la suite de mes paroles ne fait que raviver cette douleur qui ne me quitte plus depuis les derniers événements.

"- David, je... je suis... Désolée... Je... Ne voulais pas... Je..."

Mes sanglots que je tente d’étouffer ne lui échapperont pas mais ils faut que je le lui dise. Au moins ça. C'était bien le but de mon appel après tout. Mais je n'arrive pas à aller au bout encore, trop secouée que je suis. Et tellement inquiète de sa réponse aussi.

Naoto, calme-toi... Je comprends... C'était un choix difficile, mais tu as su le faire... Tu es une femme intelligente, je sais que c'est la meilleure solution de tu avais. Tu... as bien fait. Je ne l'aurais pas prise, mais je suis un idiot, et nous serions sans doute morts tous les quatre. Je ne pensais pas ... à ce que ça arriverait. Tu vois? Je ne prévois pas tout...

* Menteur * Je crois que même si je ne l'ai pas dit, il pourrait l'entendre. Non, je n'ai pas bien fait. Etre mort tous les 4, au fond, est-ce que cela n'aurait pas été mieux? Oui, je suis stupide, encore tellement chamboulée par tout cela que je peine à réfléchir clairement mais ça, c'est une certitude. J'ai su faire un choix, oui. Mais une fois de plus, j'ai suivi ma raison plutôt que mon cœur. Ce qu'il ne me pardonne pas cette fois.

Ne sois pas désolée, Naoto. Je comprends.

Moi je ne comprends pas. Comment fais-tu pour toujours être aussi fort? Tellement imperturbable, si puissant que même un tel choc semble à peine t'affecter? Comment fais-tu pour toujours tout surmonter seul alors que moi, même entourée, j'en suis incapable?

"- Je veux que tu sache que... Je t'aime... "

Encore. Toujours. Plus encore même. Car cette séparation au lieu de me cacher à ta vue pour me permettre de t'oublier n'a fait que te donner davantage d'importance à mes yeux et dans ma vie. Je ne suis peut-être pas ta femme devant le maire ni devant Dieu, mais dans mon cœur et mon esprit, je te suis acquise depuis longtemps déjà. Instinctivement, je suis venue jouée avec son anneau que j'ai glissé glissé à une chaîne à mon cou, pour qu'il ne me quitte plus, pour le sentir au plus près de mon cœur, tout contre ma peau.

"- Je t'en prie, prend soin de toi... Promet-moi que... Tu sauras te montrer raisonnable... Pas de second burn-out..."

Pas pour moi, je ne mérite pas que tu prennes mes volontés en considération. Pas après ma preuve de faiblesse. Mais s'il te plait, pense aux enfants. Fais-le pour eux. Qu'ils connaissent leur père et aient le temps de l'aimer. J'ai si peur encore.

Je t'aime aussi... Tellement...

Je ne parviens pas à retenir le hoquet que provoqua mon sanglot à ses mots. Je ne mérite tellement pas ses mots, encore moins son amour inconditionnel. Et pourtant, ils me sont tellement précieux, si indispensable. Je suis aussi soulagée à ses paroles que je me sens un peu plus détruite par sa voix qui la prononce. Car cet état dans lequel il se trouve, j'en suis la seule responsable. C'est le prix de ma plus grande faute, celle que je ne me pardonnerais jamais.

J'ai promis que je n'en referai pas d'autre. Rassure-toi. Anthony et Doc' veillent toujours.

"- Très bien."

Eux au moins peuvent faire ce que j'ai toujours été incapable de réussir. Veiller sur toi, te protéger comme je l'aurais dû le faire, de ma place de fiancée, de future épouse, de promise. Tu es l'Homme de ma vie mais à ce rythme-là, je n'aurais été que celle qui rejouera le drame de ta famille pour te mener à la mort. LE schéma que je ne veux surtout pas reproduire et que je crains tant de voir malgré tout se réaliser.  

Fais attention à toi. A vous trois. Je... Je ne peux pas veiller sur vous... Alors...
Alors sois prudente. Reste en sécurité. A tout prix.

Ta simple voix, tes pensés qui sont, j'en suis certaines toutes tournées vers moi sont déjà tellement plus que ce que j'aurais pu espérer. Si, tu veilles sur nous, plus que tu ne pourras jamais le réaliser. Car tu es le seul qui me donne encore la force de continuer à respirer en me rappelant que je ne vis pas que pour moi.

"- C'est promis... Il ne nous arrivera rien... Jamais..."

Pas tant que je ne t'aurais pas revu. Pas avant qu'ils ne soient nés et que je puisse te voir les prendre dans tes bras. Pas tant que je n'aurais pas pu m'excuser de vive voix. Je réparerais ma faiblesse, je saurais me montrer forte et tenace pour que je puisse de nouveau voir briller cette lumière dans ton regard et ce sourire au creux de tes lèvres que tu ne réservais qu'à moi. J'espère juste avoir encore les capacités de ranimer ces flammes que mon attitude risque d'avoir pourtant si atrocement balayée.

"- Les autres... A part Doc' et Anthony... Ils sont là pour toi?..."

Prennent-ils cette place qui devrait être la mienne? Steven doit être content mais Joshua, Sam, Judy? Sans doute m'en veulent-ils d'avoir disparu ainsi et je les comprendrais mais mon cas n'a aucune importance. Puisque je ne peux pas être, je ne peux que m'en remettre à eux pour épauler et soutenir David. Mais je n'arrive qu'à sortir des banalités. Car si je faisais plus, je craquerais, définitivement. Et je ne peux pas lui faire ça.

"- Tu arrives à... t'en sortir?... Avec toutes tes responsabilités?..."

Joshua est rentré en Norvège. Les filles et Steven ont repris l'école et Doc' tient sa clinique. Je continue mon travail...

Autrement dit, il est seul. Livré à lui-même de nouveau. Car il ne laissera pas les autres l'approcher, de peur qu'il ne finisse par leur arriver la même chose qu'avec moi. Qu'on ne les lui enlève. Même si la raison ne pourra pas être la même qu'avec moi. Ce que je voudrais pouvoir être auprès de lui, le serrer fort contre moi, partager avec lui la présence des jumeaux qui me broient littéralement le diaphragme en cet instant.

Ça va. Je gère.

"- N'en fais pas trop... Quand même... "

Par pitié, ne laisse personne venir m'apprendre que tu ne seras plus jamais là. Ni devant mes yeux, ni au bout du fil. Laisse croire encore que ce cauchemar que tu m'as raconté ne deviendra jamais réalité. De manière très égoïste, je préférerais mourir la première pour ne pas avoir à supporter la douleur de ta perte. Encore une énième preuve de ma si grande faiblesse.

"- Est-ce que tu veux... leur parler?... Je suis sure... qu'ils seraient content... d'entendre ta voix... Eux aussi..."

J'enclenche la fonction haut parleur, curieuse de savoir malgré tout ce qu'ils pourraient bien échangés. Je ne sais pas combien de temps je pourrais lui téléphoner alors je veux profiter au maximum de cette sensation de proximité que me donne le son de sa voix, même si tout n'est qu'illusion. Mais ses enfants ont au moins autant le droit que moi de pouvoir entendre leur père. C'est bien ma faute s'ils en sont privés.

L'entendre ainsi chantonner pour les jumeaux m'arracherait presque l'aube d'un sourire. Mais cette chanson me renvoi encore à ce burn-out qu'il n'avait fait que trop récemment. Pourtant, je ne peux m’empêcher de fredonner juste pour moi les mêmes paroles, pour mieux m'en souvenir. J'avais chercher d'où venait cette comptine et j'en avais trouvé quelques paroles supplémentaires mais je ne pourrais pas les lui chanter de vive voix. Alors, je me contente de l'écouter moi aussi.

Naoto, si l'appel dure plus longtemps, tu risques d'avoir des problèmes...

"- Oui... Je sais..."

Encore une fois, tu as tellement raison. Le jumeaux ne semblent pas d'accord par contre de ne plus avoir la voix de leur père tout contre eux, maintenant que j'ai repris le combiné. Je retiens un gémissement, leurs coups se faisant plus puissants avec ma grossesse avancée et sans doute aussi avec la fatigue accumulée ces derniers jours mais je ne dirais rien. David ne mérite pas que je l'inquiète encore pour si peu.

"- Je vais devoir... raccrocher de toute façon... Ils ont faim alors... Je vais aller m'occuper d'eux..."

Faute de m'occuper de moi, au moins j'aurais une chose à faire, quelque chose pour me forcer à continuer de me battre, un objectif à atteindre. Ils pourront essayer de me détruire, au fond, ils y seraient même presque arriver. Mais il y a Hana et Julian. Pour eux, pour David que je sais toujours là, quelque part dehors, je n'abandonnerais pas. Plus maintenant qu'ils sont la seule chose qu'il me reste dans ce monde.

"- Prend soin de toi.... S'il te plait....
Tu nous manques... A tous les 3..."

Ma voix s'est faite un peu plus fragile malgré que je me sois promise de ne rien laissée paraître. Oui, je suis tellement désolée, je voudrais pouvoir te dire que l'on se reverra bientôt mais je ne veux pas mentir et je crois que j'ai encore du mal à espérer. Pourtant, je ne parviens pas à raccrocher, cherchant sa voix, son souffle et sa présence derrière le moindre grésillement du combiné.

Pense aussi à toi, Naoto.

"- C'est promis..."

Je promets et pourtant, je crains de ne pas en capable pour autant. Désolée, mais penser à moi est un peu trop me demander actuellement. Je peux penser aux autres, faire des efforts pour les enfants, pour toi, pour que les autres Seraphs me fichent la paix et me laissent tranquille, pour que les Nephils ne cherchent nullement à m'approcher, pour qu'aucune Ombre ne me fasse courir le moindre risque. Mais penser à moi ne fais que me renvoyer à cette acte ignoble dont je viens de me rendre coupable à ton égard. Et repenser à cette journée me rend plus malade que 9 mois de nausées cumulées.

Les as-tu vus? Les feux d'artifices? Je ne les ai pas annulés, pour que où que tu sois, tu puisses les voir. 

"- Je.... Les ai surtout entendus... Au début... Mais de ce que j'ai vu... Ils étaient magnifiques...  "

Alors, c'était ton idée, ça aussi? Était-ce la raison qui avait fait que mon cœur avait battu si fort à chaque explosion, à chaque nouvelle fleur qui s'était épanouie dans le ciel? J'avais mis du temps à comprendre que ces bruits de coups ne venaient pas de ma tête ni de ma poitrine aussi en avais-je raté la moitié, le temps de parvenir à aller les observer. Et en y repensant maintenant, un léger sourire naît un instant sur mes lèvres alors que ma voix se fait un peu moins fébrile.

"- Tu avais tellement bien choisi.... Comme à chaque fois...
Ils étaient... parfaits..."

Je suis ravi qu'ils t'aient plu. Doc' les a filmés. Tu pourras lui demander la vidéo quand tu iras faire une visite médicale. S'ils te laissent les faire.

"- Je n'y manquerais pas..."

Une visite médicale, avec Doc', après ce qu'il vient de se passer? J'avoue que l'idée m'effraie. D'autant plus si David ne peut pas être présent. Je me suis déjà prise tant de remarques de sa part, je sais à quel point il peut se montrer incisif et piquant. Avec tout ça, j'aurais trop peur qu'il me juge, m'accable de nouveaux de reproches que pourtant je mériterais pourtant tellement. Enfin, je respire profondément, me disant que j'ai encore le temps de voir venir. De toute façon, si j'ai la moindre inquiétude pour les jumeaux, c'est lui que j'irais consulter de toute manière.

Je vais raccrocher, Naoto. Je t'embrasse. Je t'aime.  

"- Moi aussi, je t'aime. 'Je t'aime de tout mon cœur'. "

Je t'en supplie, ne doute pas de mes paroles. Je ne sais pas si mes derniers mots en prononcé en français l'aideront à s'en persuader mais je tente, malgré tout. Oui, je t'aime, démesurément. Et même ainsi séparée de toi, tu es la seule lumière qui me guide encore dans ces ténèbres qui semblent soudain m'être retombés cruellement dessus. Mais je veux encore croire. En toi, en nous. Pour eux. Alors j'espère, égoïstement, que toi aussi.

Cela fait déjà presque une minute que David à raccrocher mais je ne parviens pas à éteindre le combiné. Finalement, je le ferme à contrecœur, me mettant à chantonner les paroles de cette comptine qu'il à lui-même chanté plus tôt aux enfants, la voix tremblantes et remplies de sanglots. Oui, je serais forte, je le jure. Plus jamais personne n'aura à souffrir ainsi par ma faute.

Mais pas ce soir. D'abord, me reposer. Me remettre sur pieds. Prendre soin d'eux. De moi aussi, un peu. Aller manger puis dormir. Et demain sera un nouveau jour.
Qui me rapprochera forcément de lui....