Ex 'Wells-Home':

La marche avait été plus longue que ce qu’avait imaginé John. Il était impressionné par le courage de cette petite fille, qui tenait bon malgré ses blessures ; et ce n’était pas seulement grâce à sa nature. Celle-ci avait beau permettre de repousser les limites naturelles des corps, elle ne les rendait pas pour autant digne des superhéros des comics – à moins bien sûr de posséder des pouvoirs de genre-ci. Non, le Nephil avait bien compris que ce qui permettait à Nelytsa de cacher sa douleur était sa détermination. Mais depuis combien de temps était-elle dans cette guerre pour y être autant rodée ?

Malgré son œil concentré, John n’avait pas particulièrement repéré de Seraphs les suivant ; quoique tout fût encore possible. Son regard n’était pas assez habitué aux contractants pour repérer des traits révélateurs sur eux, et il était fort possible qu’une personne qu’il ait prise pour un simple passant soit en réalité en train de les suivre. Déjà, l’important était que personne ne les avait agressés sur la route.

Ils pénétrèrent enfin dans cette fameuse maison. Comme l’avait prédit la petite fille, c’était poussiéreux, quoiqu’étrangement vivant. John s’aventura un peu à l’intérieur, lâchant la main de Nelytsa, et il découvrit que quelque chose n’allait pas. Elle avait parlé d’ancienne maison, pourtant celle-ci semblait ne pas avoir vu ses habitants déménager ; et pourtant, tout était recouvert d’une poussière. Une sorte de Pompéi miniature en somme, comme si quelque chose avait arrêté toutes les actions en cours dans cette maison subitement, la figeant totalement. C’était triste, et John se doutait bien de ce qui avait pu provoquer cet arrêt brutal.
Les habitants étaient des contractants, probablement morts au combat ; du moins cela lui semblait logique comme conclusion. Nelytsa devait bien avoir des parents, et il était fort probable qu’ils soient Nephils eux aussi – il voyait mal une autre façon d’en élever une sinon. Nelytsa devait avoir un lourd passé si elle les avait perdus eux-aussi. Quel monde horrible.

Il revint sur ses pas, et s’accroupit au niveau de la jeune enfant, le regard chaleureux.

« - Nelytsa, est-ce que tu sais s’il y a une trousse de soin ici ? »

Malgré l’apparente désertion de cette maison, Nelytsa ne semblait pas y avoir perdu ses habitudes. Aussitôt qu’elle lui répondit, John se dirigea vers la penderie et attrapa la trousse. Effectivement, elle était bien légère ; mais du moins y subsistaient un flacon déjà entamé d’alcool à désinfecter et quelques bandes, en plus d’autres bricoles moins intéressantes aux yeux du Nephil. Il souffla sur la petite bouteille pour en faire partir la poussière, puis s’approcha de la petite fille.

« - Est-ce que tu peux me montrer où tu as mal ? »

Pendant qu’elle lui indiquait ses blessures, John déchira plusieurs bandes de tissu. Il n’avait pas trouvé de pansements, alors pour la joue il allait devoir faire sans.

« - Serre les dents, ça va piquer un peu. »

Aussitôt, il appliqua un peu d’alcool sur un morceau d’une bande et le posa sur la coupure au visage de Nelytsa. Ça devait probablement être douloureux pour elle, mais il n’avait pas vraiment d’autre choix ; et une anesthésie aurait été quelque peu disproportionnée, en plus d’être compliquée.
Il continua sa petite affaire, enroulant de tissu et d’alcool la blessure au bras de la jeune sympathisante, puis il ne fit que protéger un peu l’hématome, afin d’éviter qu’il ne soit trop frotté par les vêtements de la petite fille. Enfin, il mouilla un peu du tissu restant et s’efforça d’effacer le sang séché de la peau de Nelytsa pour lui donner une allure plus saine.
Une fois cette affaire terminée, il lui ébouriffa les cheveux pour la féliciter, puis il alla s’assoir à côté de la petite fille, soucieux.

« - Comment ça se fait que tu sois seule à cette heure-ci ? Tu n’as pas peur de tomber sur une ombre ? »

C’était irresponsable de l’ordre de laisser une enfant aussi jeune, et surtout contractante, errer seule dans le quartier sud ; elle pourrait se faire attaquer, et c’était d’ailleurs ce qui était arrivé.

John ne comprenait pas. Nelytsa voyait les Kekkais, était au courant des chats, et pourtant n’était pas capable de voir les Ombres ? C’était incohérent, ce n’était pas le contrat qui permettait de percevoir de les percevoir ? Alors, il devait sans doute ignorer quelque chose sur tout cela. En soit, si elle ne voyait pas les ombres, elle n’était pas Nephil ; et sûrement pas Seraph. Alors, une troisième faction ? C’était bizarre à imaginer, tout sembler fonctionner sur le principe de deux.
Enfin, Nelytsa était de toute manière déjà étrange, sachant apparemment lire à son âge ; c’était remarquable. John s’imagina l’espace d’un instant qu’elle pourrait être plus cultivée que lui, mais il abandonna rapidement l’idée. C’était absurde.

« - Je suis Nephil depuis… Un mois environ je dirais, mais ça doit pas faire plus de deux semaines que je suis allé à la base. Et toi, tu n’as pas passé de contrat ? »

Il ne l’avait pas croisé non plus, mais c’était beaucoup moins étonnant ; déjà qu’il ne faisait pas spécialement attention aux gens qu’il croisait, le fait qu’il ne se rende pas souvent au quartier général n’aidait pas vraiment.

« - Je sais pas si les ombres me font peur, en fait. J’y ai jamais vraiment réfléchi… Je les affronte, c’est tout. »

Il ne tenait pas autant à la vie que Leeroy, et avait rapidement compris que ces créatures représentaient réellement le mal ; alors il agissait. John n’avait jamais été vraiment sur le point de mourir lors d’un combat, alors cette peur viscérale ne l’avait jamais atteint. Mais, cela viendrait tôt ou tard, il le savait : et seulement alors, il serait capable de juger de sa peur.

Elle était… un vœu ? C’était assez étrange comme concept. Enfin, les chats étaient censés pouvoir exaucer n’importe quel souhait, alors ils devaient probablement être capables de faire ce genre-ci.
Nelytsa semblait torturée par son passé ; John ne connaissait pas le nom d’Ashlan, mais il semblait important pour elle. Combien de Nephils avait-elle vu tomber ? Quel âge avait-elle en fait ? Il se sentait proche d’elle, en fait. Il n’avait pas vraiment vu beaucoup de gens mourir, mais lui était mort – enfin, presque-, alors il comprenait ce qu’elle ressentait.
Et puis, elle semblait décidée à faire quelque chose. Un vœu ? Cela semblait être évident comme solution ; et l’ironie que cette fille soit finalement le produit de deux vœux produisait un semblant d’amusement chez lui. Enfin, qu’allait-elle choisir ? Décidemment, il se posait énormément de question ce soir. Bien plus que d’habitude.

« - Nelytsa… Tu es dans cette histoire depuis combien de temps ? »

Sa curiosité était tout de même piquée à vif ; il se demandait quel vœu comptait faire la petite fille, et aussi de quelle manière elle comptait s’y prendre pour appeler Bey.
En soit, amener une enfant dans cette guerre ne lui plaisait pas du tout, mais elle y était déjà de toute manière. Alors, finalement ce ne serait qu’une manière de lui donner des armes pour se défendre – pas si blâmable de son point de vue. Il souffla, et préféra ne pas parler davantage. Il voulait en savoir plus sur elle avant de prendre parti dans son projet.

John ne put cacher sa mine surprise. Nelytsa était donc plus âgée que lui – seulement de quelques mois certes, mais tout de même. Cela expliquait donc sa fidélité à l’ordre et sa maturité plus développée que la normale pour son apparence… Il s’attendait à ce qu’elle soit plus grande que prévue, mais pas à ce point ; et il lui fut un léger temps d’arrêt pour bien assimiler cette nouvelle.
Quant au vœu, désormais il comprenait tout à fait le besoin de cette jeune fille : n’en avait-elle pas assez d’être une simple gamine depuis maintenant 22 ans ? Cette attente devait être insupportable, et John ne pouvait pas se permettre de l’empêcher d’agir maintenant. Même s’il n’aimait pas envoyer une enfant encore plus loin dans cette guerre, Nelytsa n’en était plus réellement une. A moins qu’elle ne lui mente, mais ce serait tellement gros que c’en serait absurde.

« - Eh bah, je m’attendais pas à ça… Mais t’inquiètes pas pour ta protection, je suis sûr que tous les Nephils ont envie de te protéger. Moi en tout cas, je le ferai. »

Sa petite phase mi responsable, mi chevaleresque terminée, il leva les yeux au ciel. Il était encore trop tôt pour rentrer au quartier général, et la suite semblait être logique : que Nelytsa fasse son vœu. Sauf qu’il y avait un souci important quant à cela, et John ne le cacha pas plus longtemps.

« - Et tu connais un moyen de faire apparaître Bey ? »

Logiquement, ce ne serait pas en claquant simplement ses doigts ou en prononçant son nom sept fois devant un miroir – sinon John l’aurait déjà fait des tas de fois.

John tourna la tête vers Bey, l’air ahuri. C’était donc aussi simple de l’appeler, il suffisait de vouloir qu’il soit là. Ou elle ? En fait, ça importait peu ; et le Nephil se doutait que cette apparition n’était pas due à lui. C’était Nelytsa qui souhaitait faire un vœu, qui chérissait l’idée que le chef suprême des Nephils apparaisse : alors c’était pour elle que le monarque était venu.
Il ferma la bouche, cligna des paupières et changea son regard la scène. Contrairement à leur précédente rencontre, aujourd’hui il n’était pas le personnage principal de l’affaire, il n’était qu’un spectateur. Alors il allait se contenter de faire cela, sans interférer avec le vœu.

« - Salut Bey. »

De la simple politesse, sans plus entrer dans les détails ; il ne savait pas si lui-même pouvait décider du vœu d’un autre, ou quelque chose du genre. Et Nelytsa semblait avoir attendu si longtemps pour faire un vœu que même Bey la connaissait… Alors c’était son moment.
Le Nephil sourit à Nelytsa, puis à Bey, et s’enfonça un peu plus sur le canapé, tournant son tronc de façon à être presque face à la scène. Il ne voulait louper aucun instant de ce qui allait venir – dans ses souvenirs, cela allait être mémorable. Surtout les poils dans le cœur.

Exactement comme dans son souvenir. En fait, non, c’était bien plus impressionnant quand la vision n’était pas tachée de sang, et il apprécia ce spectacle pour le moins lumineux.
Nelytsa avait donc fait son vœu, et pourtant John n’avait rien entendu – étrange ; mais il n’y prêta pas plus attention que cela. C’était sûrement quelque chose de personnel pour beaucoup des contractants, alors il allait tenir sa langue dans sa poche. Ce qui était notable, par contre, c’était que Nelytsa n’était toujours pas en mesure de voir les ombres : c’est-à-dire qu’elle avait les bénéfices d’être Nephil tout en réduisant grandement les malus qui allait avec. John en était presque jaloux, mais il se contenta de continuer d’afficher un sourire. Qui faillit se ternir quand il remarqua que Bey ne lui avait pas renvoyé son bonjour, mais il préféra passer outre. Après tout, c’était bien la seule personne qu’il pouvait compter comme supérieure à lui.

Quand le loup apparu face à la désormais Nephil, il échappa un petit rire. La dernière invocation qu’il avait vue était le serpent de Leeroy – et il était bien plus impressionnant. Il approcha sa main pour le caresser, le faisant tout de même lentement pour voir si celui-ci allait grogner ; il était prêt à retirer son extrémité si la bête gémissait.

« - Je suis content pour toi, Nelytsa. »

Il aurait pu en dire plus, mais cela devrait suffire. Bey était toujours là, et c’était toujours l’instant de la petite fille.

Et Bey était parti aussi vite qu’il était apparu. John ne put s’empêcher de faire une comparaison avec lui-même, qui possédait des pouvoirs similaires – mais probablement à une distance bien miens grande. Quoiqu’il pourrait essayer de faire passer des contrats aux gens, cela allait peut-être avec la téléportation ?

L’autre animal – le plus docile probablement-, demeura lui néanmoins. Le Nephil put caresser la petite tête du chien, assez douce d’ailleurs. Enfin, avec le départ de chef, John reprenait un rôle plus important dans la discussion ; et il cessa de profiter des poils du loup pour se consacrer à nouveau à Nelytsa. Pas qu’il soit incapable de faire deux choses à la fois, mais il n’y avait pas pensé… C’était quelqu’un de très mono tâche, en fait.

« - Toboe ? »

L’animal poilu semblait heureux de ce nom, et il le faisait activement savoir à sa maîtresse.

« - Je pense que ça lui va très bien. »

« - Dis John, est-ce que toi, Bey il t'avait beaucoup parlé? parce que je l'ai déjà vu souvent mais il a jamais dit grand chose alors... Je me demandais si c'était à cause de moi ou si c'était juste qu'il était comme ça. »

Le jeune homme fouilla dans sa mémoire. Sa rencontre avec l’individu avait succédé à un grand traumatisme pour lui, et précédé une perte de connaissance – alors ses souvenirs n’étaient pas absolus de leur petite discussion. Il en avait retenu les grandes lignes, que Leeroy lui avait d’ailleurs répétées, mais il n’avait aucune idée du temps que cela avait duré. Pourtant, il avait une certitude : cela avait été un peu plus long que cette fois-ci. Peut-être parce que John ne savait rien de tout cela à l’époque ; ou peut-être que Bey s’ennuyait un peu. Quoiqu’il en soit, le Nephil ne voulait pas décevoir la petite, alors il prit un air un peu songeur et lui répondit.

« - Hmm… Je me souviens pas trop… Ça n’avait pas été super long non plus… Pareil, je pense ? »

Satisfaite ou non, de toute manière John n’était pas le plus habile pour la parole. Alors il regarda la petite fille et jugea ses plaies récemment bandées. Il était encore trop tôt pour rentrer, sauf s’ils trichaient un peu. Le pouvoir du Nephil était tout à fait en mesure de les faire passer inaperçu – et elle ne devait pas peser bien lourd, alors ses sauts ne sauraient être trop fatigants.

« - Tu veux rentrer, Nel’ ? J’ai un moyen de se faire discret. »

Nelytsa semblait encore être faible, mais cela devrait suffire. Dans le pire des cas, la porter ne serait pas très difficile – avec ses pouvoirs, toucher équivalait à porter, donc cela importait peu.
L’important, c’était qu’elle avait acquiescé. C’était vraiment pratique qu’elle soit une petite fille si… grande. Cela facilitait la tâche à ce jeune homme pas très doué avec les enfants ; la convaincre aurait été compliqué. Et il n’avait aucune envie de la faire pleurer en la traînant de force.
Quant à la méthode de procéder, elle était vraiment simple. Pour Nelytsa en tout cas, pour John cela allait être un peu plus fatiguant…

« - Juste marcher en me tenant la main, je m’occupe de tout, c’est magique. Si ça tourne un peu, accroche-toi à ma jambe, c’est normal. Tu prendras l’habitude. »

En fait, le Nephil n’avait jamais réellement demandé aux gens l’effet que leur faisait sa téléportation. Il l’avait tellement pratiqué qu’elle en était presque devenue naturelle chez lui – si l’on oubliait le surplus conséquent de fatigue qu’elle engendrait.
Il se leva du canapé et tendit la main à la petite fille.

« - Je crois que c’est l’heure alors. Si tu as envie d’emmener des trucs dis-le moi, j’irai te le chercher. »

Finalement, une heureuse coïncidence que ce détour au cimetière. Il n’aurait jamais imaginé que cela se finirait en une petite visite de son chaton préféré.

Voilà, l’heure était arrivée. Nelytsa avait été prestement prête, et ce n’était pas pour lui déplaire ; cette maison symbolisait la mort. C’était glauque, mais si l’impression de John était bonne, des Nephils avaient vécu ici, et étaient désormais morts. Après le cimetière et cette demeure, il était désormais temps de quitter le monde des décédés et rejoindre ceux qui sont bels et bien vivants.

« - C’est parti alors. »

Il serrât un peu plus la petite main de la petite fille – pour être sûr qu’elle parte bien avec lui. Faire le trajet retour allait s’avérer très compliqué dans le cas contraire…

Il balaya les environs de son regard, et une fois sûr que personne ne les regardait, il se concentra. Il projeta ses yeux le plus loin possible en direction de la base. Il n’avait pas essayé de pousser sa portée à ses limites depuis déjà un certain temps, alors cela allait être un test.
Et John se téléporta. Enfin, John et Nelytsa, évidemment ; et ce fut bien plus loin que lors de ses vieux essais. Au bas mot, pas loin de cinquante mètres séparaient désormais la maison et eux – ce qui était déjà un bon début. Un bon début de point de côté pour le jeune homme par la même occasion, pas assez échauffé pour subir un tel effort d’un coup. De plus, il se savait incapable d’en recommencer un aussi vite.

« - J’espère que ça va, Nel’. »

Il continua à marcher tranquille. L’idée était simple, profiter d’une minute de répit puis se téléporter loin à chaque fois ; cela accélèrerait l’affaire.