Sous les directives de la petite fille, le vieux monsieur avait fini par les mener devant une petite maison, à l'extrémité du quartier Sud. Une chouette bicoque, plutôt bien entretenue.

"- Attendre, je vais descendre et comme ça, je vais pouvoir t'ouvrir la porte. C'est pas drôle si on fait que rester dehors."

Nialcen observa l'enfant sautiller, un bon sourire aux lèvres. Elle était toute mignonne avec sa peluche lapin. Il l'observa pendant qu'elle ouvrait la grande porte toute seule, et l'inviter à entrer.


Un frisson lui parcouru l’échine, et il marqua une hésitation somme toute visible. Depuis combien de temps n'avait-il pas mit les pieds dans une habitations digne de ce nom ? Trop longtemps pour qu'il puisse encore être en mesure de s'en souvenir.


S'il n'avait s'agit que de pénétrer chez une personne quelconque, le problème ne se serait pas posé. Hors il s'agissait d'une adorable petite fille qui le portait visiblement en assez haute estime.

Il pris soin de déposer sa bêche à l'entrée, ainsi que sa veste, et s'essuya méthodiquement les pieds. Pas question de détériorer quoi que ce soit dans cette petite maison.

Si l'habitation n'avait rien de luxueuse, elle disposait toutefois de tout le confort nécessaire, et son aménagement n'avait rien d'arbitraire. Il devait y faire bon vivre ... lorsqu'elle était encore habité.

Le fossoyeur resta planté la, au milieu du hall d'entré, observant paisiblement les détails du foyer de Nelytsa.

* Mamma Mia... * nota mentalement Nialcen un léger sourire au lèvre alors que la mélodie s'installait douillettement dans la maison * Difficile d’faire plus adapter. *

Il se laissa guider, écoutant la petite lui décrire les lieux avec emphases, humant l’odeur de vieille poussière sèche. Ses sens lui paraissaient émoussés, comme engourdis : il n’était pas coutumier de ces environnements, où flottait encore la paisible chaleur emprunte de vie de famille.

Certes, cette impression était froissée par l’état d’abandon précipité qu’offrait la demeure, mais ce n’était guère plus que le vague picotement d’une herbe folle lorsque l’on observait la courses des nuages, assis au milieu d’un champ à la fin de l’été : la beauté du moment planait et ne s’en fanait pas pour autant.

Les sons lui parvenaient comme étouffé derrières une porte. Une bouffée de tristesse l’envahie, qu’il chassa d’un reniflement sec.

Il reprit possession de ses moyens, s’apercevant qu’il cherchait mécaniquement des livres des yeux.

« C’est aussi très joli dedans, Nely’. » lui lança-t-il lorsqu’il eut fait le petit tour du propriétaire.

La petite l’avait entrainé vers les étages. L’escalier aboutissait à un étage en sous pente. L’enfant ouvrit vivement, l’une des deux portes et s’engouffra dans la pénombre de la pièce. Il abordait les dernières marches, et releva le nez vers l’embrasure d’où s’échappaient maintenant des reflets irisés.

Il entra, en prenant soin de baisser la tête. La pièce était nimbée d’une douce lumière changeante, auréolant la pièce d’une aura onirique.

"-Alors, tu la trouve comment. C'était notre chambre, à Maman et à moi."

« C’est très très joli Nelytsa. »

Il s’approcha de la ribambelle de photos, mémorisant les trait de la femme que l’on apercevait en compagnie de Nely’ par la force de l’habitude. L’amour de la mère pour sa fille transcendait ces photos, pour venir donner naturellement le sourire aux spectateurs de ces moments de vie.

« Ta maman est très jolie aussi. Tu sais qu’tu lui ressembles ? » Déclama calmement le vieil homme sans détourner le regard, ne tournant qu’un peu la tête pour s’assurer que la petite fille l’entendait correctement.

Il fit finalement demi-tour, avant de s’asseoir par terre au pied du lit, observant la fillette.

La petite Nely’ vint se nicher dans les bras du vieil homme, comme elle lui expliquait qu’elle n’avait pas de père.… Pas de père, une remarque bien étrange dans la bouche d’une enfant, mais qui faisait écho à sa propre histoire.

Il savoura ce moment, appréciant le contact sans équivoque de l’enfant. Il l’entoura de son bras, et se laissa aller contre le pied du lit.

"-Et toi, tu ressemble à ton papa ou à ta maman? Ils habitent ou, eux?"

La question saisie Nialcen comme un soudain jet d’eau glacée. Le fossoyeur n’appréciait que le temps passât que pour cet unique motif… L’éloigner toujours un peu plus de cet indicible passé qu’il ne pouvait imputer à un autre… Comme il le faisait lui-même avec les restes des autres, le temps finissait toujours part ensevelir les affronts de la vie.

Il s’aperçu bientôt de la sombre crispation qui avait soudainement envahie ses traits. Détournant le regard de l’enfant, il entreprit de desserrer les dents, avant de se masser les sourcils pour essayer d’en effacer les contractures qu’il venait de s’infliger.

Il s’en voulait d’avoir jeté un tel regard à la petite, et déposa un baiser sur ses cheveux pour se faire pardonner. Une immense lassitude vint l’envahir, à la seule idée d’évoquer sa propre histoire.

Il poussa un profond soupir. « Mes parents,… » entreprit-il, réfléchissant à la tournure qu’il pourrait employer pour présenter les faits sans bouleverser l’enfant « … mes parents, je les ai jamais connu chtite. »

Il la cala contre lui, caressant son cou de son pouce. Pas questions de lui mentir, mais il n’avait pas de raison de lui offrir la vision parfaitement nue et crue de ce qu’avait été sa "vie".

« Quand j’étais p’tit, on m’a ramassé d’vant un cimetière, un jour… J’en ai pas l’souv’nir. J’en ai pas plus des premières années d’ma vie en fait… Celui qui m’avait pris m’a nourri, filé une paillasse et ma bêche, en bas… Un jour, il m’a dit d’creuser un trou, dans l’cimetière « Creuse là ! » qu’il m’a dit… Je d’vais avoir ton age, dans c’t’eau là… »

« Creuser avec c’te gros outils là, quand on a des p’tites mains comme ça » il gratouillait la paume de Nely’ « ça rend pas grand-chose de bien… L’trou était bien trop p’tit, pis j’avais les doigts entaillé et les mains couvertes d’cloques… » il regardait maintenant la paume de sa main, couvertes de cals, rugueuse, bien plus rude que sa bêche.

« Quand l’bonhomme est rentré, il puait la vinasse et la sueur aigre, c’gros po… Bref, il sentait pas bon, et il avait beaucoup bu. J’ai morflé c’soir là …. Mais l’lend’main, j’ai dû m’y r’mettre : tu comprends, j’avais pas bien le choix… »

Sa voix était dure, mais vidée d’émotion, comme on lirait un texte administratif un peu trop long…

« J’te passe es détails ma puce… Pour faire simple, j’ai continué d’creuser pour lui, jusqu’au jour où il est r’venu trop bourrée pour me cogner d’ssus… J’avais bien grandi eheh… » continuât-il, l’ombre d’un rictus mauvais courant sur son visage.

« J’lai étranglé. Quand il a p'us bougé, j’lai traîné dehors, et j’ai largué c’te gros sac d’méchanceté et d’bière au fond d’un trou… J’me disais qu’au moins, il y f’rait p’us d’mal à personne… » finissait-il alors que sa voix s’étranglait un peu, ce qui ne se percevait pas trop du fait de sa voix éraillée.

Nialcen renifla « Du coup, mais parent, j’sais pas d’où qu’il sont, si tant est qu’j’en ai eu, chtite. Pis maint’nant, ch’suis vieux, alors y doivent aussi êt’e morts que'ques part tu sais. »

Sa voix était sans amertume, bien que teintée d’une profonde mélancolie.

Observant le jour qui déclinait par la fenêtre, Nialcen reprit « Mais sinon, va p’tete pas falloir trop tarder à t’rentrer la puce, vont pas s’inquiéter les gens qui s’occupe de toi, s’tu traines trop dehors ? »

Brave petite… Rare que de simples mots en viennent à toucher de la sorte le cœur du vieux fossoyeur. Des enfants, il en avait croiser quelques-uns, en aidant certains, en faisant rire d’autre, ou bien souvent les effrayant, mais il n’avait jamais rencontré une petite fille aussi douce et pleine de compassion.

Une famille… Essayez un peu de comprendre ce que ça peut représenter pour un homme comme Nialcen, qu’on rigole. Imaginer une famille… La rêver… Puis la Haïr… L’oublier… Voir celle des autres… Voir celle des autres se briser contre les remparts du temps… Voir les survivants s’entre déchirer, ou se serrer les coudes, mais continuer à vivre….

Faisons un bref arrêt sur image. Bien. Prenez votre plus grand fantasme. LE truc que vous raconterez à personnes, même sous la torture. Et qui ne pourra JAMAIS arriver. Vous y êtes ? Bien. Maintenant, imaginez-vous, par un après-midi douillet, par un beau dimanche ensoleillé, dont vous profitez agréablement. Votre famille, vos proches ou vos amis débarquent, vous discutez tranquillement dans le salon en buvant un verre, grignotant quelques biscuits, quand vous avez – MAGIE – l’occasion de réaliser votre fantasme, là, tout de suite, sous le nez de vos invités, sans aucune retenue possible, ou de le laisser filer à jamais.


Retour à l’action. Cet état de légère surprise persista, alors qu’il observait Nely’ à demi-renversée dans un carton de vêtement, comme un canard fouillant la vase au fond d’un ru, ses petites pates tressautant sous l’effort.

La petite fille fini par s’en extraire, rayonnante, dissimulant mal un morceau d’étoffe tricotée dans son dos.

"- Tiens, c'est pour toi. Une écharpe que j'ai faite moi-même. Comme ça, même si t'as jamais eu de papas, de mamans et de noël, eh bah t'auras au moins eu un cadeau.
Et c'est pour te remercier pour Pierre Lapin."

Un Cadeau ? Enfin, un vrai cadeau ? Du genre de ceux que l’on offre aux gens pour leur faire plaisir, et non par pitié, ou pour les corrompre ?

Le vieil homme pris délicatement l’écharpe, en en éprouvant la douceur entre ses doigts. Qu’est ce qu’il lui arrivait ? Il avait la gorge nouée. Impossible d’émettre le moindre son ! Etait-il malade ?

Incapable de remercier l’enfant, il l’attrapa sous les bras, et la porta à hauteur de ses yeux. Il l’observa un instant avant de la serrer dans ses bras.

« D’accord chtite, alors on s’ra d’là même famille.… Merci puce. » lui murmura-t-il dans n filet de voix. Alors qu’il l’enserrait, la première larme depuis des décennies roula sur sa joue parcheminée.  Il l’essuya discrètement du doigt, souriant désormais au premier membre de sa famille.

Pour toutes réponses, Nialcen installa l'enfant confortablement, assise sur son avant bras. Il passa l'écharpe autour de son cou, avant de se relever. Il pris soin de conserver la tête penchée, selon un angle bizarre, le temps d'être en mesure de se redresser. Il éteignit la lampe,  sorti à reculons et ferma doucement la porte.

Il regarda Nel' " On y va ! Mais on r'viendra faire du ménage et ranger tes affaire qu'est ce t'en dis ? "

Il se mis à descendre l'escalier, maintenant la petite fille de sa main libre. Il contourna la table, fit taire le poste qui crachouillé sa musique, avant d'éteindre la lumière. Il sorti de la petite maison, tira la porte derrière lui, et déposa Nelytsa au sol.

Il fit quelques pas vers la rue, et pandicula avec toute l'amplitude que lui offraient ses bras, le temps que la petite fille puisse refermer le verrou.

La petite s'accrocha à lui, visiblement en proie à un grand déchirement. Ce ne devait pas être facile de s'en aller de chez soi .... Lorsque l'on en avait un, bien entendu.

Il souleva délicatement la petite fille et la blotti contre lui. Il lui caressa les cheveux, saisi sa peluche à sa ceinture et la lui fourra dans les pattes.

Il fit quelques pas, sans cesser de câliner la petite, avant de lui demander simplement.

"Tu m'montre par où c'est ?"