Dojo, l'école du Sao Lim:

Ce n'était pas tous les jours que Saskia mettait les pieds dans le quartier Nord. La curiosité, sûrement, l'avait poussée à aller flâner de ce côté-ci. Et de drôles de rumeurs aussi. Elle qui traînait la nuit dans des lieux toujours plus sordides, doux euphémisme pour désigner le quartier Sud, avait entendu parler d'une école ou plutôt d'un dojo réputé dans les arts martiaux. La Russe était non-violente et ne connaissait rien à cet univers mais elle n'oubliait pas les événements du printemps dernier au centre commercial, se souvenant avec précision de la terreur qui avait saisi la foule, elle comprise, et de la balle qui lui avait mordu la cuisse, sans raison apparente. Elle se rappelait de son incapacité à agir et de la mort qu'elle avait frôlé. Elle aurait pu mourir ce jour-là et adieu Avdeï. Elle ne pouvait se  résoudre à choisir une arme alors pourquoi ne pas tenter un apprentissage quelconque ? Certes, même les rues du quartier Nord paraissaient avoir troqué leur goudron pour de la tourmaline noire et le moindre de ses pas paraissaient briser ce silence lourd et pesant qui enveloppait le lieu tout entier. Elle n'était pas à sa place ici.

La junkie jeta un coup d'oeil derrière elle. Personne pour la suivre, pure habitude, personne pour la reconnaître par ici. Hormis peut-être la jeune Stella qu'elle n'avait pas recroisée depuis leur première rencontre. Aucune attache dans ce quartier, juste les regards suspicieux à son encontre face à sa dégaine. Son manteau noir d'hiver lui recouvrait le corps, Saskia paraissait encore plus minuscule dessous.

Le bâtiment se dessina enfin. D'une architecture complexe, le lieu lui apparaissait totalement étranger. Elle se sentait encore moins en sécurité ici alors qu'elle errait près d'un lieu sacré de combat et de défenses. Les arts martiaux pour tous. Connerie.
Sa main glissa sur la lourde porte et le passage se dégagea devant elle. Avant d'entrer, elle ignorait à quoi s'attendre. Maintenant, elle était fixée.
De l'animation partout, du bruit tout autour d'elle, des hommes et des femmes en tenues traditionnelles faisant virevolter l'autre sur les tatamis. Depuis l'entrée, Saskia observait ce spectacle avant d'apercevoir la foule qui hantait déjà les gradins. Il y avait du monde. Et la jeune fille se sentait perdue au milieu de tout ce monde.

Une exclamation retentit depuis les tapis et tous s'inclinèrent pour se saluer avant de se disperser. Etait-elle arrivée au bon ou au mauvais moment ? Difficile d'en juger. Déjà la foule dans les tribunes se levait pour prendre le chemin inverse. Le spectacle était fini et Saskia ne remportait avec elle que des bribes dont elle n'avait pas encore conscience.
Mais à qui s'adresser parmi les personnes présentes ? Déjà tout le monde partait se changer. Y avait-il un professeur ou quelque chose du genre dans la salle ? La demoiselle se dirigea vers un homme quelque peu en retrait, ayant participé à la démonstration.

– Excusez-moi, ce serait pour un renseignement...

Est-ce qu'il y avait un protocole à respecter lorsque l'on s'adressait à quelqu'un pratiquant des arts martiaux ? Une courbette pour faire plaisir, un signe de croix alambiqué ? Tous étaient des gens comme elle, qu'ils ne commencent pas avec leurs rituels gestuels. Peut-être était-ce important pour eux mais pour Saskia, cela lui passait totalement au-dessus.

La demoiselle n'avait toujours pas pu apercevoir le visage de celui à qui elle avait adressé la parole. De dos, elle n'apercevait que sa chevelure brune. En cet instant, elle se sentait terriblement idiote d'être venue là. Cela crevait les yeux qu'ils n'appartenaient pas au même monde et qu'elle n'avait rien à faire ici.

La demoiselle sursauta lorsque le jeune homme prit la parole. Sa voix n'était pas particulièrement puissante mais elle en restait surprise malgré tout. Encore plus surprise par les premiers mots qu'il lui avait adressés. Pour sa fragilité féline, il avait vu juste. Un chaton, oui, sûrement. À croire que la traduction de son nom de famille, kochka signifiant chat en russe, déteignait un peu trop sur elle, notamment sur ses réactions et son comportement. Pour ce qui était du dragon, il se trompait lourdement.

La Russe dévisagea son interlocuteur. Ses traits fins et ses yeux presque rouge avaient de quoi effrayer. Surtout ses yeux. Elles paraissaient le scruter. En sa présence, elle ne se sentait pas parfaitement à l'aise et n'avait ressenti pareil sentiment qu'en présence d'un autre jeune homme jusqu'à aujourd'hui. On aurait dit deux rubis ou deux braises fixés sur elle.

– Vous avez mal vu alors, y a pas de dragon en moi, ou alors il est bien caché...

Il était rare que la Russe vouvoie un de ses aînés. D'ordinaire, elle se laissait d’instinct guidée par le tutoiement, insolente qu'elle était, ne trouvant d'estime en quiconque. Le seul être à avoir pu profiter d'un tel traitement de faveur pareil depuis qu'elle était à Palema n'était autre qu'un Russe, le patriotisme ayant primé en Saskia en sa présence.

– C'est beau ce que vous faîtes, tous ces mouvements. J'ai bien aimé la démonstration bien que je n'ai pu assister qu'à la fin !

De la simple flagornerie ? Saskia en habile flatteuse ? Non, elle était sincère dans les mots qu'elle utilisait. De prime, la Russe pensait que tous ces sports de combat n'étaient que de la violence à l'état pur. Pourtant, en observant cette masse fluide, ces gestes parfois lents, parfois rapides mais toujours d'une précision exacte, elle s'était sentie captivée, un peu comme si elle avait pu assister à un ballet vivant sous ses yeux. Un ballet placé sous le signe de la violence. Elle gardait bien en tête que tous ces sports étaient avant tout là pour l'attaque et la défense, en aucun cas pour faire joli. Mais sa sensibilité la rattrapait au galop.

– J'aimerais bien… apprendre à faire ça, moi aussi. Mais je suis pas sûre d'être douée dans le sport, encore moins dans un sport de combat, fit-elle tout en baissant la tête, ni même d'avoir les moyens tout court.

Parce que oui, ce dojo paraissait avoir une réputation à tenir tout en étant assez discret. Les frais d'inscription devaient être onéreux. Pour faire simple, la brune pouvait se permettre de dépenser un chiffre avoisinant le zéro pour pareil entraînement. Elle n'avait aucun revenu et le peu de sous qu'elle parvenait à glaner, elle le dépensait. La plupart du temps en doses quotidiennes et autres pétards mouillés dans le but de s'oublier un peu mieux. D'autres fois en nourritures pour tenter de remplumer sa misérable carcasse qu'elle traînait.

Non, Saskia n'avait rien de jolie quand on la regardait de plus près. Entre ses joues creusées, ses veines sombres et son corps fin qui paraissait manquer de se briser à chaque mouvement, Saskia était tout sauf jolie.

– C'est stupide, hein ?

Oui c'était stupide, totalement stupide. Elle n'était pas taillée pour l'affrontement, encore moins pour un sport de combat, aussi beau et poétique qu'il soit. Elle n'y connaissait absolument rien et ne pouvait compter que sur ses jambes qui lui permettaient de détaler dès que le danger avoisinait. Courir, elle savait faire. Pour ce qui était de projeter ses semblables contre un petit carré rouge faisant office de tatamis, ça, c'était déjà plus compliqué. La junkie baissa les yeux, confuse et honteuse, souhaitant juste disparaître en cet instant. Elle le dérangeait pour rien, c'était l'évidence même.

Débit de paroles étonnamment rapide pour celui qui donnait de prime l'impression de n'être qu'un sage silencieux ! Difficile pour Saskia de suivre un rythme aussi ponctué. Certains mots lui échappaient, son cerveau n'ayant pas le temps de comprendre ce que lui adressait le jeune homme. Etait-ce important ? Son esprit fit le tri, elle perçut l'essentiel de l'information, du moins lui semblait-il. Elle, qui n'était pas native de ce pays, n'avait pas l'habitude d'entendre un discours aussi long et rapide dans la bouche d'autrui.

Mouvement rapide de la part de la tête de la junkie de haut en bas. Elle percevait plus ou moins les grandes lignes qui s'évacuaient depuis la langue du brun. Elle aurait été bien plus à l'aise si son locuteur avait pu lui tenir les mêmes mots dans sa langue d'origine, en Russe, mais inutile de trop en demander. C'était à elle de se plier à la force de ce pays, à elle d'apprendre les nuances et les pastels différentes de cette langue qui n'était pas la sienne.

– D'accord… Juste… Evitez les trop grandes phrases complexes avec moi, déclara-t-elle tout en laissant claquer son accent Russe comme d'accoutumée, c'est que je ne maîtrise pas parfaitement cette langue.

Au moins serait-il prévenu désormais. Elle reporta aussitôt son regard sur les différentes tenues, laissant ses doigts s'y égarer avant de trouver un vêtement dans la plus petite taille possible. Même ainsi, elle craignait que l'habit ne coule pas parfaitement sur sa peau tant elle avait maigri ces derniers mois. Le noir détonnait avec la seule touche de rouge. Une tenue purement traditionnelle, en accord parfait avec le lieu où elle se trouvait.

Elle balaya du regard le grand dojo avant d'apercevoir une indication menant aux vestiaires. Elle ne serait pas longue, juste le temps de se débarrasser de ses frusques quotidiennes pour enfiler celles-là, totalement différentes. Elle s'éclipsa d'un pas rapide, ne souhaitant pas trop faire attendre le combattant.

Elle revint bien vite, la tenue enfilée. Elle avait le sentiment d'être un imposteur dans cette tenue, d'usurper un bien qui ne lui revenait pas. La même tenue sur le garçon lui allait à merveille, à lui, ses traits asiatiques se fondaient dans ce vêtement, il paraissait ne faire plus qu'un avec l'habit. Saskia, elle, se sentait pantin dans ce tissu. Au moins n'était-il pas trop grand pour elle et pourrait-elle se permettre de faire des mouvements amples et fluides. C'était bien pour cela qu'elle était là, non ?

– Et maintenant ?

Elle se doutait qu'il ne lui avait pas demandé de se changer pour ensuite aller cueillir des champignons. Bien que l'automne était présent, ce n'était pas vraiment le genre de la maison, mais vraiment pas du tout.

– Vous allez me donner un cours ? Un vrai de vrai ?

Elle préférait en avoir le cœur net. Sa voix trahissait un espoir et une joie non dissimulés. À la base, elle n'était venue ici que pour récolter que quelques informations. Il faut croire que pour une fois, la chance lui souriait. Mais inutile de s'enflammer. Même si ce jeune homme acceptait de lui enseigner quelques mouvements, il lui faudrait des années pour arriver ne serait-ce qu'à la cheville du plus mauvais des apprentis de ce dojo. Son corps n'était pas taillé pour le combat, elle le savait.

Etait-ce du Russe qu'elle venait d'entendre ? Saskia leva de grands yeux étonnés. Depuis combine de temps n'avait-elle pas entendu le moindre mot prononcé dans sa langue d'origine ? Une éternité pour ses oreilles. Venait-il des steppes reculées lui aussi ? Son faciès criait l'Asie pendant que sa langue hurlait à la Russie.

– Vous... Vous parlez le russe ? questionna-t-elle dans la même langue, voilà quelque chose de peu courant pour un natif asiatique !

Il ne fallait pas se laisser distraire. La demoiselle chassa cette bonne surprise tout comme elle aurait chassé une mouche lui tournant trop autour, son esprit essayant de se fixer à nouveau avec cette réalité dans laquelle elle était inscrite. Se concentrer. Ce ne serait pas de trop avec ce qui l'attendait. Son premier cours. Elle était toute excitée mais essayait tant bien que mal de le dissimuler, bien que son ton enjoué précédent quant à l'annonce du garçon l'avait déjà trahie.

– Saskia, Saskia Kochka.

Présentation sobre, l'heure n'était pas aux extravagances. Mieux valait garder en tête le patronyme de celui qui donnait un peu de son temps pour elle. En espérant qu'il avait raison quant aux faibles espoirs qu'il plaçait en elle. Saskia n'avait déjà que trop déçu son entourage.

La première leçon lui fit l'effet d'une bombe. Attaquer celui qui se nommait Lenka ? Non, ce n'était pas dans ses cordes. Déjà le combattant avait légèrement changé sa position initiale. Rien d'offensif, ni même de défensif pour les yeux inexpérimentés de la Russe. Etait-ce une espèce de test ou d'épreuve qu'elle devait passer pour être acceptée dans ce dojo ? Si tel était le cas, c'était mal parti.

– Mais... Non ! Je ne vais pas vous attaquer sans raison !

Avec ce genre de raisonnement, elle n'irait pas très loin. D'autant plus qu'elle ne savait pas frapper, sa force était aussi inexistante que l'astéroïde B612, bien que cela restait à prouver tant pour l'astéroïde que pour la puissance de Saskia.

Non. Elle ne pouvait pas garder ce raisonnement éternellement. Comment pouvait-elle espérer être une bonne grande sœur pour Avdeï si elle était incapable de le protéger et de se défendre elle-même ? Et si elle parvenait à retrouver son petit frère, quelle vie lui offrirait-elle ? Une  existence pitoyable qui ne valait guère mieux que Moscou ? Elle ne pouvait se permettre cela, ce serait bien trop cruel pour lui. Alors oui, il fallait agir, et vite.

Quelques pas pour reculer avant de prendre son élan. Trois fois rien. Elle n'avait rien d'un dragon mais tout du chaton, il le lui avait dit lui-même. Alors elle s'élança, bondissant à la manière d'un félin, poids en avant, de manière à renverser son adversaire d'un jour. Non, elle n'avait jamais eu l'intention de lui porter le moindre coup. Juste le prendre par surprise pour qu'ils soient au sol, les tapis amortissant la chute.

Qu'il était étrange de jouer à la vague emportant tout sur son passage. Elle avait le sentiment de s'être heurtée à un récif bien trop gros pour elle, un solide roc que l'écume ne pourrait jamais plier car insubmersible.

Le souffle coupé, la demoiselle atterrit sur le tais. Ce n'était pas le plan initial. C'était lui qui aurait dû chuter et non l'inverse. Elle se redressa, ahanant, posant sa main droite sur son ventre endolori. La douleur allait s'estomper, elle le savait. Elle entendit les paroles de Lenka. Se donner à fond, il était marrant, lui. Comment pouvait-elle combattre alors qu'elle n'avait aucune idée de la manière pour s'y prendre ? Non, Saskia n'était pas une combattante. Son corps le hurlait à des kilomètres à la ronde.

Peut-être ne disposait-elle d'aucune puissance à portée de main mais elle pouvait réfléchir un minimum avant de porter un coup la prochaine fois. Plutôt que de foncer comme précédemment dans un geste vain et inutile, la réflexion serait primordiale. Très bien, mais par où commencer ?

– Si je devais me battre pour ma vie, j'aurais déjà décampé ! Faudrait vraiment que je sois stupide pour voir que je ne fais pas le poids !

Priorité à la fuite, toujours. Privilégier la course plutôt que l'affrontement. Cette technique lui avait déjà permis de s'échapper de nombre de situations délicates et compliquées dans lesquelles elle aurait été en bien mauvaise posture dans un combat singulier. Malheureusement, si elle était ici, c'était justement pour apprendre à ne plus fuir. Une manie qui avait la dent dure et qui continuait de lui souffler de faire demi-tour en cet instant car tout n'était qu'inutilité. Un entraînement vain.

La demoiselle avait le champ libre, à elle de faire ce que bon lui semblait, le coup le plus approprié. Les coups bas aussi étaient permis, nouvelle règle décrétée par la Russe. Nouvelle règle qui ne l'aidait pas beaucoup, tant la demoiselle ignorait tout de la manière de s'y prendre.

Poings devant elle, elle fixa son adversaire. Que cela soit à l'aide d'un jeu de jambes ou de bras, la demoiselle était mal partie tant ses connaissances en l'art du combat avoisinaient le zéro. Lui balancer un bon vieux coup de poing pour tenter de viser elle ne savait quelle partie du corps ou se la jouer purement instinctif en jouant du pied ? Saskia opta pour la seconde solution, tentant de viser l'entrejambe du mâle qui lui faisait face. Une tactique comme une autre, qui, il fallait le reconnaître, l'avait déjà sortie de quelques mauvais pas si la fuite n'était pas permise. À voir ce que cette faible tentative donnerait contre un repu des armes.

Le coup fut dévié avant même qu'elle s'en rendit compte. Légèrement, sa jambe frappa le vide pendant que ses yeux observaient sa vaine tentative de blesser son professeur. Impuissante, elle n'eut pas le temps d'assimiler cette nouvelle information, d’enchaîner, de réagir, qu'elle se retrouva à nouveau face contre le tapis le temps d'un baiser avec la texture qui ne lui plaisait pas. Elle allait devoir s'y habituer. Sûrement allait-elle beaucoup tomber pour pouvoir mieux se relever. Apprendre de ses erreurs pour faire de son corps une arme à part entière. Le résultat lui paraissait à mille miles, inaccessible. Toutefois, Lenka croyait en elle. Elle le sentait. Sa langue aurait pu mentir mais ses yeux, eux, ne sauraient. Un regard empreint de douceur qu'il posait sur elle, aussi affectueux et doux qu'une caresse. D'un maître à l'élève.

La demoiselle se releva, écoutant son discours. Cela la fit sourire. De ce même rictus mystérieux qu'elle arborait lorsqu'elle devait contenir la moquerie qui ne désirait que sourdre hors de sa bouche. Par respect, peut-être aussi par crainte, elle se tut. Elle n'était pas une bonne à tout faire. Hors de question de rester à l'écart des autres disciples, d'observer dans l'ombre, elle occupée à laver les habits de combat pendant que les élèves apprenaient sur le tatamis. Pourtant,  l'observation était un excellent moyen pour en découvrir un peu plus sur le domaine visé.

– Je n'ai pas attendu de venir ici pour me trouver un toit, déclara-t-elle tout en songeant au squat minable dans lequel elle créchait, tous les exercices que vous pourrez me donner ne me font pas peur mais ne comptez pas sur moi pour être votre bonniche.

C'était dit.
Mieux valait être honnête plutôt que Lenka l'apprenne par lui-même, constatant le travail bâclé ou pire, inexistant. Ce refus allait-il marquer un net changement d'avis ? Saskia ne l'espérait pas. Elle ne s'était pas laissée mettre au tapis à plusieurs reprises pour échouer si près du but, échouer par orgueil et vanité. Son entière responsabilité.

– Demande-t-on à un parfait étranger d'entretenir sa propre demeure ? Ce dojo n'est-il pas comme un chez-soi qu'il revient au maître des lieux et seulement à lui de veiller avec soin ? commença-t-elle en russe en sachant pertinemment que son discours aurait été bancal en anglais, n'est-ce pas au disciple ou au maître de s'occuper personnellement de l'entretien de son habit d'apparat ou de son arme ? Laissez quelqu'un d'autre réaliser cette tâche serait bien ingrat de sa part. Une perte de confiance mutuelle de combattant à l'objet.

La Russe soutint le regard du guerrier. Elle aussi pouvait le prendre de haut. Ignorait-il qu'on lui avait enseigné un semblant de valeurs en Russie ? Sûrement. À la voir débarquer tout à l'heure dans l'antre, elle avait l'allure d'une misérable faisant tache dans le décor. C'était bien vrai.  Peut-être ses habits ne respiraient-ils pas le luxe mais sa tête, elle, était pleine.

– Je suis étonnée que pareille idée vous vienne à l'esprit, conclut-elle cette fois-ci en anglais, si c'est ça, trouvez-vous un autre pigeon.

Elle serait déçue de ne pas pouvoir se perfectionner au maniement des arts martiaux. Mais Lenka n'était pas le seul dans cette ville à savoir combattre. Peut-être trouverait-elle une autre âme généreuse pour lui donner quelques cours ? Elle avait eu extrêmement de chance de tomber sur lui, sans doute était-ce idiot de laisser passer cette chance pour la seule raison de ne pas vouloir devenir esclave des autres. Saskia, comme tous, avait sa fierté. Personne n'avait jamais encore su la piétiner et ce n'était pas un homme aux yeux bridés qui allait commencer.

La demoiselle tourna les talons, hors de question qu'elle se laisse rabaisser par un vulgaire inconnu. Adieu Lenka, qui rimait avec caca, et Utsugi, qui rimait avec pipi. Une boutade proche de la primaire mais en tout bien tout honneur, faut pas déconner quand même.