Dear Diary.




C’est fou, il me reste plus que quelques pages avant d’arriver à la fin, Robert ! T’inquiète, je ferai pas d’autodafé. Le tout premier journal, je l’avais jamais fini, alors ça me fait tout drôle de me dire que je devrais te ranger définitivement. Je sais pas encore ce que je vais faire de toi. T’es assez capricieux, faut avouer.
Mais vu que je m’en étais rendu compte un peu avant, j’ai acheté un deuxième journal. Je l’ai pris en bleu, pour changer. Parce qu’un bouquin noir, ça faisait trop sérieux, genre carnet de commandes ou menu du jour recommandé par le chef. Enfin, seulement si t’ignores les dizaines de stickers et tous les post-it qui dépassent en mode « Sortez-moi de là ».

Sur une note plus sérieuse, j’avais enfin décidé de rendre visite à Nylian. Enfin, à sa tombe. Ça fait plus d’un an que je m’étais fait cette promesse. J’aimerais bien faire un jeu de mot foireux à la « About time… », mais c’était ni l’endroit, ni le moment.
Ça me faisait toujours déprimer, les cimetières. Toutes les sépultures gentiment alignées. Y a des morts qui ont un truc tout naze qui tient même pas debout, et juste à côté, un piédestal de luxe VIP MVP en or marbré quatre étoiles. Wtf. C’était con, mais sur le coup, je voulais demander à Bey si l’argent investi dans ces autels aux morts servaient vraiment à quelque chose. Après tout, dans l’Égypte ancienne, les morts étaient jugés sur leurs possessions matérielles pour aller au paradis. Quoi, t’as vraiment cru que j’avais étudié l’histoire égyptienne ? Je l’ai vu dans un film hollywoodien lul. Et tout le monde sait que c’est vrai, ce qu’il y a dans les films.

Quand j’ai demandé au croque-mort « Nylian », il m’avait rétorqué « Nylian qui ? ». Et là, j’avais l’air d’un con parce que je connaissais pas son nom de famille. Heureusement que son prénom courait pas les rues. J’aurais eu l’air très intelligent, avec une « Emma ».
C’était en marchant à pas lourd à travers les rangées de pierres tombales que je m’étais surpris à lire les épitaphes. « Tu nous manques. » « Repose en paix. » « Si seulement tu étais encore parmi nous. » Depuis quand on a le droit de mettre des trucs de maniaco-dépressif aussi sévères ? C’était affreux de constater que ça m’affectait, en plus. Comme si je devais profiter de la vie tant que je le pouvais. Après tout, mon espérance de vie avait pris bien cher depuis que j’avais établi le contrat avec Bey.
Puis j’ai lu une autre épitaphe. « Je vous avais bien dit que j’étais malade. » Et j’ai souri.

J’étais finalement arrivé devant une curieuse tombe. De la verdure avait formé comme un cercle tout autour, à l’image d’un monument aux morts. Comme si les orchidées célébraient le marbre noir.
C’était la tombe de Nylian.

J’avais phasé pendant un long moment, à me demander comment diable ça aurait pu arriver. Un jardinier talentueux ? Un généreux donateur ?
Puis, une autre idée fugace. Une contractante.
Mais quand on mourrait, on perdait nos pouvoirs, non ?
Donc c’était débile.

J’avais arrêté d’y songer. J’avais fermé les yeux, et j’avais joint mes deux mains comme pour une prière ridicule. Je croyais pas en Dieu. Et pourtant, c’était bien le seul mouvement quasi-instinctif que mon corps avait effectué.
Pour quoi faire ?
Prier pour que son âme soit au paradis. Peu importe ce qu’il y avait après la mort. Qu’elle repose en paix, même après son suicide.

Est-ce qu’elle allait mieux, à présent ? Et aujourd’hui, est-ce qu’elle regrettait son geste ?

Ce genre de questions absolument pas approprié s’était pourtant emparé de mon esprit.
Puis, une pensée adressée à Warren.
En déposant les fleurs, je m’étais interrogé. Et si j’avais fait quelque chose ce jour-là, peut-être qu’on aurait pu devenir amis ?
C’était douloureux. Je me souviens encore du mépris que j’avais à son égard. Et je le regrette. J’aurais pu faire quelque chose. J’aurais pu agir à temps. Je connaissais déjà l’histoire, vu ce qu’il s’était passé avec Warren. Mais j’avais rien fait, trop empêtré dans mon orgueil et mes idéaux. Au point d’en devenir abject.

Mon regard vitreux perdu dans le vide, j’avais inconsciemment chuchoté :

« Désolé. »

Puis une nouvelle fois, plus fort.

« … Je suis désolé… »

Après un court instant de silence qui me paraissaient suffisantes (même si j’étais pas trop sûr de la durée nécessaire pour un recueillement), j’avais décidé de partir. Genre, trouver un endroit où je pourrais te laisser, Robert.
C’était un peu comme suivre la tradition de laisser un livre sur un banc de parc, finalement. Genre, avec un petit mot un peu cliché à l’intérieur, du type « J’espère que ce livre te plaira autant qu’à moi. » Mais ici, on parlait de laisser un journal intime dans la nature. Imagine le gars arrivait à te retrouver. Bon, même si j’avais pas mis de trucs archi personnels dedans, y avait des données sensibles, comme les blagues sur les arabes ou des infos sur les Nephils… Enfin, pour le peu qu’il y avait, on s’en foutait clairement. Et puis honnêtement, y avait 95% de chance que ce journal prenne la pluie avant que quelqu’un le retrouve, mais bon. Ou qu’il croie que je suis un illuminé. Ce qui est peut-être le cas.

Je m’étais éloigné du cimetière, perdu dans mes pensées, avant d’arriver dans la forêt en bord de plage. LA FAMEUSE. Celle où je m’étais paumé pour une histoire de drogue à la con. Eh beh, ça remontait quand même vachement. J’aimerais bien écrire « Pas tant que ça, vu que le RP a trainé en longueur », mais ça brisait trop le quatrième mur pour mon petit cœur fragile.

Bon, il va falloir que j’écrive les derniers paragraphes, mon cher Robert. On arrive au bout, là.
C’était étrange finalement, comme ressenti. Le fait d’achever une partie de ma vie et d’en commencer une nouvelle avec un autre journal. J’ai déjà trouvé un nom pour le suivant : Gunther. Joli nom allemand, tout ça.
Vu qu’on est parti sur des phrases clichées Robert, je te propose de continuer sur la lancée : un petit-post-it avec « Prenez bien soin de Robert ».
… Tu vois, c’est dans ces moments où je me dis qu’un journal, c’est quand même vachement pratique. Je peux écrire tout ce qui me passe par la tête en vrac, et personne pouvait me juger. Et je pouvais en plus revenir dessus pour y réfléchir.


Il serait éventuellement plus sage de résumer tout ce drama inutile dans ces mots : adieu. Et merci pour tout, Robert. C’est peut-être con de personnifier des objets de la sorte, mais je t’ai sûrement affecté une trop grande valeur sentimentale. Je vais me sentir vide pendant un moment, une fois que j’aurais mis le point final.
Pour te teaser un petit peu, je vais simplement te montrer ce que j’ai commencé à écrire sur Gunther : « Ceci est un nouveau départ. » Bah, encore un truc cliché, tu vas me dire. Mais ça me semblait plutôt correct, comme introduction.

Je le sens bien, pour une fois.