C'était donc ça, le choix que j'avais fait ?

On aurait dit que la vie avait repri son cours normalement. Comme d'habitude, je m'étais levée à six heures, comme d'habitude j'avais pris un café avant d'aller travailler, comme d'habitude j'ai passé une journée ni bonne, ni mauvaise : bref, la vie était redevenue un disque exempt de toute rayure, simple, prévisible, qui tournait sans s'arrêter. Ce jour là, pendant que je travaillais, j'avais aussi retrouvé la manie de me perdre dans mes pensées, naturellement j'étais comme ça et, avec la fatigue en plus, j'étais d'autant plus sujette à mes distractions. D'ailleurs un client me l'a reproché, il avait dit qu'il ne trouvais pas ça correct. Je ne sais plus s'il s'était adressé à moi ou à la personne qui l'accompagnait, mais cette même personne avait répliqué quelque chose que je n'ai pas entendu, puis l'homme s'est tu.

Le midi j'avais mangé des pâtes et je pensais fumer une cigarette, et finalement, je ne me suis pas limitée à une seule. J'ai pris quatre minutes de trop par rapport au temps de pause auquel j'ai droit, j'espérais ne pas être ennuyée pour ça, et, finalement, personne ne m'a rien dit, alors j'imagine que ce n'est pas si grave. Après ma pause du midi, j'essayais de rester investie dans mon travail sans divaguer dans mes pensées. En milieu d'après-midi une de mes collègues m'a demandé de l'aide pour enlever l'antivol de quelque chose. Elle me demande souvent de l'aide, et des fois, comme cet après-midi, ça énerve les clients qui attendent. Elle s'appelle Ashley, elle a des yeux bleus et des cheveux blonds, comme moi, mais finalement on a très peu en commun. Ça ne me gêne pas de l'aider, mais de toute façon je ne sais pas si elle travaillera ici longtemps, elle n'est pas très rentable, elle prend un certain temps avec chaque client.

Le soir, un peu avant de partir, un client a failli partir sans ses achats. Je l'ai rappelé et l'ai invité à prendre ses affaires, et j'ai eu l'impression qu'il mettait un certain temps à comprendre ce que je lui demandais. Le client d'après s'est plaint, puis je l'ai salué et il m'a répondu aussi froidement que je lui avait parlé. J'ai passé ses articles devant le lecteur, puis quand il eut à entrer son numéro de carte, je me suis perdue malgré moi dans mes pensées. Au moment où je me secouais la tête machinalement, en remarquant que je devais me concentrer à nouveau, j'ai réalisé que j'avais regardé fixement le client suivant dans les yeux en regardant dans le vide. Quand se fut à lui de régler ses achats, il engagea une conversation, tout sourire. Une fois ce client parti, ma journée de travail était terminée.

En me rendant au parking, j'ai senti une douleur assez légère à la cheville, j'en ai déduit que je m'étais blessée mais j'ignorais comment. Avant d'arriver là-bas, j'ai regardé dans mon sac si je n'avais rien oublié, et j'ai remarqué que mon paquet de cigarettes n'était plus rempli qu'à un quart. Je pensai à aller en acheter un autre, puis je me suis rappelée qu'il était tard et que je ne trouverais sans doute rien d'ouvert à cette heure. Chemin faisant, j'ai croisé à nouveau le client distrait qui avait oublié ce qu'il avait acheté. Il a couru vers moi, puis a mis un certain temps avant de prendre la parole. Je l'écoutais les bras croisés.

Il me demandait si je ne savais pas où se trouvait sa voiture. Je ne voyais pas pourquoi il pensait que je savait quelque chose, d'autant plus que je sortais à peine. Je l'ai regardé, suis restée assez neutre et lui ai dit que je ne savais pas, et qu'il l'avait peut-être garée plus loin. Je ne savais pas si cette entrevue allait durer longtemps, et j'ai sorti une cigarette de mon sac à main. Ce jeune homme avait un air très distrait, encore quand il était venu me parler. Je lui ai tendu mon paquet avant d'allumer ma cigarette. J'ai fermé les yeux en commençant à fumer, et j'écoutais ce qu'il me disait. Je me suis demandé si c'était vraiment la peine de chercher une voiture qui s'était peut-être fait voler, la réputation de ce quartier vient bien de quelque part. En rouvrant les yeux, j'ai relâché la fumée que j'avais dans les poumons à côté du jeune homme, fumée que le vent a effacée rapidement. Je me suis alors rendu compte que j'avais encore mon paquet de cigarettes en main, alors je l'ai rangé, puis j'attendais de voir si ce client allait simplement repartir où si cette conversation n'était pas finie.

En laissant parler le garçon, je tirais doucement sur ma cigarette. La feuille semblait se consumer doucement, puis je faisais attention à ne rien souffler de cette fumée insipide sur le blondinet. Suite à ce que je lui avait dit, il était vite reparti d'un air ennuyé, j'imagine, puisque ma réponse ne l'avançait pas vraiment. Je remarquais tout de même qu'il n'avait pas vraiment considéré ma supposition, il faisait bien ce qui lui plaisait, mais s'il devait commencer par quelque part sans aucune indication, ce n'était pas plus bête. Suite à ma réponse le jeune homme s'excusa comme s'il le devait, puis s'en alla. J'avais repris mes écouteurs et je cherchais dans mon sac mon téléphone. Il était tout au fond de ce dernier, et j'avais, en tentant de le récupérer, failli me couper avec un objet en métal, dont j'ai senti simplement la pointe avant de machinalement retirer mon doigt. Une fois que j'avais récupéré ce que je cherchais, je m'apprêtais à reprendre ma route de mon côté comme je pensais qu'il l'avait fait, mais il est venu me parler derechef.

Towertown était une ville à laquelle je n'étais jamais allée, et où je n'irai sans doute jamais. Sans même avoir considéré mon hypothèse, le jeune blond revenait me parler. Cette ville était loin pourtant, c'est inutile de s'encombrer d'un déplacement aussi important alors que Palema, et en particulier l'endroit où je travaille, ne proposent rien de particulier. Cependant il était venu tard, et je ne sais pas si ça ne serait pas la raison qui justifiait son trajet. Dans tous les cas, je n'avais pas grand chose à lui dire : Towertown étant une ville relativement peu intéressante pour moi, je ne m'étais jamais renseignée pour y aller, et de ce que j'en connaissais, il était peine perdu de vouloir y retourner d'ici à pied.

Je n'avais donc pas grand chose à proposer à ce jeune homme, je lui ai répété ce que j'avais dit, mais il en restait au même point. Cela étant, la supérette n'étant pas isolée du reste, il était possible voire probable qu'il ait garé ailleurs sa voiture, par manque de place par exemple. Je lui ai partagé mon avis, et ai supposé qu'il pouvait y avoir des bus qui circulaient également ; à moins que c'eut été uniquement valable pour les dealers en tout genre de l'endroit où j'habitais, Palema ne s'endormait pas si tôt.