Lieux:

La musique résonne dans mes écouteurs. Histoire de repousser les éventuels géneurs. Une chanson de Metal frappe à fond sa vibration grave dans mes oreilles. Histoire de m’empêcher de penser a autre chose qu'au battements irrégulier d’une musique puissante. Fuir un peu mes pensées, par n'importe quel moyen. Pourtant, je sens confusément la douleur aux tympans. Mais je ne risque plus de devenir sourde. Donc ça va.

En dehors de ça. Je suis sapé confortable. Jogging et survêtement sombres. Capuche délinquante abaissée laissant entrevoir quelques mèches nouvellement violettes. kebab semis entamé dans mes mains, le papier alu à peine replié entre mes doigts. Je suis posée ici, un peu hasard sur la pseudo terrasse d'un grec de quartier. Mes yeux se perdent dans la foule. Matte le taux de types déjà bien alcoolisée. En même temps, on est vendredi soir. L'heure est bien avancée dans la nuit et le jour reste idéal pour sortir. Le quartier est animé. Bruyant, vivant. Quelque chose que j'aime bien observer a défaut de pouvoir participer a ce genre de truc

Un miracle que je choppe des restes un peu foireux de kebab pour cette soirée. Quand bien même je le trouve dans le genre de lieux que ne fréquente pas les jeunes femmes d'une vingtaine d'année. Mais soit. J'ai laissé tombé la définition de normalité. Parfois, m'y conformer semble être devenu un supplice que je m’impose trop souvent a tord.

Je croque une bouchée supplémentaire de kebab, même si j'ai pas ce sentiment de faim à rassasier, ni même l'impression que ce truc n'offrira pas le moindre sentiment de satiété une fois terminé. Mais je me force a rester ici. Le cul posé sur une chaise inconfortable. Histoire de me laisser arracher un peu de repos avant le premier combat de la nuit.
Je songe un bref instant à Rekor, et il me semble que la bouffe a un peu plus de gout. Comme si ce sentiment réveillait quelques trucs depuis longtemps anesthésier.
Je me surprends a vouloir le voir. Mais c'est impossible dans l’immédiat. Aujourd'hui, il a encore quelques responsabilités de bras droit qui m’empêche de le monopoliser pour quelques paires d'heures. Tss
M'enfin, je pense que si je me fais une petite griffure. Ce serait un bon prétexte pour passer a l'infirmerie demander a ce qu'on m'offre un élixir de soin nan ? En espérant que le healer qui fait tout le temps la gueule ne soit pas de garde ce soir.
Ouais. Ça me parait être un bon plan

Autre bouchée de grec. Je me surprends à sourire dans le vide.

En ouvrant les yeux. Mon regard tombe presque malheureusement sur un visage familier. Réflexe : Je rabat doucement ma capuche, baisse la tête en faisant fait un tête a tête romantique avec mon kebab. Mes yeux scrutent nerveusement ses mouvement dans la foule. Trop tard. Il m'a vu.

La tête dans les nuages, mes pieds avancent seuls, foulant le sol irrégulier qui pave cette rue. Je ne sais pas ce que je fais ici. J’ai passé la journée plus à l’est, plus au nord, à voguer d’une bâtisse à l’autre, en quête d’une enseigne qui m’aurait échappé toutes ces années ; et voilà qu’après une journée d’inspection, mes semelles m’ont amené jusqu’ici, jusqu’à cette rue. Pourtant, je n’ai pas l’intention de vérifier la concurrence du coin, je sais que ce serait inutile – tout au plus, en bordure ç’aurait pu servir, mais pas ici, au cœur de ce quartier.
Peut-être que j’ai besoin, dans une espèce de validation de ma démarche, de retourner à Bunker Hill. Pour savoir comment les choses ont évolué ou régressé en mon absence, pour découvrir si les têtes que je connaissais sont toujours présentes, ou si je les ai abandonnées à dessein auquel elles se profilaient. J’imagine que j’ai besoin de retourner là-bas pour qu’on me donne une seconde fois le feu vert pour mes objectifs, comme il l’avait fait la première fois.

J’en sais rien, en fait. Va savoir, ça se peut que je délire là-dessus et que tout simplement je me sois perdu dans mes rêveries jusqu’à dériver ici. Ça se tiendrait tout autant, étant donné comment je suis capable de redevenir enfantin lorsqu’on me parle d’installer une taverne. Amusant, non ? Des années que je taisais cette facette de ma personnalité, et brutalement elle est venue s’imposer à mes proches, ne m’offrant de retenue rapide seulement avec Liorah. Comme si une espèce de spectre de la maturité m’avait brimé dans ma tentative de diviser mon âge.

Enfin, j’avance. Je ne vais pas aller au squat tout compte fait, je n’ai pas envie de faire face à ça. Je vais peut-être simplement rentrer, prendre au passage un truc à manger pour Ethan. Oui, bien sûr, la qualité de la bouffe du QG est clairement convenable, mais ça manque de kebab, quand même. Et vu qu’apparemment il y a pas mal de turcs dans le coin, je pense que je vais en prendre un par ici.
Les mains fourrées dans les poches, je zigzag à travers la foule jusqu’à m’approcher d’un vendeur installé, satisfait du prix proposé. Un grand gaillard me passe dedans et mes yeux perdent un instant de vue mon objectif, me forçant un papillonner les iris quelques secondes pour le retrouver.

Alors, je croise ses iris. Et je la reconnais. Même si elle n’a pas attendu pour planquer son visage sous une capuche, même si elle se cache derrière son repas emballé, je n’ai pas eu besoin de davantage de temps pour savoir qui elle était.
Luna.
Ici, là, près de moi. J’ai l’envie puissante de tracer ma route, d’éviter un combat qu’on ne m’a pas commandé, mais ce serait dangereux – partir, c’est offrir mon dos. Putain.

J’inspire rapidement, cherchant mon téléphone des doigts pendant ce temps mort miraculeux. J’y pianote brièvement quelques mots, avant de jouer de ma mémoire tactile pour l’envoyer au bon destinataire.

[S grande rue viens]

Je prie pour ne pas avoir raté mon code, ou bien pour le T9 n’ait pas fait n’importe quoi. Ce serait con que Lenna reçoive une bouillie incompréhensible au lieu d’une demande d’appui, pas vrai ?
M’enfin, voici que la première étape est réalisée. J’avance encore un peu, lentement, presque lourdement, pour m’arrêter à presque trois mètres de l’intéressée, l’air impassible.

« - Salut, Luna. »

Austère. Mais après tout ce qu’elle a fait, cette connasse, je ne vais certainement pas lui taper la bise en lui demandant de me raconter sa journée.

Sa réaction se fait pas attendre. Il s'approche de moi. Presque indifférent a ce qui nous entoure. Je reste stoïque. Le nez plongé dans mon repas. Je sais pas trop pourquoi moi même. Cette manie étrange que j'ai de rester connement assise avec mon kebab en main.

« - Salut, Luna. »

- Yo. Heureuse de te voir sur deux pattes

Je redresse ma capuche. Au point ou nous en sommes. S'il veut parler. Qu'il parle. Tout mon corps semble être tendu comme un ressort. Dans l'attente du moindre déclencheur de signe suspect a interpréter. S'il fait le moindre geste. S'il invoque son arme, je pense être capable de me redresser en balançant la table métallique sur le coin de sa figure.

Mais j'avoue, je ne comprends pas pourquoi il n'a pas tracé sa route. C'pas comme si j'avais déjà eu plusieurs occasions de le tuer et que je les avaient laisser. Pourquoi en fait il pas de même. Les accords tacites toussa toussa. C'est que du vent ? Je sens gonfler en moi cette appréhension. Celle qui apparait avant un combat a l'issue incertaine.
J'ai pas envie de mourir.

Pourtant... Pourtant je n'ai pas a chercher bien loin dans mes synapses pour détendre l'atmosphère. La réplique arrive, presque blasée. Qu'importe si on me prends pour une folle. Pour une meurtrière a moitié dingue. Le plus important. C'est que ça m'aide a rester calme. Ça m'aide a appréhender ce qui semble se profiler à l'horizon

-  Je suis actuellement tête à tête romantique. Tu peux pas venir plus tard ? ♪

Je pose doucement le kebab sur mon plateau. redressant la tête avant d'essuyer ma bouche un peu grasse. Nan. Il a pas l'air de vouloir tourner le dos et disparaitre du paysage.

- T'sais. Je suis pas une dresseuse de pokemon. Si tu croises mon regard. On est pas obligé de se battre, blondie."

Dans un coin de ma tête. Mon arme est là. Prête a percer la réalité pour fendre l'air en direction de mon ex. Pourtant, je reste là, une coquille vide aux allures détendues qui n'attend qu'un signal pour que la machinerie létale soit amorcée.

Son regard échappé du turc pour rejoindre le mien, je la fixe un instant écoutant sagement ses répliques, avant de soupirer. Elle me prend pour un abruti, sans déconner ? Elle croit que je vais tracer ma route tranquillement, comme si je ne l’avais jamais vue ? Allons, tu es censée être intelligente Luna, pas une sombre idiote – c’est à cause de toi que je ne continue pas à marcher, en t’oubliant volontairement. Parce que ce serait un crime. Un crime à la mémoire des miens que tu as massacrés, sans une once de pitié.
Tu me l’avais déjà avoué, mais on m’a tout raconté, tout ce que tu as fait, connasse. Comment est-ce que tu veux que je passe mon chemin à côté d’une femme désignée par ceux qui l’ont connue, comme une cible prioritaire ? Bibi, Marguerite, ce pauvre gamin, moi. A croire que tu fais exprès de laisser des témoins, comme si tu cherchais à être détestée plus que raison. Et si je dois te concéder un truc, t’as bien suivi les enseignements de ton enculé de prof, là-dessus.

« - Me prends pas pour un con. Tu vas pas me faire croire que, toi, tu laisserais filer un Seraph sans rien dire ? Faut que je te rappelle quelques uns de tes exploits, ou c’est bon ? »

Elle a déjà plus de sang sur les mains que certains n’en auront dans toute leur vie, alors qu’elle ne joue pas aux innocentes avec moi. Je sais quel monstre se terre derrière cette face angélique, et c’est hors de question que je passe l’éponge sur ça simplement parce qu’elle invoque l’excuse du kebab entamé.
Oh et puis, elle n’aurait pas pu crever depuis l’hôpital ? Ça m’aurait fait de belles vacances de ne jamais recroiser sa face, tiens. Qu’elle emmène aussi Blake avec elle d’ailleurs, histoire de se débarrasser des toutes les tumeurs en même temps.

« - Me prends pas pour un con. Tu vas pas me faire croire que, toi, tu laisserais filer un Seraph sans rien dire ? Faut que je te rappelle quelques uns de tes exploits, ou c’est bon ? »

Je hausse les épaule d'un air faussement détendu.  Qu'est ce qu'il croit ? Que j'ai que ca a faire que de me perdre dans cette guerre ? Y'a plus qui me motive que la simple haine des autres. Oh... Je dis pas que je déteste pas les Seraphs. Y'a quand même de ca. Mais je refuse de me construire uniquement sur ces fondations branlantes. Pas après que Russel me fasse espérer une autre alternative.
Howard, J'aurais pu le tuer au moins trois ou quatre fois sans l'avoir fait. Alors oui. Sa réponse me fait marrer. D'où le sourire qui flotte doucement sur mon visage. Un sourire presque tendre s'il avait été dans un autre contexte... Disons, plus amical.
Sous l'éclairage rougeâtre de l'enseigne où je bouffe, je devine que mon sourire laisse entrevoir des dents qui se teignent d'une couleur sanglante.

- T'sais. J'ai pas reçu d'ordre à ton sujet mon bichon. Et loin de moi l'idée de faire du zèle. Surtout quand je bouffe un kebab.

Je m'étire nonchalamment comme un chat. Pas que je surjoue la sadique. C'est plus une manière de repousser légèrement ma chaise plus loin de la table. Le ressort se positionne un peu plus pour réagir plus violement quand la pression se relachera.

- Néanmoins. J'peux te faire cette fleur. Mais tu ne devras t'en vouloir qu'à toi même d'avoir provoqué ca par ta propre connerie. D'acc ? ♪

Ouais, ouais, cause toujours, connasse. Tu sais que tu commences sérieusement à me taper sur le système ? Avec ton air suffisant et tes manières hautaines, comme si tu ne courrais pas le moindre danger à cet instant. Que j’étais une vermine qui n’était rien de plus qu’un obstacle sur le chemin divin de ton kebab ; que pour la Nephil toute puissante que tu prétends être, je valais tout au plus du menu fretin.
Et ça, cette arrogance, ce mépris, c’est à la fois terrifiant et terriblement énervant. Parce que, je n’ai pas de témoin pour me dire que tu fais erreur sur ton véritable niveau – pire, j’ai des voix qui m’ont rapporté la profondeur de ta barbarie.
Alors, si je n’avais pas cette once d’entêtement en moi, peut-être que je craindrais d’être encore là, à te défier. Mais sache que je m’en balance totalement de ce que tu peux déblatérer, et voilà tout. Oh, oui, ça m’attaque les plombs, sauf que c’est davantage une motivation pour le combat que pour la fuite.

« - Oh, si ce truc a tant d’importance, je le finirais après notre affaire, t’en fais pas. »

Quoi ? Moi aussi je m’y mets ? Et donc ? Elle me cherche, elle me trouve, les choses vont ainsi. Qu’on ne me dise pas que c’est un moyen de me forcer à entamer les hostilités, car je ne céderai pas à ces manipulations à deux francs ; plus elle parle, plus elle raconte sa triste vie, et plus Lenna approche d’ici. Dès qu’elle sera là, ce sera bien aisé de rabattre le caquet de Bluedie définitivement.
M’enfin, ne t’inquiète pas. J’aurai la décence de glisser quelques mots doux en ton honneur, mémoire de l’époque où tu ne portais encore aucune des stigmates de la garde totale que tu es devenue aujourd’hui. Tu sais que je t’ai sincèrement aimée, Luna ? Et tu sais aussi que tout ce qu’il arrive maintenant, est de ta faute ? Tu ne pourras t’en prendre qu’à ta connerie, et à Blake.

« - Oh, si ce truc a tant d’importance, je le finirais après notre affaire, t’en fais pas. »

Je sourie. Faut croire que j'aime bien cette conversation. Pourtant, il a l'air pas mal sérieux. Mais il ne se presse pas a engager le combat. Il est peut être devenu un bon acteur, ou alors, j'ai tout intérêt a presser le pas. J’hésite. J'aime bien tourner autour du pot. Me dire qu'il me reste quelques précieuses secondes avant que tout cela n'arrive.
Mais force est de constater que oui. Il est déterminé a me tuer. Ou a laisser un autre le faire a sa place. Et moi, je suis déterminée a survivre. J'ai trop de chose a faire en se bas monde pour le laisser quiconque me prendre la vie. Je soupire. Mon ennuie est sincère.

- Je vois. Tu la veux vraiment ta dernière danse. Un baiser après ce tango ?

Peu a peu, je me redresse. Le ressorts qui me sert de corps est tendu a son paroxysme. Prêt a exploser comme mon coeur dans ma poitrine. Il ne suffira que d'un rien pour que toute la tension se relache. Que le combat face place aux mots.

- Ou cette fois, tu me tuerais ?

Un rien.

Un baiser après le tango ? Si jamais c’était l’ancienne Luna qui se tenait face à moi, l’humaine, je serais tenté de répondre par l’affirmative. Sauf qu’avec celle qui prend réellement place devant moi, celle capable de prendre des vies sans sourciller et de s’en vanter avec la plus grande des arrogances, je ne peux que décliner. Mais pas comme l’on pourrait le faire avec quelqu’un de courtois ; non, j’ai envie de refuser avec toute la véhémence que je peux trouver en moi, avec toute la haine que je lui porte.
Il faut que j’éteigne mon cerveau. Cette femme me retourne beaucoup trop les méninges à me faire songer à des choses qui devraient être mécaniques : elle me provoque, alors je dois l’ignorer. Et non pas réfléchir à ce qu’elle vient de dire. Putain.

Encore, je soupire, pour la toiser de toute ma stature. Ses petits mouvements ne m’échappe, sa prise d’élan encore moi – je sais que l’affrontement s’approche à vive allure, tout comme je sais que ma prochaine réplique sera probablement ma dernière avant la fin des combats. Alors, elle sera simple.

« - Ouais. »

Cette fois, je la tuerai. A l’instant où cette unique syllabe vient se perdre dans les méandres de ses tympans, mon Kekkai se déploie presque de son propre chef autour de nous, englobant une partie de la rue pour nous offrir le plus grand terrain possible. Et dans le même temps, les contours flous de mon pistolet se profile entre mes doigts, ordonnant à mon bras de mettre mon ex en joue.
Malheureusement, je sais que je serai trop lent. Le premier coup, sera le sien. Alors, qu’elle tente,  mais à sa grande malchance, elle ne pourra pas m’atteindre. Ma main gauche est déjà là, prête à placer un petit bouclier à l’endroit où son arme viendra me chercher, et à repousser son assaut jusqu’à fragiliser son équilibre. Tu ne m’auras pas non plus à la ruse ma belle, car je sens ces choses-là.

« - Ouais. »

Le voici ce rien. Le temps n'est plus a réfléchir, ni même taper sur le système d'Howard. Le temps n'est plus a l'intimidation. Il est l'heure de taire les mots et de laisser place a la grammaire de nos geste. Un genre de danse létale. Le coté artistique en moins, je suppose. Mais bon c'est le genre de danse auquel nous sommes tous deux les plus habitués.

Ma pression se relâche. Mon corps se réagis comme le ressort que j'avais imaginé être, je bondis de ma chaise presque sans vraiment réaliser consciemment ce geste. Je perçois confusément que mes deux mains emportent la table dans la foulé. Histoire de la projeter sur Howard. Elle parcourt quelque mètres qui me sépare d'howard en tournant fébrilement au vol. Frappe a hauteur d'yeux. Merde, j'avais pas prévu de monter si fort. Je voulais juste atteindre sa main en joue. Histoire de dévier le tire que je suis sensée me prendre en pleine poitrine.
Si la détonation sonne sèchement. Je ne l'entends même pas. Probablement trop vite absorbé par le silence surnaturel du kekkai. En l'état. Je ne sais même si j'ai été touché. Trop de chose arrive en une poignée de secondes.Et j'ai autre chose à penser que faire état de la douleur et de mes blessures. On verra ça plus tard.

" Ne fait pas de promesse que tu ne pourras pas tenir, blondie"

Cette fois ci. Le ton est froid. Même pas couvert par le voile d'humour que j'emploie généralement dans ces situation. Entre temps, la table s'écrase lamentablement de tout son haut sur un truc jaune. P'tain. Pourquoi je me coltine toujours les gens qui ont des pouvoirs utiles en combat ? C'est d'la triche. Tellement de la putain de triche... Je ne peux même pas ordonner a la nature de m'aider. Même si je la ressuscite, elle m'obéis pas, l'ingrate. Mais soit. Je m'approche. Contournant le cadavre de table qui git sur la route qui mène à mon ennemi.

" Je risquerai d'être déçu ♪"

Sur le trajet. J'invoque ma hache. Elle déchire la réalité et apparait au coin de ma paume. Comme toujours, sa tiédeur, son poids, jusqu'au grain de sa texture. Tout ça me fait l'effet d'un anxiolytique. Le moindre détail me rassure. Me permet de me focaliser entièrement sur ce qui va suivre.  Je me tourne a demie pour donner de l'élan a mon coup. La courbe de ma lame entame déjà sa parabole meurtrière. Une frappe franche et horizontale. Simple et efficace. Presque trop prévisible. Une frappe qui menace sévèrement d'entamer l'aine de Howard

Un table. Oui, pourquoi pas ; j’ai bien connu un type qui se battait avec un parapluie, donc que Luna balance une table sur moi pour me faire perdre ma mire, ça me semble plutôt cohérent. Même, intelligent.
Pas comme moi, apparemment. Mon réflexe agit plus vite que mon intellect, plaçant une barrière là où l’impact aurait dû se produire, et traînant la carcasse de l’objet sur un triste mètre. Rien de bien suffisant pour gêner sa route, rien de bien utile, en fait. Merde.

Son arrogance me répond, simple annonciatrice de ce qu’il va venir. Elle s’élance, esquive son ancienne arme comme si elle n’avait jamais été là, puis tisse la silhouette d’une hache le long de ses paumes. Surprenante, d’ailleurs, celle-ci, mais je m’extasierai sur sa forme plus tard.
Tandis qu’elle approche, je ne reste pas sans rien faire. Mes appuies s’alternent rapidement, tandis que je commence déjà à anticiper la suite des actions, remontant enfin mon pistolet à une hauteur intéressante.

Puis, le cri sonne. Je découvre ses muscles se bander, alors que sa lame part dans une course vers le haut de ma hanche. J’attends un bref instant de plus, et place un deuxième bouclier là où l’impact devrait avoir lieu, forçant la tête de sa … Guitare ? à rebondir sèchement sur la paroi solide de mon pouvoir. Qui, il faut le dire, encaisse assez mal le coup – toute sa surface se craquelle sous la force de l’attaque, m’intimant l’idée précise qu’il n’en réprimera pas deux. Fait chier, on vient à peine d’entamer la danse, et voilà que j’ai déjà cramé mes deux atouts ? Ça pue, vraiment, ça pue.
Non, oublie ça, Howard. Interdiction de douter, l’important est de finir vite. Ou de faire durer, selon.

« - Joue pas à la maligne, sinon c’est ton arrogance qui va te décevoir, Bluedie. »

Là, c’est à moi d’agir. Mes deux poignets s’envolent ensembles, prêts à lui rendre la monnaie de sa pièce. Le gauche court en quête de son cou, pour le saisir et le comprimer, tandis que le droit file le long de son bras principal, cherchant à le perforer d’une balle aux alentours du coude.

Merde. Encore une saloperie jaune. Melusine ricoche sur la parois lisse. Et l'autre truc craquelle comme du verre sous le choc. M'enfin. Ca un coté rassurant de savoir que cette chose ne peut pas être invulnérable à mes coups. C'est même plutôt bon présage dans le fond.

Mine de rien. L'apparition du bouclier chelou me déstabilise. Et Howard profite cordialement de mon déséquilibre pour me saisir la gorge. Je ne panique pas sur le coup. Ce n'est pas comme si je risquais de mourir asphyxier. Sauf que je vois son prochain geste. Son prochain coup porté est... Nan ! Nan ! Ma main essaie de fuir.

Mue par une vieille strat qui a fait l'épreuve de John. Mon arme disparait de ma main droite. Réapparait en pendant dans le creux de ma paume gauche. J'offre une maigre impulsion a la guitaxe pendante. La force me mon arme est tellement plus frêle que de mon autre bras... Mais je sens sous mes doigts la chair d'Howard tenter vainement de résister à la lame aiguisée de Melusine. Je crois que même si le coup est fébrile. J'ai réussit à percer un muscle ou un tendon. Ou alors. Je n'ai pas fait plus que déchirer son pantalon.
M'enfin. Je n'ai pas le temps de me sentir satisfaite. Mon bras fuyant vient d'être rattrapé. Le contorsionner dans l'espoir d'échapper à sa prise n'a servi strictement a rien. Même la blessure infligée n'a pas réussit a lui échapper.

La détonation frappe dans le silence morbide. La douleur fuse comme une projection de peinture rouge sur une toile vierge. Elle frappe, ouvre un canal sanglant. De l’intérieur de mon poignet jusqu'au dos de ma main. Puis un second, de ma paume aux premières phalanges de mon majeur
Un bref instant. J'ai envie de hurler. Il y a comme un ouragan qui frappe ma pensée. Une tempête d'instinct. Un refus strict de mourir. Et puis bordel. Lui, il a pas des phrases qui sonnent aussi classe que les miennes. Alors je continue ce jeu. Ce fil rouge de paroles confuses. Sans aucun but que d'insulter l'autre

- Tu m'imites toujours aussi mal, Evans.

Je balance a nouveau mon bras vers sa jambe droit. Peut être un peux plus profondément.

Le recul de mon arme, le chaleur de son sang. Le contact entre sa peau et mon pouce qui s’enfonce dans sa gorge dans l’unique but de la ravager, son pouls qui s’emballe. Nombre de sensations, et pourtant toutes se font oublier un instant, un bref instant. Celui où la lame froide de son arme glisse le long de mon talon, le perce, le saigne, le tranche. Mon pied est tiré vers ma jambe, comprimé ; puis, avec une brutalité rare, libéré. D’un coup il part, sans plus aucune retenue, vers le sol. Et là, seulement là, la douleur gravit le long chemin des nerfs, jusqu’à éclater dans mon cerveau.
Putain, elle m’a sectionné le tendon. Ma hanche droite vacille sans crier gare, m’obligeant à forcer là où je ne devrais pas pour conserver un semblant d’équilibre.

Il faut que j’en termine avec ce combat, rapidement. Elle prend un avantage qui ne me plaît pas ; pis encore, qui me fait présager le pire. Et à côté de ça, bordel, ma main armée est coincée entre nos ventres, réduisant beaucoup trop mon champ de tire. Ça pue, ça pue, ça pue. Allez, Howard, fous-la dans la merde, arrête de réfléchir.
Alors mon canon bouge, sans pause. Son métal vient se coller contre son flan, et des balles fusent. Une, deux, trois. Plus haut, mon pouce continue son avancée, entame de défoncer son larynx. Oh, j’ai la douce impression que je suis en train d’enfin parvenir à lui faire fermer sa gueule, bon sang. C’en serait presque agréable.

« - Ferme-la, Nightingale. »

Encore un peu. Son cartilage me résiste, m’oppose plus de résistance que son épiderme mou, mais je ne m’arrête pas. Tais-toi, tais-toi, tais-toi. Je force, jusqu’à ce que mon doigt dérape et contourne le canal, pour heurter avec violence son œsophage. Merde, faut vraiment que la chance vienne donner un coup de main à ta grande gueule ? Fait chier.

Trois autres détonations. Elle brûle le long de mon aine. Force le passage a travers la peau, le muscle la graisse. Ressorte a dessus de mon aine. Comme trois sillon de douleur. J'ai confusément l'impression de boire de la javel tant la gorge semble me brûler.

« - Ferme-la, Nightingale. »

Il glisse. Libérant mes cordes vocales pour une énieme réplique.

- Dans ce cas, sert plus fort, Evans.

Sous la pression. Ma voix se déforme dans des teinte graves. J'ai l'impression d'avoir fumé plus de paquet de clope en quelque minute que dans le reste de ma vie entière. Mais je suis là. Avec mon ton de cancereuse en phase terminale. Mais toujours cette assurance dans la voix, ce sourire comme gravé sur ma peau. Ce clin d’œil opulent comme petite provocation.

Je regagne de l'assurance parce que j'ai compris qu'il se sert de moi comme d'un point d'appuis pour son équilibre. C'est d'ailleurs pour ça qu'il m'étrangle d'autant plus. Mon sourire se fait plus serré. Au point que même la moindre chose, même aussi petite que le bon sens d'Howard ne puisse se glisser entre mes dents.
Doucement. Mon pied droit glisse derrière son seul point d'appuie. Mon bras sanglant s'approche de son coude, je m'avance. Jusqu’à basculer avec lui vers le sol.

Mes balles l’ont percée, et pourtant elle tient debout. A croire qu’elle a plus de poignets d’amour que je ne l’aurais cru. Putain. Sa réplique grave résonne dans mes tympans, m’enrage encore davantage, et à l’instant où mes muscles se surpassent pour que mon pouce s’enfonce encore, je sens tout mon corps basculer brutalement vers l’arrière. Mon pied fou s’envole, mon coccyx percute le bitume solide, tout comme ma tête qui vient rebondir dessus. Je m’étale de tout mon long, surplombé par une Luna armée et menaçante.
Bordel, elle ne va pas gagner, quand même ? Mon arme file dans une autre dimension, pour revenir dans celle-ci par l’entrée de ma main droite qui a quitté sa prise, crosse en avant. Avant que mon ex ne puisse m’achever d’une coup de lame, je frappe son crâne avec toute la violence que je peux déployer, chargeur contre os, ratant son os d’un rien.

Alors, un bref instant, son regard incisif vacille. Sans hésiter ma main libre se saisit de sa gorge meurtrie et la tire brutalement sur le côté, jusqu’à ce que son bassin tout entier suive la danse pour me libérer temporairement de son emprise. Je bondis presque, boiteux, et dès qu’une poignée de centimètres nous sépare, je l’utilise. Elle. Ma barrière. Celle dont je connais l’existence pour sûr, mais dont je n’avais encore jamais eu la nécessité.
Sauf aujourd’hui.

S’élève soudainement entre nous un bouclier gigantesque, bien au-delà des dimensions habituelles. Même si elle est parvenue à fendre mes autres, celui-ci n’appartient pas à la même catégorie. Maintenant, elle ne mène plus rien ; non, elle est à ma merci. Qu’elle fuit, je la fusillerai. Qu’elle le contourne, je la tuerai. Qu’elle attende, je la viserai. Elle n’a plus d’échappatoire. Elle va crever.
Enfin.

« - C’est fini Luna. »

Je sais que je n’ai pas fière allure, avec mon pied levé et mon équilibre déplorable. Mais elle, avec sa voix défoncée, sa main trouée et son flanc sanglant, en a-t-elle vraiment davantage ? Non, et encore moins avec l’épée de Damoclès qui trône au-dessus de sa caboche. Je te hais, Luna.

« - C’est fini Luna. »

J'ai a peine le temps de me relever de son putain de coup de crosse que je vois un genre de gros bouclier me séparer de mon adversaire. je tente une simple attaque pour en évaluer la résistance avant de comprendre que c'est peine perdu. Et lui qui braque son arme sur moi a travers la barrière transparente... Tss. Quand je fais mine de traverser l’extrémité. Son canon me suit de son oeil unique.
Alors oui, ca me fait rager. Je refuse. Je refuse de crever de cette maniere. Surtout que je vois pas comment faire. J'ai pas de chaise ou de table a porté pour me mettre a distance. Et même là. Ca l'empechera pas de me canarder. Alors je n'ai qu'une solution. Foncer. Et prier pour que j'emporte sa vie dans l'élan.

Heureusement, je connais les faiblesses d'Howard plus qu'il ne connait les miennes. Je sais virer son air déterminé. Le déconcentrer. Le foutre en rogne. Alors je parle. Comme probablement jamais je ne m'autoriserai a parler dans ma vie. Si ca me permet d’espérer survivre.  
Mon sourire se tord dans un rictus figé en constatant son état.

"Regarde toi blondie. On dirait ce môme qui tremblait en me regardant tuer ses protecteurs. D'ailleurs, où étais tu a ce moment là ? Quand j'étripais ce bon vieux flic de Fox et que je maltraitais ce petit chaton ? "

L'injustice.Ça et le rappel de tes propres échecs. Ce sont là, les seuls maux qui peut te mettre hors de toi.  Ce sont là les mots qui pourront espérer me sauver. Parce que je te connais. Howard Evans. Je t'ai aimé. Il y a peut être un siècle ou deux. On s'aimait. D'une manière un peu artificielle et idéalisé. Quand on était tous les deux le paradis perdu de l'autre. Un jardin dans lequel aucun nuage ne semblait obstruer le ciel. Aucun contracteur ne venait foutre la merde.

Je dois parler. Parce que cette période est révolue. Qu'il va me tuer si je ne fais rien. Que tommy suivra peut être. Que Peter aussi. Chloe peut être.
Nan.
Je refuse.
Alors je reste concentrée sur l'instant ou cette barrière cèdera. Pour arracher les boyaux a quelqu'un que j'ai aimé et admiré. Un type sympathique. Un monstre que j'ai crée par ma propre abomination.

"C'est trop tard pour jouer les braves, il fallait plutôt le faire en temps utile ? Nan ? Apres tout. Tu n'as sauvé personne Howard Evans..."

La barriere ne commence même pas a s'estomper de la réalité qu'il semble mouvoir ses appuis. Elle va bientôt disparaitre. La course pour la vie va démarrer.

"...Et personne ne te sauvera"

La barrière disparait. Mélusine est déjà tirée au clair. Je sens l'odeur de poudre avant même d'entendre la détonation.

Respire Howard. C’est toi qui a la situation en main, pas cette connasse ; et tout ce qu’elle tente de faire, c’est de te faire paniquer. Là, ses mots, ses phrases, ça n’est que du vent, rien de plus. Un coup de pied dans un océan, un pathétique essai pour venir briser mes nerfs. Elle ne sait rien de moi, elle ne connaît rien du Seraph que je suis. Elle parle au hasard, elle cherche à agiter des cordes sensibles qui lui invisibles, rien de plus.
Des gens, j’en ai sauvés, putain. Je passe ma vie à faire ça, courir à travers la ville entière pour récupérer les miens qui ont été blessés par cette guerre ! Si je suis mauvais guerrier, c’est parce que j’ai choisi de sacrifier ma sécurité pour assurer celle des autres, bordel. Tu ne sais rien, rien, rien, rien du tout Luna !
Et si je n’étais pas là ce jour-là, c’est de ta faute. De celle de tes enfoirés de potes aussi, mais de la tienne après tout. T’as cherché à m’éloigner du QG pour que je survive à ce massacre ; mais ça n’était pas dans un élan de bon sentiment, c’était tout bonnement pour me faire culpabiliser. Sauf que tu ne m’auras pas, avec tes grandes phrases et tes reproches incisifs. Je suis innocent.

Merde, j’enrage. J’enrage parce que tu m’assènes des reproches stériles et sans fondements, que tu cherches à titiller là où ne peux pas le faire ; j’enrage car tu déverses des flots de mensonges sur ma tête, que tu craches ton venin gratuitement. Tu es le monstre, pas moi !
Je vais te buter. Je vais te déchirer la poitrine de ma balle. Je vais te faire fermer la gueule une bonne fois pour toute.

« - Mais ta gueule ! »

Je serre ma prise, mes dents, lance mon regard. Puis, le bouclier disparaît. Trop tôt. Beaucoup trop tôt. Je ne suis pas prêt. Tes pieds crient leur course, tandis que mon canon n’est pas à sa place.
Alors, je tire. Pour rater ton cœur, ta tête, tes poumons. Ton épaule accuse le coup, je devine que j’emporte assez de ta glène pour t’empêcher d’utiliser ce bras, mais ça ne suffit pas. Parce que tu seras sur moi avant que je ne puisse rétablir mon angle.
Oh, fait chier, j’ai perdu.

J'ai gagné.

Je sens mon bras brûler, ma mains laisse glisser mon arme par terre. Mais je m'en fiche. J'heurte de tout mon poids le coté blessé d'Howard. Il tombe, tente de m'emporter. Mais je m'esquisse vivement de sa prise avant que ses mains ne se referment sur le tissus de mes habits... Une fois a terre. Il tente de lever son arme. Mais je suis au taquet, mon pied shoot dans la crosse, envoie valser au loin le révolver dans un tintement métallique.

- Putain c'que t'es con.

C'est la première chose que j'arrive a articuler, a penser même. Tout en moi transpire l'instinct de survis mal géré. J'ai comme une rage qui remonte du fond de mes entrailles. Mon pied part sans que je m'en rende véritablement compte. Droit dans sa jambes endommagée.

-T'es conscient que je t'ai dis de quitter Palema et que tu ne l'as pas fait ? Que je t'ai dis de ne pas m'attaquer ici et que tu m'as aggressé ? Bordel de merde c'que t'es CON !

Un autre coup de pied frappe son ventre de toutes mes force. J'ai beau le pas pouvoir l'achever vu que mes deux bras sont incapables de porter Melusine. J'ai besoins de ça. De frapper ce type. Au moins jusqu’à satiété. Ma voix se teinte d'une colère animale. Si j'avais l'usage de mes bras... Je crois que je le défigurai à coup de poing. Je crois même que j'aimerai le faire.

- Si tu cherches un putain d'moyen de te suicider. Laisse Tommy et moi en dehors de ca. Merde !

En évoquant mon frere. J'ai un sursaut de rage. Mon pied remonte au visage et frappe avec violence la pommette de blondie. Puis sa mâchoire... Je perds doucement le compte des coups que je lui inflige.

- Tu peux pas juste quitter le navire et nous laisser gagner cette putain de guerre à Palema ? Hein ? Ca te tuerai pas pourtant !

J'crois que le vernis est doucement en train de craqueler. J'ai envie de chialer, J'ai envie de hurler cette tempête de douleur. Mais ce n'est pas le moment. Pas même le lieu où le faire. Ce n'est même pas la bonne personne a qui s'adresser.
Alors je me tais. Tout ça... Ça attendra au moins jusqu'au seuil de l'infirmerie.

Fébrilement, mes mains cherchent à protéger mon visage. A chaque centimètre qu’elles grimpent, un soubresaut les recule, une douleur les paralyse. Tout ça parce qu’au rythme de mes hoquets, un gong puissant perce mon corps tout entier. Sa semelle s’abat sur mon torse, mes pommettes, mon ventre, comme une mélodie d’amateur ; à chaque coup je ne devine pas où sera le suivant, mais je le sens déjà. Jamais le hurlement dans ma tête n’avait été aussi insistant, si présent – et tandis qu’elle meurtri mon enveloppe, j’ai l’impression que mon crâne va lui aussi se scinder sous les assauts incessants de Luna.
Elle est en train de me buter, lentement. Elle est en train de me parler, infatigablement.

Ses mots m’accusent de vouloir mourir. Ses pieds m’accusent de vouloir survivre. Mon regard fou, je le sens flancher. Mes paupières se rapprochent, ma vision devient pesante ; mon cerveau  perd le fil de mes pensées.
Je suis en train de crever. Sans répit. Mes nerfs m’informent à chaque instant des blessures que l’on m’inflige, de mes côtes qui se brisent, de l’état déplorable de mon nez et de ma face. J’ai mal. Putain, ce que j’ai mal.

J’essaie de prononcer quelques syllabes, sans succès. Je suis trop meurtri pour ça. Et pourtant, un zeste d’énergie subsiste en moi, en témoigne ce Kekkai qui tient toujours. Peut-être parce que j’ai l’espoir qu’elle vienne. Qu’elle me sorte de ça, qu’elle m’autorise à vivre encore un peu. Qui ça ?

Lenna. A l’instant où une main rencontre la paroi de cette dimension, mon esprit éreinté sait que c’est elle. Qu’elle est arrivée, à temps.
Alors, sous le sang de mes lèvres, un sourire laid se trace. Mes cordes vocales se contractent, se surpassent, pour offrir une voix rauque à l’ouïe de cette bête enragée qui me tabasse.

« - Lenna est là. Casse-toi maintenant, ou je la laisse rentrer. Et tu mourras. »

Sous l’effort de ces phrases, je peine à maintenir mon énergie suffisante. Mais parce qu’il le faut, parce que ce serait sonner mon glas sinon, j’y parviens.
Si tu tiens à la vie, va-t-en, Luna. Je suis peut-être faible, mais celle qui t’attend ne l’est pas.

« - Lenna est là. Casse-toi maintenant, ou je la laisse rentrer. Et tu mourras. »

Je tais mes coups. Puis je constate. Je constate la violence des coups qui parcourt son corps. Et soudainement, je suis fébrile. J'ai... J'ai fais ca ? Je... J'veux dire...  Je perds une demie seconde a réalisé son état. A réalisé que je ne suis qu'un putain d'instinct de survis. Un animal. Un monstre.

Mais la culpabilité devrait virer. Après tout... C'est entièrement de sa faute. C'est sa propre connerie qui l'a pousser a ça. Je lui ai dis que c'était genre... Une mauvaise idée. Et pourtant... Et pourtant... j'arrive pas a me dédouaner de la sorte. Tout ça... Tout ça, c'est de ma faute aussi. C'est moi qui apprécie le rôle de persécutrice nephil. A croire que je kiffe être détestable. C'est plus facile de supporter que quelqu'un me hait, plutôt qu'il puisse encore m'aimer. Hein ?
Je soupire. Mon souffle reprendre sa régularité. Ma voix cancéreuse jaillit du silence.

- La prochaine fois que tu affirmes que tu vas me tuer. Fait le, blondie.

Pas d'humour ou même une once de joie. Un genre de constat morbide et impitoyable : Il vaut mieux pour lui qu'il me tue plutôt que l'inverse. Je m'éloigne doucement en grognant sous la douleur que me provoque l'effort. Je tourne la tête prudemment vers Howard. Au cas ou s'il m'attaquerai a nouveau quand j'ai le dos tourné. Mais nan. Toujours au sol.
Même fébrile. Je relance la conversation d'un air lisse et presque enjoué une pointe de sarcasmes.

- Même si je préférerai que tu quittes définitivement cette ville.

Je lui accorde un maigre regard avant de disparaitre doucement dans une rue adjacente.

Le message était on ne peut plus clair. Un code qui l'avait déjà sauvé, et qu'elle aurait préféré ne pas recevoir. Quartier Sud, rue principale. Elle laissa en plan ce qu'elle s'apprêtait à voler dans l'enseigne - tant pis pour le mystère de ce haut trouvé au milieu du magasin - et courut à toute vitesse pour héler un taxi.

Elle tapotait des doigts sur la portière, trouvant que le véhicule était loin d'aller assez vite. Si seulement elle pouvait utiliser ses ailes, elle irait certainement plus vite à vol d'oiseau quand utilisant un mouvement terrestre. Elle craignait trop d'attirer de nouveaux ennemis sur le lieu du combat. Naoto lui avait aussi explicitement demandé de ne pas s'entrainer à l'extérieur, et elle comprenait les enjeux.

Le taxi eut à peine le temps de s'arrêter qu'elle était déjà dehors, et cherchait des yeux la muraille verte caractéristique. Quand elle l'eut repéré, ses pieds l'entrainèrent vers le côté le plus proche.

Howard si c'est toi, laisse-moi entrer !

Elle émit cette pensée de toutes ses forces, espérant réussir à avoir l'effet voulu. Que Howard lui ouvre la porte, avant qu'elle ne se prenne de pleine face. Bizarrement, elle avait l'impression d'aller plus vite que la normale. Elle percuta la zone verte et disparut des yeux des humains. Au même instant, elle comprit d'où lui venait cette vitesse : ses baskets ne touchaient plus le sol. Surprise, elle faillit se manger le bitume, et se rétablit de justesse d'un coup d'aile, évitant d'un poil Howard, en tombant sur les genoux à côté de lui. Ses atterrissages laissaient encore sérieusement à désirer. Elle observa le corps, et tapota la joue d'Howard alors que ses ailes se rétractaient d'elles-mêmes.

Reste avec moi. Le Nephil est parti ?

Elle restait sur ses gardes, on n'était jamais à l'abri d'un coup de pute.

Fais chier, putain.

Elle ne se baladait pas avec une trousse de secours sur elle. Sans doute quelque chose à améliorer. Plus tard. Il n'y avait pas trente-six solutions. Elle ôta son T-shirt - encore un vêtement bon à jeter - déjà troué par les précédentes ailes, ne gardant que sa brassière de sport, ou de combat si on veut. Ses dents commencèrent à déchirer le tissu.

Quelle est l'ordure responsable que je le tue ?

Ajouta-t-elle entre deux coups de dents. Son visage avait tout du masque d'horreur, entre le sang qui coulait, les bleus, et l'impression que ses os avaient aussi pris un sale coup. Lenna ne put s'empêcher de grimacer.

Toujours cette même rengaine, putain. Répète-moi encore deux cents fois de quitter cette ville, que je ne le ferai pas, Luna. J’en ai rien à faire de crever au combat, si ça peut aider les miens. J’en ai rien à faire de voir ta seule gueule à jamais, si ça peut me permettre d’entraver ta folie sanguinaire. Surtout, j’en ai rien à foutre de ce que tu penses. T’es qu’une connasse de Nephil, une enfoirée de tueuse, rien de plus. Rien de plus. Non, rien de plus !

Poussé par mon soupir – plus proche du râle, en réalité -, un mince filet de sang s’écarte de la commissure de mes lèvres. Mes yeux mi-clos peinent à suivre sa fuite, tandis que on corps tout entier crache de fatigue, m’intimant avec force de relâcher ce Kekkai qui m’éreinte de trop. Mais, je ne peux pas faire ça, hein ? Ce serait m’exposer à des humains, dévoiler des choses, rajouter du travail à des Seraphs déjà bien occupés. Alors, simplement, je dois tenir encore un tout petit peu. Juste le temps qu’elle arrive au contact de ce mur verdâtre, et qu’elle me tire de ce bitume.
A deux doigts de perdre le rythme des secondes, j’ouvre tous les pores de cette dimension. Que l’une sorte, que l’autre entre, que quoi que ce soit, je n’ai plus la force de songer à ce que je dois faire.

Lentement, je sens mes chaînes mentales se faire étirer par ma conscience qui cherche à s’échapper, et à mesure que mes iris s’envolent, je sens que mon contrôle sur les lieux s’amenuise. Mes paupières se touchent, ma vision se perd, et …
Une voix familière me tire hors de cet état, un instant. D’un œil je scrute par mon faible champ les environs, jusqu’à deviner une silhouette connue. Lenna est là. Les pointes de mes lèvres se soulèvent à peine, suivant ce courant de soulagement qui se propage tout du long de ma peau tuméfiée.

Je l’entends, sans répondre encore. Mon cerveau décrypte lentement ce que j’ai à comprendre, alors que je la perçois s’agiter, un tissu qui cache une partie de son crâne.

« - Luna. Je crois qu’elle est partie. Mon Kekkai va lâcher. Merci. »

La voix toujours rocailleuse, seules quelques phrases misérables trouvent le chemin défoncé de l’air libre. Doucement, ma tignasse s’enfonce un peu plus vers le sol, tandis que mon menton se lève à peine pour conserver le contact visuel.
Puis, enfin, un ultime choix s’offre à moi. Et contraint par la situation, obligé de prendre le parti de ma conscience, je perçois que ma mainmise sur la dimension s’évapore brutalement, nous ramenant d’un coup dans la réalité. S’il te plaît Lenna, répare ma connerie.

A l'angle de la rue. Je jette un ultime coup d'oeil en arrière. L'oreille attirée par un bruit de choc. Je me retourne juste assez pour constater que ce n'était pas du bluff. Une silhouette haut perchée vient de rejoindre Howard à terre. Je reconnais sans mal la stature et la chevelure d'une autre vie que j'ai sauvé. Est ce qu'elle venait de tuer un Nephil ce jour là ? Probablement. Et cette pensée aigre m'offre un relent de violence difficilement contenable.
Mais soit. Je suis définitivement pas en état de me battre. Elle a de grandes ailes blanches m'indique qu'elle est probablement une vétérante. Et même si je tiens tête à John quand il les déploies. Je suis même pas en état de prendre mon arme d’âme dans les mains. Alors ouais. C'est plutôt une mauvaise idée.
Je m'éloigne pour de bon.

C'est étrange tout de même qu'Howard m'ait prévenu de son arrivée. Il aurait pu prendre sur soi. Se taire, la laisser entrer dans le kekkai. Et me laisser me faire tuer par elle. Ça n'aura pas été difficile. Mais il a préféré m'avertir. A croire que dans sa connerie, il a chercher a m'épargner. Ou alors c'est moi, qui essaie de me rassurer en pensant ca. Hein ?

C'est plutôt pathétique. Non ?

Sur cette pensée. Je trottine rapidement vers les bords du kekkai. Une fois cela fait... J'ai comme un ultime doute. Attendre dans une ruelle que la zone verte se disloque pour me laisser sortir et risquer d'Howard offre ma position en Lenna. Ou attendre que le kekkai se disloque tout seul ? Si je ne fais rien. Je hurle aussi a Howard que je suis toujours la. Blessée et a la merci du premier venu.
Au final. La barrière s'évapore sous mes yeux. Probablement qu'il n'ait plus la force de la maintenir. Au fond, ca m’arrange.
Je m'avance doucement dans la rue adjacente et déserte. Je fais face au vent. Ce dernier me rassure : c'est une preuve que je suis bien dehors. La seule chose qui semble pouvoir me rassurer dans l’immédiat.

Shit. Ils apparaissent quelques secondes dans une foule surprise, pour redisparaître aussitôt. Lenna venait d'ouvrir son kekkaï, le mettant aussitôt à l'abri. Elle lui tapota à nouveau la joue alors que ses bandages avaient fini d'être découpés. Tant pis pour le courant d'air sur son dos et ventre, elle ne risquait de toute façon pas d'avoir froid.

Reste avec moi, je t'ai dis ! Chante si tu veux, mais t'endors pas.

Elle épongea la majeure partie du sang de son visage, avant d'en presser un sur son arcade qui avait l'air d'avoir explosée.

Tiens ça.

Elle lui prit la main et la ramena doucement vers la plaie et le bandage à maintenir. Cela devrait suffir à l'occuper et à le concentrer le temps de la suite. Elle sortit son couteau, et découpa son haut, pour voir si tout allait plus ou moins bien de ce côté.

J'vais la tuer.

Siffla-t-elle entre ses dents en constatant les dégâts.

J’ai froid, j’ai chaud. J’ai mal, je ne sens plus rien. Est-ce que ma main appuie ? Peut-être. Lenna lui en a donné l’ordre, alors j’imagine qu’elle a obéit ; mais je n’arrive pas à vérifier. Putain, mon crâne est vide de signal, lui qui est d’ordinaire si rempli d’informations qui ne me concernent pas. Pour la première fois tout est calme, mais ça m’effraie plus que ça ne me plaît.
Dis-moi, corps. Dis-moi si tu vas aller mieux. Dis-moi si ce n’est qu’un passage. Corps, dis-moi si tu vas mourir. Non, en fait, dis-moi si ça va recommencer ? Mieux, corps, je te supplie de me dire que ça ne recommencera pas. Pas comme la dernière fois. S’il te plaît.
Alors, de mes doigts libres je cherche à attraper un bras de ma sauveuse, maladroitement s’il le faut.

« - Lenna, dis-moi que mon dos n’est pas brisé. Dis-le moi. »

Je t’en conjure, colonne, aies tenu le coup. Ne me force à me finir à nouveau sur un lit, paralysé ; si je ne peux pas bouger, je ne veux pas vivre. Samantha s’en va, elle ne pourra plus me soigner. Bordel, Luna, dis-moi que tu n’as pas fait ça. Tu as déjà détruit ma vie, ça ne t’as pas suffit ? T’es forcée de faire pareil avec mon corps ? Le salaud sniper l’a déjà fait une fois, ne l’imite pas. Je ne veux pas !

« - Tu peux la tuer, toi. Toi, t’es forte. Vraiment forte. »

Tue la, ça veut dire. Prends lui sa vie, fais la payer ce qu’elle me doit. Je suis bien trop faible pour le faire moi-même, alors fais le pour moi, s’il te plaît. Toi, tu es forte. Toi, tu n’hésites pas à te battre tout le temps, à mourir seule s’il le faut. Je sais que je t’engueule la-dessus, que c’est plus fort que moi, mais je reconnais ton courage. Je ne l’aurais jamais, celui-là.

Des doigts viennent agripper à son bras, alors qu'elle ausculte ses côtes et son dos. Il la supplie de lui dire qu'il n'a rien de cassé.

Tout va bien t'inquiète, je suis là.

Au contraire, mais ce n'était pas le moment de l'inquiéter. Elle lui prit la main et la serra, faisant le reste d'une main, même si ce n'était pas vraiment très facile. Elle avait besoin qu'il garde son calme. Elle n'était pas soigneur. Pas médecin. A peine secouriste. Tout ce qui lui importait c'était de le conduire jusqu'au QG. Elle choppa son téléphone et envoya un message d'aide. Elle n'arriverait sans doute pas à le déplacer seul. En attendant la cavalerie, il fallait le garder en vie.

Pas assez forte pour tuer Russel.

C'était là la vraie raison de son entrainement acharné. Mais elle ne l'avouerait jamais. Elle s'occupa de nettoyer rudimentairement les autres blessures, avant de relever doucement la jambe de son pantalon.

Bouge tes orteils.

Encore, mes paupières cherchent à s’effondrer. Elles fuient vers mon nez, floutent mes songes, arrachent des mots au flot de mes pensées ; puis, à l’instant où elles devraient parvenir à leur but, un frisson me réveille. Un froid qui m’envahit depuis un bras, qui grimpe à travers mes nerfs pour me hurler dans la caboche que je dois encore garder conscience.
D’un iris moins fou, j’en cherche l’origine, tandis que mon cerveau décryptent enfin les phrases que j’ai ratées.

Ma colonne n’est pas brisée. Lenna m’a dit ça, j’en suis certain. J’ai envie de sourire. Je n’y parviens pas, mais j’ai envie de sourire, de tout mon cœur. Parce qu’elle vient de me dire que mon calvaire ne recommencera pas, pas une seconde fois. Et pour ça, je lui suis redevable d’être arrivée. A jamais.
Enfin, je devine sa main qui serre la mienne ; alors, du bout de mes doigts faibles, je cherche une commissure entre les siens et m’y engouffre, décidant que tant que je serrerai, je ne m’évanouirai pas.

J’entrouvre les lèvres pour parler, mais son ordre me coupe avant qu’un son n’en dépasse la caverne. Docilement, je tire les fils mentaux qui commandent mes orteils, pour les faire se déplacer légèrement. Se contracter, se rétracter. Se baisser, se lever – aie. En réponse à la dernière tentative, mon pied droit m’agresse d’une douleur brutale, qui me fait sursauter. Comme pour me rappeler l’état déplorable de mon talon.
Seulement, je me rappelle que je voulais formuler une phrase.

« - Tu finiras par le buter. C’est lui qui crèvera. Toi, tu vivras. »

Elle, elle fait des choses pour les siens. Elle leur sauve la vie, elle leur tient compagnie. Hein, elle est loin la Lenna qui faisait cavalière solitaire, non ? J’espère, en fait. Je n’en sais rien. Tout ce que je peux dire, c’est que Blake est une ordure, qu’il manipule sans bien derrière. Il n’a pas le droit de la battre. Les choses ne fonctionnent pas ainsi.
Si ?

Les orteils bougent. Bon, il s'en sortirait. Lenna acheva de ruiner son T-shirt en bandant sa cheville pour éviter qu'il se vide de ce côté là aussi. Elle lâcha sa main pour faire le noeud et se redressa, vérifiant qu'aucune ombre n'était dans les parages. Rien. Tant mieux. Le combat n'avait pas été assez violent pour rameuter les bêtes, même si de bête elle en avait réveillé une autre plus profonde, celle qu'on nommai vengeance.

Ces fichus Nephils n'auraient de cesse de s'en prendre aux siens. Vaste cercle néfaste.

Vivre hein.

Elle espérait relancer leur vieille rengaine pour lui maintenir l'esprit occupé. Sa main fraîche, trop froide, revint sur le visage d'Howard pour le rafraîchir. Autant qu'il y ait une utilité à être quasiment morte.

Tu dis ça à la fille qui incarne la mort tu le sais ?

Elle ne savait pas s'il avait de la fièvre, et si elle devait s'inquiéter.

T'arrives à t'asseoir ?

S'il parvenait à reprendre un peu ses esprits, elle pourrait peut-être réussir à le traîner jusqu'à une caisse qu'elle emprunterait.

La fraîcheur de Lenna, c’est un peu comme un thermomètre de ma survie, en fait. Quand elle est arrivée, j’avais l’impression que, pour une fois, sa peau était presque chaleureuse ; et maintenant qu’elle a bandé quelques unes de ses plaies, je commence à ressentir le véritable état des choses – un froid réel, profond, permanent. Un peu comme le permafrost des montagnes, sauf que c’est sur tout son corps, et qu’elle n’est rien de géologique. Ou alors, ce serait une découverte, qui … N’expliquerait rien, en fait.
Mais bon, je m’égare, là. Pire, je crois que je commence à délirer. Allez, recentre-toi Howard, surtout qu’elle vient de balancer des mots que tu n’aimes pas : le genre sur lequel on est capable de débattre des heures, tant est que l’on soit en meilleur état.

« - T’sais que la mort, dans les livres, elle crève jamais ? Une fois elle a failli dans Pratchett, et elle a pris sa retraite. »

Merde, c’est l’inverse, en fait. Mais on s’en fout – dans ce sens-là, ma réponse a plus d’intérêt que dans le réel. Quoi, je mens ? Non, je me trompe ; et je raconte trop de choses. Depuis quand je commence à faire des références littéraires, moi ? Surtout, pourquoi maintenant ? Va savoir. Peut-être que quand on me frappe trop dans la tête, je commence à entrevoir la source d’inspiration de cet auteur de génie. Alors, s’il a écrit une trentaine de volumes en subissant ça, ça ne me donne pas franchement envie de me mettre à l’écriture.
Bref, elle m’a demandé autre chose, dans un registre plus sérieux. De m’asseoir, dans des mots moins obscurs. Soit. Je vais essayer. Un coude encore correct coincé contre le sol, l’autre qui fait tout autant office de levier, je pousse lentement, lentement, toujours plus lentement, tandis que mon dos prend peu à peu une perpendiculaire vis-à-vis du sol. Dans la manœuvre, mon torse hurle et ma tête endolorie lui répond, mais mon corps dans son ensemble semble obéir à la démarche.
Alors, me voilà assis. Toujours avec une sale gueule, mais cette fois qui ne fait un câlin au trottoir.

Lenna émit un sourire, l'idée était tentante en réalité, même si elle voyait bien qu'Howard avait dû mal à aligner ses idées dans l'ordre. Il déviait du sujet, mais son esprit restait avec elle, et c'était ce qu'elle cherchait. Aussi, elle renchérit dans la conversation, espérant que le taxi seraph arriverait bientôt. Un soigneur devrait parvenir à leur position.

La mort est intuable puisque sinon qui serait la mort ?

Elle s'assit à ses côtés pour le soutenir, et l'empêcher de rebasculer au sol, passant son bras sous son aisselle, le maintenant à l'arrière du dos de la main, et le bras d'Howard tenu par dessus ses épaules pour l'attraper de l'autre main.

Sauf que je ne suis pas la mort. Seulement une incarnation. Je n'ai rien d'immortel. Pourtant la vie me fuit. Je suis un peu une morte-vivante en fait. Sans le côté décomposition.

C'était plutôt Howard le décomposé à cette heure-ci.

Quand ta tête s'est stabilisé tu me dis.

C’est pas faux, ça. Faut bien que la Mort ne puisse pas être tuée, sinon tout va commencer à devenir très compliqué – les gens ne mourraient plus, ils ne feraient plus que naître. Et même si l’idée de ne plus jamais perdre des miens me plaît, je dois bien concéder que ça me semble assez inenvisageable comme possibilité.

Complètement plongé dans mes pensées, le crâne ballant, je me laisse surprendre par le bras et l’épaule de Lenna qui viennent me soutenir. Je tourne une tête hasardeuse vers elle, lui sourit à demi, et échappe un rire. Très court. Parce que mes côtes me rappelle brutalement que ce n’est pas la meilleure idée que j’ai eu, ça. Comme celle de chercher Luna. Putain, je suis vraiment con, aujourd’hui.

« - On a bien l’air malin, assis au milieu de la rue comme ça, hein ? »

Ah, mince, retour au débat. Je m’y perds dans toutes mes idées, à croire que le fil de mes pensée est plus emmêlé qu’une paire d’écouteurs. Donc, mort-vivante ? Ça m’étonnerait. Elle a tout de vivant, juste qu’elle est un peu froide, c’est tout. Et je suis sûr qu’il manque une étape primordiale pour qu’elle se transforme en zombi.

« - T’as ça d’immortelle que je refuse que tu crèves. C’est déjà ça. »

Pour ma tête, c’est pas encore ça. Elle tangue un peu comme si j’avais bu, sauf que c’est pas le as. Disons qu’avec ce que je me suis pris dans le pif, je ne peux pas nier la douleur qui m’habite la caboche et sabote tout ce à quoi j’essaie de songer, et que ce truc m’aide pas à garder la nuque droite. Peut-être encore un peu de temps, et ça sera bon. J’espère. De toute façon, on va finir par rentrer et je serai soigné, pas vrai ?
Oh, mieux. Je dormirai. J’en rêve tellement, là. Si je m’écoutais, je me vautrerais par-terre, pour ne plus me réveiller. J’y serais bien tiens.

Lenna haussa les épaules, pas du tout gênée par la position ou la situation incongrue. Elle commençait à avoir l'habitude de ce qui n'était pas naturel, et était plus étonné des choses simples de la vie en réalité. Elle ne releva pas cet état de fait se contentant de souligner leur état :

Personne ne nous voit. Tu peux avoir l'air aussi idiot que tu veux.

Enfin si, elle le voyait. Mais ce n'était pas vraiment un regard qui pouvait être perturbant.

L'immortalité peut être bien ennuyante. J'espère ne pas vivre éternellement.

Et ne pas me ramasser des gamelles encore, et encore, jusqu'à ce que mon heur vienne. Toi aussi Howard t'as intérêt à rester en vie. Elle avait perdu trop de monde. Trop de personnes disparaissaient les unes après les autres. Immortel hein ? Elle savait malheureusement que ce ne serait jamais suffisant de simplement y croire.

Qu'est-ce qu'on peut faire de la vie de plus?

Allez Howard, le bavard, garde un fil de pensée, ça t'aidera à oublier cette douleur qui je sais te lancine.

Là, la première idée qui me passe par le crâne, ce serait de me mettre debout, de faire face à Lenna, puis de partir dans une tirade passionnée qui comprendrait, au milieu d’un tas de phrases sans intérêt, ma réponse. Mais bon, c’en serait une mauvaise de faire ça – déjà, parce que je ne suis vraiment pas certain de tenir debout, et que mon crâne me lance assez pour me forcer à rebrousser chemin. Ah, et aussi parce que j’en connais une qui ne me laisserait certainement pas faire – ou bien, il n’y aurait aucun sens à ce qu’on soit encore dans ce fichu Kekkai, au beau milieu de ce quartier. Ouais, clairement, faut que je trouve autre chose.
Comme être d’accord avec elle. Parce que, un, c’est vrai que personne ne nous voit, donc personne ne peut se moquer de nous. Et deux, l’immortalité, ça doit être carrément chiant. M’enfin, on va dire que ça n’est pas tout à fait ce que j’évoquais : je ne veux pas que Lenna vive à jamais, je veux juste qu’elle vive … Assez ? Je ne sais même pas ça a un sens, ce que je pense.

Tous ces songes, c’est bien, mais ça ne fait rien avancer. Plus je réfléchis, et plus j’y perds la tête. Alors, il serait peut-être temps que je déblatère, sans plus me servir du truc en haut. Ma nuque vient se cambrer doucement vers l’arrière, s’appuyant sur ce qu’elle trouve pour tenir, forçant mes yeux à se perdre dans le plafond lointain du Kekkai.

« - C’est bien la vie. Il y a des trucs qui arrivent, en bien, en mal, mais c’est excitant de les découvrir. Apprendre, j’aime ça aussi. Un jour tu sais pas ça, un autre tu le sais. Et puis on rencontre des gens, des gens importants plus tard. On s’y attache, on finit même par les aimer, parfois. C’est bien, ça, l’amour. J’ai aimé des gens, tu sais ? J’étais heureux. »

Et c’est le même type qui dit ça, celui qui vient de se faire tabasser par son ex. Celle dont il s’était le plus entiché. Qu’est-ce que j’ai, à monologuer, comme ça ? Je sais ce que Lenna va me répondre, je me doute de ce qu’il y a de logique à dire … Que je vois trop les choses du beau côté, et jamais du laid.

« - Et puis, nous, on les a tous perdu ces personnes. Ou presque. J’y pense toujours, je les oublie jamais. Saskia Kochka, Aleister Chase ... C’est ça, en leur mémoire, ça qu’on peut faire de la vie, encore. Vivre, songer à eux, à nous. Et puis, être heureux, pour vivre encore encore plus. Garder les autres en vie, partager avec eux, apprendre avec eux. »

Merde, je vais commencer à être sentimental. Si j’avais un zeste d’énergie en plus, j’en aurais presque les larmes aux yeux, en me repassant le visage de tous ces gens. Parce que je suis honnête, dans ce que je dis – brouillon aussi, mais qu’on m’excuse la faute.

Howard se mettait à philosopher sur la vie, l'amour, les pertes, la vie. Elle suivait le fil de ses mots, ses mots résonnant dans des souvenirs, résonnant dans des pensées anciennes, des émotions oubliées. Mauvaise idée de parler avec un blessé délirant.

« - C’est bien la vie. Il y a des trucs qui arrivent, en bien, en mal, mais c’est excitant de les découvrir.

C'est bien la vie, il y a des tas de trucs qui arrivent mais beaucoup de mal pour peu de bien. Rien d'excitant, simplement une lassitude face à la tempête qui ne se relâche jamais.

Apprendre, j’aime ça aussi. Un jour tu sais pas ça, un autre tu le sais. Et puis on rencontre des gens, des gens importants plus tard. On s’y attache, on finit même par les aimer, parfois. C’est bien, ça, l’amour. J’ai aimé des gens, tu sais ? J’étais heureux.

J'ai aimé des gens tu sais ? J'étais heureuse avec Julien. On allait se marier. J'ai aimé Russel d'une certaine façon, même si elle s'est avérée destructrice.

« - Et puis, nous, on les a tous perdu ces personnes. Ou presque. J’y pense toujours, je les oublie jamais. Saskia Kochka, Aleister Chase ...

Origan. Fox. Cassandre. Aleister. Julien. Russel. Tous perdu.

C’est ça, en leur mémoire, ça qu’on peut faire de la vie, encore. Vivre, songer à eux, à nous.

Elle ne voulait pas vraiment y songer. Ni à eux, ni à nous. Il n'y avait pas de nous. Pas de vie.

Howard...

T'es vraiment un sacré gars. Elle tourna sa tête vers lui, observant ce visage dévasté avec émotion. Il y avait du bon en lui. Bien plus qu'elle n'en contenait encore. Alors même qu'il était blessé gravement, il dégageait plus d'énergie et d'envie de vivre qu'elle. D'un côté elle l'enviait.

Ne change pas.

Que foutait le taxi ambulance ? Elle tourna la tête dans la direction opposée à la recherche d'un appel d'air, d'une présence alliée. Comme si elle voulait en profiter pour dissimuler l'émotion que ses paroles décousues avaient provoquées chez elle.

Elle me regarde, et je la regarde. J’attends sa réponse, sans plus anticiper ses mots – ma tirade m’a éreinté, et je n’ai plus la force de penser assez pour m’immiscer dans ce qui pourrait être dans ses pensées. Alors, simplement, je patiente.
Puis, elle parle. Elle m’arrache un sourire, me surprend plus que je n’aurais pu le croire. Elle vient de me faire un compliment, non ? Un qui reste en tête, qui plus est. Mes lèvres encore souillées et tuméfiées s’étirent, lui dévoile un rictus qui aurait dû être beau mais qui ne l’est pas. Je reste pendu à cette position une seconde, deux, trois. Enfin, mes commissures reprennent leur place naturelle, motivées par la fatigue qui m’éprend de plus en plus.

Doucement, mon crâne, toujours tourné dans sa direction alors qu'elle a quitté la mienne, vient se lover à peine contre le dessus de son bras frais, et je ferme un œil. Froid ici, chaud aussi, je me perds dans la température ; mais rien n’y fait, je suis bien installé.

« - Maintenant, je peux dormir, juste un rien ? Je te promets que je me réveillerai. Mais je suis crevé ... »

Oui, je ne mourrai pas. Je veux juste clore mon regard, quand elle m’aura donné son accord, puis me reposer un temps. Juste assez pour qu’une fois à l’infirmerie, je puisse soulever à nouveau mes paupières et répondre aux questions s’il y en a, ou bien reprendre du service le plus tôt possible.
S’il te plaît, donne-moi le droit de somnoler, un instant tout au plus. Je sais que ça ne va te plaire, je sais qu’à ta place je refuserais, mais … Pour une fois que je suis à cette place, je suis celui qui n’a pas conscience des choses, hein ? Qu’on me laisse délirer, juste un peu, juste ce soir.

Sa tête vint se poser sur son épaule, et s'il n'était pas blessé Lenna l'aurait dégagé vivement. Mais merde il souffrait le martyr et elle était bien obligée de rester impassible.

Si c'est une promesse alors...

Elle n'ajouta rien de plus, observant ses yeux se fermer sans effort et n'attendant pas de réponse. Elle lâcha son bras pour sortir son téléphone et guetter l'aide promise par sa faction pour rapatrié le blessé. Il faudrait songer à une voiture, en vérité.

De l'autre main, elle était attentive à son pouls, prête à le gifler si celui-ci devenait trop faible et tant pis pour son visage déjà tuméfié. Elle l'observa en train de respirer, une bouffée de haine remontant à la surface envers l'ennemi, et une grimace sur son visage. Il avait vraiment douillé cette fois-ci. Oui, une pointe d'inquiétude avait percé la froide perception de ses émotions. A croire qu'elle n'était pas encore tout à fait inhumaine.