Il était aux alentours de 20h lorsque les enfants de la voisine du dessous, qui habitait donc au quatrième étage, commencèrent à hurler et sauter dans tous les sens, ce qui avait pour effet de faire trembler tous les meubles de l'appartement de Samuel, et lui percer les tympans par la même occasion.
C'était une femme d'une quarantaine d'années d'après les bruits de couloir, qui après avoir divorcé s'était installée ici, elle et ses enfants pourris-gâtés.
Cela durait depuis qu'elle avait emménagée, soit environ une semaine. Les enfants chahutaient, leur mère les grondait sans que ça soit efficace, et de là commençait une espèce de concours de qui hurlera le plus fort entre elle et ses gosses. Généralement ça ne durait pas plus d'une heure, mais cette fois les heures passaient et le brouhaha ne cessait pas.

Otter n'était pas là cette nuit, une chance pour lui et pour eux, car il ne l'aurait pas supporté et serait sans doutes déjà descendu pour les faire taire définitivement.

Samuel avait plus de patience que son ami, mais même pour lui, s'en était trop. Il fallait descendre et régler ce problème une bonne fois pour toutes.

Samuel ouvrit alors sa porte et descendit d'un pas déterminé en direction de l'appartement perturbateur. Il sonna d'abord à la porte, avant d'appuyer une nouvelle fois pour qu'on lui ouvre, non sans quelques injures venues de l'intérieur. La porte s’entrouvrit, bloquée par une chaînette.


-Quoi, c'est quoi le problème ?! Vous avez vu l'heure ?! Dit la voisine d'un ton hautain et accusateur.

-Bonsoir. C'est justement pour ça que je suis là, pourriez-vous faire en sorte de faire moins de bruits, vous et vos enfants s'il-vous-plait ? Il sourit à la femme. Il ne fallait pas perdre les bonnes habitudes après tout.

-Mais de quel droit osez-vous me dicter comment m'occuper de MES gosses ?! Non mais je rêve !


Un jeune garçon d'une dizaine d'années regardait de loin Samuel par l'ouverture de la porte, derrière sa mère, et lui faisait diverses grimaces, avant de demander comme si de rien n'était :


-Mamaaaaaaaaan, c'est qui à la pooooooorte ?

-Ferme là Tommy ! Dit-elle sèchement à son fils. Occupez-vous de vos affaires et laissez-nous tranquille ! Cria-elle finalement à Samuel, avant de lui fermer la porte au nez.


Samuel resta quelques instants immobile, un peu déboussolé par ce qui venait de se produire. Il s'en était pris plein la tête à vrai dire. Il reprit ses esprits.


-Ça va pas se passer comme ça ! Il frappa du poing sur la porte plusieurs fois, attendant que la quarantenaire pointe de nouveau le bout de son nez.

Alors que Samuel frappait à la porte, une autre personne arriva.


-Mec je suis pas sur que ça change grand chose ce que tu fais la. A part si tu veux enfoncer sa porte, puis la rembourser auprès du proprio. Par contre, ce qu'on peut faire, c'est faire en sorte qu'ils se calme. Et très rapidement. Laisse moi faire...


Il n'était donc pas le seul à n'en plus pouvoir de cette voisine atrocement bruyante ? Tant mieux, plus on est, mieux c'est !


-Et t'as une idée précise de comment les calmer ? Dit Samuel, un peu agacé à cause de la voisine, mais en esquissant tout de même un sourire. Il voulait en savoir plus sur cette méthode, qui paraissait plutôt miraculeuse.


Il devait être plus vieux de quelques années, et au vu du sourire qu'il avait lancé en parlant, il avait bien évidemment une idée. Il s'écarta en tout cas de la porte. On pouvait entendre les gamins, derrière la porte, se moquant de Samuel.

Samuel observa la scène, comme s'il assistait à une pièce de théâtre. La bien avait en tout cas jusqu'ici triomphé, et la méchante s'était tût : enfin ! Il avait presque envie d'applaudir. Il esquissa un sourire un peu niais quelques secondes, qui lui valu un regard noir de la part de la voisine, qui referma la porte silencieusement. Le bruit de la porte claquant doucement sur le pan de mur prévu à cet effet rompit alors le silence.


-Putain ! Le sauveur de l'immeuble, bravo ! Il se mit à applaudir tout en riant.


Il s'arrêta finalement. Il allait enfin pouvoir lire, jouer du piano, regarder la télévision, et tout cela sans aucun bruit parasite ! Quelle aubaine !


-J'en connais un qui va se faire apprécier de l'immeuble, héhé !


Il avait par-contre remarqué un sourire assez malsain sur le visage de cet homme, comme s'il avait pris du plaisir à tout ça : en même temps, qui n'en aurait pas pris à vrai dire ?


-Je m'appelle Samuel, enchanté ! Il tendit la main vers Rand pour serrer la sienne.

- Moi c'est Rand, avec plaisir ! Tiens, au lieu de rester dans le couloir a faire connaissance, je t'invite a boire un coup chez moi. J'ai moi aussi eu mon l'emmerde étant étudiant tu sais !


Pourquoi pas après tout ? Samuel n'avait rien de prévu pour la soirée, mis à part la lecture d'un livre. Il ne sortait pas beaucoup ces temps-ci.  


-Ouais, carrément ! Il sourit à Rand, prêt à le suivre.


Il ne l'avait jamais croisé dans l'immeuble, était-il un nouveau locataire, ou le hasard avait fait en sorte qu'ils ne se soient simplement pas croisés ?


-T'es nouveau dans l'immeuble ? Je t'avais jamais vu jusqu'à maintenant, haha !

Rand était donc chauffeur de taxi. Chose plutôt bonne à savoir pour quelqu'un qui n'a pas de voiture.


-Et toi, tu fais quoi ? T'es étudiant ou t'as déjà un taf ?

-Les deux à vrai dire, je suis à la Fac du quartier Est, et puis je bosse un peu où je peux, quand j'en trouve !


Il n'avait pas tellement besoin de travailler, les Nephils étant parfois rémunérés, ou aidés si dans le besoin : une famille soudée en quelques sortes.

Samuel entra dans l'appartement de Rand, et fut pour le moins étonné par le manque de décoration. Certaines personnes aimaient le minimalisme, mais là, c'était à un tout autre niveau ! Il se dirigea vers le canapé, alors que Rand s'éclipsa quelques secondes, avant de revenir, bière en main.


-C'est sur que c'est pas facile tout les jours ! Même moi je galère a arrondir les fins de mois. M'enfin être taxis c'est cool, on rencontre pas mal de gens différents.


Rand avait l'air de se contenter de sa situation, même si elle ne paraissait pas très glorieuse aux yeux de Samuel. Enfin, du moment qu'il n'en était pas malheureux. Il sourit alors simplement.


-Et toi, depuis combien de temps tu vis seul ici ?

-On a aménagé il y a pas longtemps avec un pote en colocation en fait, héhé ! Je connais pas grand monde ici, mais je pense pouvoir dire que j'ai vu tout les habitants maintenant, toi en dernier du coup !


Il observa un petit temps de pause, puis décida de briser le silence qui s'était installé.


-Conducteur de taxis ... Tu dois avoir de sacrés anecdotes à raconter ! Je me doute bien qu'il doit y avoir de bons gros cas à transporter haha !


Samuel considérait le job de conducteur de taxis comme un métier où il fallait être presque invisible, déshumanisé. Mais pas pour autant aveugle. Une paire d'yeux qui ne pouvait pas être vue. De très bons espions en quelques sortes.

-Des anecdotes ? Bien sur qu'on en avait ! mais laquelle choisir !


On ? Rand avait peut-être un collègue alors ? En tout cas, il se mit à raconter de nombreuses histoires, qui firent pour la plupart bien rire Samuel.


-... Et la bien sur juste avant de descendre, le mec me lâche tout ce qu'il avait dans l'estomac... je te raconte pas le temps qu'il m'a fallu pour tout nettoyer ! Mais ça m'a permis de doubler le prix de sa course. Tu salis, tu paies ah ah !  Bref, j'en aurai pour toute la nuit pour te raconter tout les cas que j'ai eu...

-Mon Dieu ! Dégueulasse ! Je crois que le type serait pas ressorti vivant si j'étais à ta place ! En même temps, si ça t'a fait gagné de l'argent c'est déjà ça !


Il observa un temps de pause. Quelle heure était-il maintenant ? Samuel avait l'impression d'écouter toutes ces histoires depuis quelques minutes à peine, mais combien de temps s'était-il passé en réalité ? Peu lui importait en tout cas, il n'avait de toute façon pas le besoin de dormir beaucoup.


-En tout cas, je pensais pas qu'il pouvait arriver tant de choses à un chauffeur de taxi ! C'est toute une aventure mine de rien !


Des yeux qui ne pouvaient être vus ... Tout cela renforçait l'idée que Samuel se faisait des chauffeurs de taxis.