Spoiler:

Ce qu'il y a de beau avec le sevrage, c'est qu'on croit être capable de tenir jusqu'au bout. Et puis la réalité finit par revenir, à grand coup de poing entre les dents. Le mot de junkie collait à la peau de Saskia, impossible de muer pour le moment. Elle avait cru pouvoir se passer de toutes ces merdes mais un simple regard vers ses veines sombres aux avant-bras lui rappelait qu'elle avait eu tout faux. Elle était loin d'être sortie d'affaire et ne pouvait se permettre le moindre écart depuis qu'Avdeï vivait avec elle. Mais son corps en avait décidé autrement. Sûrement était-ce pour cela qu'elle errait entre un vieux cimetière à la manière d'un fantôme ou plutôt d'une revenante. Elle connaissait tous les coins pour acheter une dose, même minime, et ce lieu désinfecté en faisait partie. Malheureusement, elle était seule ce soir-là. Elle n'avait pas fait le tour complet de ce cimetière incroyablement petit mais elle supposait déjà qu'elle ne croiserait que du vide pour lui tenir compagnie.

La lune éclairait ses pas pendant que le manteau de la nuit la dissimulait. Elle avait envie de hurler et de pleurer à la fois, c'était une sensation étrange. Elle marchait la tête un peu ailleurs, ayant du mal à regagner la terre ferme alors qu'elle n'avait encore rien fumé et ne fumerait rien ce soir pour son plus grand malheur.

Des bruits de pelle attirèrent son attention. Elle marqua un arrêt, net et précis. La terre avait déjà cessé d'être remué. Des fossoyeurs par ici ? Ou autre chose ? Son cœur s'emballait, peut-être n'était-ce qu'une coïncidence, peut-être ne l'avait-on pas remarquée. Une voix froide lui arracha un tremblement. Une injonction lui appelant à se montrer. Que faire ? Elle n'était toujours pas repérée, juste entendue, elle aurait très bien pu déployer un Kekkaï pour disparaître définitivement le temps que la voix féminine abandonne sa traque ? Et si la personne face à elle était une contractante ? Son idée serait tout bonnement inutile. Peut-être n'était-ce qu'une parfaite inconnue faisant son sport nocturne à grand coup de jet de terre ? Même elle n'y croyait pas.
Elle se décida enfin, s'offrant à la vue de l'inconnue en avançant vers elle. Si c'était une flic, elle risquait de gros ennuis. Elle avait entendu dire que nombre de réseaux de trafiquants de drogues avaient été démantelés ces derniers temps, si c'était bel et bien une flic, elle n'avait rien à se reprocher, n'ayant rien sur elle :

– Je vous jure que je sais rien, que j'ai rien vu et rien entendu, M'dame !

Non, elle ne savait rien concernant les petits trafics de drogue occasionnels. Rien du tout. Par réflexe, elle avait mis ses bras en l'air avant de les laisser redescendre peu à peu le long de son corps. Cette femme ne paraissait pas appartenir aux forces de l'ordre, à moins qu'une brigade spécialisée dans le déterrement de cercueils ne venait de voir le jour, elle ne paraissait pas plus flic que Saskia n'était Américaine.

– T'as rien d'une flic en fait, sourit-elle, t'es juste une taupe qu'aime un peu trop patauger dans la terre.

Elle aurait presque pu maintenir son sourire si le regard de haine que l'autre lui jetait n'avait pas fait mourir son sourire avant même qu'il ne puisse s'épanouir. Elle savait bien que déterrer des cadavres était tout à fait illégal mais Saskia était bien la dernière personne capable de donner des leçons de morale.

L'inconnue avançait vers elle, menaçante avec sa pelle en main. S'il n'y avait que cela pour interpeller Saskia. Peut-être n'était-elle pas flic mais les renseignements qu'elle lui demandait lui donnaient le sentiment de vivre un véritable interrogatoire. Et le coup de gueule qui allait avec. Saskia sursauta. Elle était partagée entre éclater de rire sans aucune raison ou pleurer, là encore sans  aucune raison. Le manque qui lui jouait des tours, sûrement.

– Saskia Kochka, répondit-elle tout en croisant le regard de la drôle de femme, puis quoi, on n'a plus  le droit de profiter un peu du clair de lune ?

Déjà qu'elle venait de balancer son identité, que cette pseudo-flic ne vienne pas croire qu'elle allait lu révéler la vérité ! Et puis merde, c'était elle que l'on traitait de suspecte ? Elle ? Qui était en train de remuer les tombes deux minutes plus tôt ? Qui l'agressait verbalement sans aucune raison ? C'était le monde à l'envers ! Alors quoi, c'était son accent qui ne lui revenait pas ? Il allait falloir qu'elle s'y habitue. Saskia s'était-elle permise de lui rétorquer que sa voix aussi glaciale qu'un congélateur lui donnait des sueurs froides ? Hé bien non.

– J'me demande bien laquelle de nous deux est la plus suspecte entre toi qui joues au croque-mort et moi qui me balade ici et là.

Vraiment. Enfin quoi, c'était un crime d'errer dans un cimetière ? Errer pour acheter de la drogue, à la limite, oui. Mais Saskia n'avait rien sur elle, rien du tout, le néant. Elle ne cessait pas de fixer la pelle que l'autre paraissait tenir avec force. Elle ne s'était jamais rendue compte que les pelles pouvaient très bien être usées comme arme. Plus qu'à espérer qu'elle n'en fasse pas les frais prochainement, sans quoi elle ne donnait pas cher de sa peau.

– Mais je peux aller me balader ailleurs si tu préfères. Le cimetière doit bien être assez grand pour nous deux, non ?

Oui. Plus elle mettrait de distance entre cette hystérique et elle, mieux elle se porterait. Ce n'était pas banal que de se faire agresser de la sorte. Il y avait vraiment de drôles de gens dans cette ville, de très drôles de gens, la Russe pourrait s'en tordre de rire.

Complètement flippante celle-là. Comme si creuser des tombes n'était pas assez angoissant, elle tentait de faire la conversation à Saskia. C'était là un bien grand mot, elle tentait surtout de trouver des réponses à ses questions. Flippante et dérangée. Quelle tristesse que de cumuler de la sorte ! Saskia en serait presque attristée pour elle ! Dans un scénario où elle se présenterait à elle sans pelle, elle serait attristée. En rêve. Bref, pas tout de suite les larmes pour cette inconnue, pas tout de suite les larmes tout court.

La voix glaciale de la femme paraissait encore plus froide que le pays natal de la Russe. La Seraph n'avait pas cru pareille prouesse possible. Et pourtant. Et pourtant, elle avait sous les yeux un spécimen rare sur lequel elle était incapable de mettre un nom. Elle avait juste envie de décamper au plus vite, de mettre le plus de distance entre ce frigidaire et elle. Malheureusement, l'autre ne l'entendait pas de la sorte.

– Le cimetière, c'est pas pire qu'un autre endroit pour les balades nocturnes ! Et dans le quartier Sud, ça a la gueule d'un chouette parc !

Ah elle n'avait pas tort de ce côté-là. Parc ou cimetière, cela revenait au même ou presque. Les macchabées en moins. Mais étant donné le nombre de cadavres qui fleurissaient aux quatre coins du quartier, entre deux ruelles sombres, ce n'était presque pas si étrange que cela d'en venir à pareil raisonnement.

La suite fit tiquer Saskia. Non pas ses réponses monosyllabiques, le reste, l'autre, sa drôle de question. Un chat... Bizarre ? Bien sûr que oui. Elle connaissait Kyu. Malheureusement, ce n'était pas le seul « chat bizarre » de la ville. De quel côté cette fille était-elle ? Le regard de Saskia avait changé, en alerte, aux aguets, scrutant le moindre changement, le moindre danger de la  part de cette femme. Cela ne lui plaisait guère.

– Bien sûr.

Elle s'était fendue d'un grand sourire. Elle aurait pu jouer l'innocente mais non. Elle avouait. Oui, elle connaissait un chat bizarre.

– Mon chat est pas mal bizarre, il passe son temps à renifler mes chaussures dès que je mets un parfum spécial sur mes godasses. Mon chat est un junkie, si c'est pas bizarre, ça !

Son chat. Diesit. Le matou noir qu'elle avait recueilli le soir où elle avait rencontré Diechi. Alors, comme si de rien n'était, elle avait baptisé le chat de gouttière en l'honneur de celui qui lui avait offert la drogue pour chats. Mais nul doute que ce n'était pas là la réponse que le croque-mort attendait. Vraiment pas.

À se demander laquelle des deux était la plus bizarre. Mais au moins les élucubrations de Saskia avaient-elles poussé à la fille à lâcher son arme improvisé. La Seraph respirait un peu plus et un peu mieux. Le danger était écarté. Pour le moment du moins. Cette femme paraissait totalement imprévisible et incontrôlable, la demoiselle ne donnait pas cher de sa peau si cette dernière se rendait compte qu'elle connaissait un chat bizarre du nom de Kyu. Tant que la Russe ignorait auprès de qui cette dérangée avait prêté allégeance, elle ne serait pas rassurée.

– Y en a qu'en profite pour se balader et d'autres pour déterrer des morts. Chacun son truc.

Saskia éclata de rire après que l'autre soupçonnait qu'elle soit sous l'emprise d'une quelconque drogue. C'était tout le contraire. Son rire redoubla lorsque la femme lui affirma qu'elle n'avait rien à lui vendre. Elle s'en serait doutée. Les dealers se salissaient rarement les mains dans la terre, c'était une autre sorte de poudre qui attirait leur attention.

– Je sais bien que tu vends rien, c'est pas ton truc, à toi.

Ben non vu que son truc n'était autre que de déterrer les morts. Saskia s'assit sur un monticule de terre pour mieux observer les faits et gestes de la femme. C'était le bon moment pour déguerpir. Mais non. Elle restait là, à observer la femme déterrer un mort, laissant ses ongles se perdre sur le cercueil de l'inconnu.

– T'es une sorte d'amoureuse des morts, c'est ça ?

Traduction : la nécrophilie, c'est mal. Vraiment. Mais si c'était le truc de cette femme, nul doute que la Russe n'allait plus traîner dans le coin. La perspective de voir une vivante s'accoupler avec un défunt ne lui plaisait guère. Elle et ses conclusions hâtives, vraiment. Au moins l'autre n'était-elle pas totalement dans le faux en évoquant la drogue et ses trafiquants.

Le cercueil s'ouvrit enfin, dévoilant un cadavre. Depuis combien de temps reposait-il ici ? Saskia n'aurait su le dire. La Moscovite se doutait bien que cela n'avait rien de légal mais la junkie était mal placée pour faire le moindre reproche. Aussi observait-elle en silence les faits et gestes de l'inconnue. Elle qui pensait qu'elle se serait déjà faite chasser par ce frigidaire, il n'en était rien. Ce qui était plutôt rassurant. Elle n'oubliait pas que cette femme avait vaguement évoqué les deux contracteurs à travers son insinuation de chat bizarre. Elle ne savait toujours pas à qui elle avait à faire et si l'autre la prenait pour le moment pour une humaine, elle se doutait que cela pouvait basculer à tout moment.

– Il va pas te servir à grand-chose, mort comme il est. Tu devrais plutôt te tourner vers les vivants, tu perdrais moins de temps.

L'autre se laissait aller à une inspection minutieuse de défunt, tout en questionnant la Russe sur ses croyances. La demoiselle ne croyait pas à grand-chose. D'ailleurs, c'était quoi, ça, le spiritisme ? Elle n'avait jamais entendu pareil mot. Il est vrai que la part mystique n'était pas quelque chose à laquelle s'était énormément confrontée Saskia depuis son arrivée à Palema, rien de plus normal que ce mot lui soit inconnu.

– Le spi-ri-quoi ? demanda-t-elle tout en détachant chacune des syllabes, ça veut dire quoi ?

Nul doute que cela devait avoir un lien avec les morts. Au moins cette femme ne virait-elle pas dans la nécrophilie, dans un sens, c'était rassurant. Malheureusement, elle anticipait déjà que la suite ne saurait la satisfaire, vraiment pas. Le mot en lui-même lui donnait des frissons qu'elle ne put réprimer. Elle attendait de voir la suite, de laisser sa langue anglaise se développer un peu plus, et, surtout, elle se demandait si cette femme allait désosser absolument tout le squelette. Les lecteurs voulaient savoir ! Et Saskia aussi.

Un doigt et c'était tout. Saskia était presque déçue. Elle s'était attendue à un spectacle, un vrai, avec ce cadavre se relevant pour la pourchasser. Dans un sens, heureusement que rien de tel n'était arrivé, déjà qu'elle savait à peine se défendre contre les Ombres les plus faibles, elle attendrait avant de se mesurer contre des zombies, même dans son imagination la plus folle. Elle laissa la fille reboucher le trou, ne lui proposant pas même son aide pour la relayer. Ce n'était pas son affaire, après tout.

– Et t'as l'intention de dire quoi à ton mort ? Ou à son doigt, plutôt ?

Saskia n'avait jamais vraiment cru à toutes ces histoires de medium. Même pas du tout, autant le dire franchement. Pour elle, ce n'était qu'un attrape-cons de plus. Pourtant, elle avait bien cru à cette histoire de souhaits à exaucer alors pourquoi pas croire à son tour à ces sciences occultes ? Bien qu'elle avait eu une éducation orthodoxe, elle ne savait pas quoi penser après la vie. Paradis, Enfer ? Néant ? Réincarnation ? Elle verrait bien une fois morte.

– T'es une sorte de téléphone entre les vivants et les morts alors ? Les vivants te parlent pour que tu parles aux morts et les morts te répondent pour que tu répondes aux vivants ?

Un téléphone, oui. Saskia avait de ces manières de vulgariser les choques compliquées, elle s'en serait très bien sortie en valorisation scientifique. Mais l'heure n'était pas à la rigolade, elle se demandait toujours si cette fille disait vrai. Est-ce qu'il fallait prendre en compte la distance pour que cela fonctionne ? Si tel était le cas, Saskia ne pourrait pas profiter de cette fille histoire de passer un coucou aux ancêtres de sa famille. De toute façon, cela aurait été compliqué sachant que sa famille ne s'exprimait qu'en russe et que la fille ici-présente paraissait parler cette langue autant que Saskia savait parler aux morts.

– Tu me ferais pas une démo ?

Il n'y avait qu'un moyen pour s’assurer de ses dires et mieux les comprendre. Au mieux, elle aurait l'aperçu d'un pouvoir lié au spiritisme, ce mot barbare est compliqué qu'elle pourrait user à partir d'aujourd'hui, au pire, elle essuierait un refus. Les deux avaient du bon, elle ne savait pas si elle était prête pour communiquer avec l'autre-monde, cela lui paraissait contre-nature et dangereux. Elle aurait dû se méfier à peine cette fille aperçue, pelle en main.

Bah ! Un doigt reste un doigt !
Saskia ne comprenait rien à ce qui se passait. Elle voulait lier cet individu à elle-même ? Concrètement, qu'est-ce que cela signifiait ? Parce que dans son jargon à elle, cela signifiait s'attacher au mort – ou au doigt en l’occurrence – et la Russe n'était pas sûre que la fille ait tenté de dire cela.

La perspective d'assister à une démonstration titillait sa curiosité autant que cela l'effrayait. D'un côté, ce n'était pas son travail, à elle, de reboucher ce trou, ce n'était pas elle qui s'était amusée à déterrer le cercueil. Le frigidaire avait bien joué, ayant trouvé de la main d’œuvre gratuite avec pour seule récompense l'espoir d'assister à une séance de spiritisme.

– Mouais…

Saskia n'était pas sûre d'elle. Les chances de se faire flouer étaient grandes, immenses même. Cette fille ne lui devait rien et quelques mots ne valaient rien à Palema. Toutefois, Saskia attrapa la pelle pour continuer le travail débuté par la fille. À deux, reboucher serait bien plus rapide mais tout aussi épuisant. Sans compter la terre qu'elle aurait sur ses fringues. Heureusement qu'elle n'était pas venue ici avec les vêtements qu'elle mettait pour œuvrer au service de Cassandre !

– Et je peux savoir ton nom, au moins, la medium ?

Elle ne le lui avait toujours pas dit. En même temps, Saskia ne le lui avait toujours pas demandé. Léger oubli de sa part, elle avait eu d'autres choses à penser entre tenter tant bien que mal de dissuader cette folle de l’achever à coup de pelle pour ensuite enfouir son corps – c'est que le trou était tout prêt – et la discussion passionnante qui avait suffi, il y avait parfois des sujets plus divertissants et non moins utiles qu'un simple patronyme. Heureusement que désormais, elle rattrapait le temps perdu. Cela n'empêcherait pas la narratrice de l'appeler « le frigidaire », par ci, par là.

Merde, Alzheimer se déclarait de plus en plus jeune ? C'en serait presque inquiétant. Pauvre femme froide et glaciale qui lui demande son nom alors qu'elle l'a déjà fait, à peine une dizaine de minutes plus tôt. Et Saskia le lui avait dit, honnêtement, sans mentir. Quel intérêt aurait-elle pu y trouver à lui dissimuler la vérité ? Ce qui était stupide en soit, elle avait quelque peu regretté après que l'autre ait tenté d'évoquer subtilement les contracteurs.

– Saskia, je te l'ai déjà dit d'ailleurs.

Le trou se rebouchait vite sous l'effort des deux jeunes femmes. Pelle en main, la Russe donnait son maximum. Elle n'était pas bien forte ni très rapide et l'effort principal était fourni par Lenna, il fallait bien l'avouer. Mais elle faisait de son mieux, et quatre mains permettaient un meilleur travail que deux mains.  Plus qu'à espérer que Lenna ne lui fasse pas tenir sa langue sur ce qu'elle avait vu dans ce cimetière, à grand coup de pelle sur le crâne.

– Ça aussi je te l'ai déjà dit ; je me promenais.

À vrai dire, elle aurait presque pu être honnête avec elle. Qu'est-ce qui était pire entre errer en quête d'un peu de drogue et ne rien trouver par manque de chance ou déterrer un cadavre ? Oui, le choix était vite fait. Mais sa nature de junkie n'était pas connue de tous, elle la cachait bien plus jalousement que sa Nature de Seraph, c'était un fait avéré et assez drôle quand on y songeait.

Le trou était déjà rebouché. Maintenant, Saskia trépignait d'impatience et posa son regard brun sur Lenna. Elle avait honoré sa part de contrat, à l'autre de faire de même. Sans quoi, Saskia s'éclipserait sans demander son reste, cette fille lui faisait froid dans le dos, au propre comme au figuré.

– Tu me montres, maintenant ?

Ce n'était en rien un ordre, juste une question ouverte. Oui ou non. Avec pareil caractère que celui de Lenna, la Russe serait à peine étonnée de s'être faite mener en bateau. Cela collerait bien avec son personnage de frigidaire.

Un simple haussement d'épaule en guise de réponse à la remarque sarcastique de Lenna. Heureusement, elle n'insista pas, cela faisait bien son affaire. Elle ne devait rien à cette fille, c'était même l'inverse, Saskia l'avait surprise en train de piller une tombe, elle aurait tout aussi pu crier pareille chose sur les toits. Mais il faudrait être stupide pour s'emporter de la sorte, vraiment. Et la Russe, elle, n'était pas stupide. Du moins lorsque cela concernait-il l'illégalité avait-elle assez de jugeote pour réfléchir, se balader avec de faux papiers aidait à s'éloigner des forces de l'ordre, vraiment !

Elle observa le manège de Lenna qui fouillait dans son sac pour en ressortir un masque. C'était pour quoi faire, ça ? C'était carnaval, maintenant ? La Moscovite avait l'impression de vivre plusieurs jours en cette seule nuit et cela commençait à être éprouvant. Vivement que cela cesse, même si la curiosité l'emportait malgré tout, cimetière ou non.

– Je doute que tu m'invites à boire le thé chez toi, et c'est pas comme si tu allais déranger quelqu'un ici !

Sans oublier qu'elle était toujours sceptique face à cette histoire de communication avec les morts. Verrait-elle des ectoplasmes, des vrais ? Si tel était le cas, la brune repartirait en courant sans demander son reste. Au pire, cela ferait un flop monumental. Au mieux, une communication s'entamerait – à moins que Lenna ne fasse semblant – alors elle n'avait pas grand chose à perdre et n'attendait plus qu'à voir.

Mais Saskia était un cas à part. La demoiselle se contenta de hausser les épaules sans relever la pique. Elle prit exemple sur Lenna et s'assit à son tour entre la terre et les brins d'herbe. La nuit continuait de plonger au-dessus de leurs têtes et la lune les éclairait toutes deux.
La Russe resta passive face à tout ce qui se déroula sous ses yeux. En vérité, il ne se passa pas grand-chose. Juste du vent qui parcourait les cheveux de Saskia. Un vent improbable en cette nuit douce et calme. La Moscovite frissonna alors qu'elle observait impuissante à une conversation entre un potentiel esprit et Lenna.

Toutefois, autre chose attira son attention. La marque bleutée qui se propageait depuis le front de Lenna jusqu'à ses paupières. Saskia possédait la même, exactement identique et d'une même couleur, tout autour de son nombril. La demoiselle avait vu juste quant au fait qu'elle était une potentielle contractante, elle était rassurée qu'elles appartiennent toutes deux au même camp.

– Un os qui bouge et du vent qui souffle, c'est pas des plus… spectaculaires.

Elle se doutait bien que la petite mise en scène devait être liée aux pouvoirs de Lenna. Même si le spiritisme était répandu, les probabilités que son don soit en lien avec les morts n'était plus à négliger. Mais peu importait à Saskia, après tout, don ou pas don, elle était censée assister à une séance de spiritisme, une vraie. Malheureusement, les défunts de la famille de Saskia étaient tous en Russie, et parlaient tous le russe. Cela risquait de rendre la conversation compliquée.

– C'est grave si le mort avec qui je veux parler est en Russie ? Et tu connais le russe ? Je suis pas sûre que ça se soit mis à l'anglais dans ma famille, même après leurs morts…

Autant que la médium sache à quels obstacles elle risquait de se heurter avant d'échouer lamentablement. Déjà que la Seraph n'était pas grandement convaincue, elle avait espéré voir un fantôme et n'avait eu droit qu'à du vent.

Même si la demoiselle avait très envie de communiquer avec sa grand-mère par-delà les frontières du vivant et de la mort, elle doutait que la discussion soit très intéressante si Lenna écorchait ses mots et faisait de même avec les réponses de sa grand-mère. Elle ne connaissait aucun proche décédé aux Etats-Unis, la famille d'Howard se portait pour le mieux et même si elle avait été en connaissance de certains détails, elle se serait mal vue converser avec l'un des grands-parents du blondinet.

– Laisse tomber la conversation avec ma famille alors, j'ai pas envie qu'on se lance dans de la phonétique à l'aveugle.

Mais ne serait-ce pas un bon moyen de s'amuser ? Si cette Seraph pouvait réellement entrer en communication avec un mort, quel qu'il soit, il y avait matière à rire un bon coup. Sa connaissance des personnalités américaines n'était pas bien étendue, la faute à sa différence culturelle. Toujours est-il que certaines célébrités étaient universelles et avaient su traverser les frontières au point d'être connues même en Russie.

– Pour le fun, tu crois que ça serait possible de causer à Michael Jackson ? J'suis pas forcément fan de ce qu'il a fait niveau chansons mais ça pourrait être marrant !

Ben quoi, c'était une vedette comme une autre, non ? À moins qu'il existe une clause spécifique chez les médiums interdisant les célébrités de converser avec les vivants ? Au moins le problème de langue serait-il réglé, l'anglais pour tout le monde. Alors oui, Saskia souhaitait s'amuser aux dépens des morts, et alors ? Elle préférait éviter un carnage certain en conversant en russe avec sa grand-mère alors elle se rabattait sur quelque chose de plus léger, de manière à bien finir la soirée en beauté.

– Ou n'importe qui d'autre au pire, c'est pas bien grave.

Bien sûr que non que ce n'est pas bien grave. Maintenant, Saskia était juste curieuse d'assister à une conversation d'outre-monde, rien d'autre. Elle ignorait comment fonctionnait le rituel, si rituel il y avait, si cela pouvait échouer ou non alors elle préférait laisser libre choix à Lenna pour éviter toue déception.

Ainsi, elles cloueraient le bec à tous ceux qui avaient spéculé concernant la possibilité que ce cher Mickael soit toujours en vie. La Russe attendit patiemment, laissant la médium faire son travail. Un travail qui s’apparentait à un échec. Après tout, tout le monde ne pouvait pas parler aux célébrités, certainement pas deux inconnues.

– T'as qu'à chanter à ton tour ? Non parce que j'ai rien de lui avec moi, j'ai rien de lui tout court en fait…

Si près du but. En vain. La demoiselle afficha une moue de déception. Dire qu'elle ne pouvait même pas entendre la vedette chanter, ce plaisir était réservé à Lenna ! IL y aurait tant matière à s'amuser avec les morts, si Saskia possédait un don pareil, elle n'hésiterait pas une seconde ! Mais cela n'avait rien d'un jeu. Hormis pour la Moscovite qui, comme toujours, prenait tout à la rigolade.

– Hey Michael, viens, et on restera des enfants toute notre vie !

Ben quoi ? Syndrome de Peter Pan, tout ça ? Cela pouvait l'amener à réfléchir. Du moins si le chanteur avait pu l'entendre car le téléphone spirituelle de Lenna ne permettait pas aux simples mortels comme elle de communiquer avec l'au-delà, ce privilège était réservé à Lenna et seulement à cette dernière.

Lenna se prenait un peu trop au sérieux. Légèrement. Ce n'était pas tous les jours qu'il était permis de communiquer avec le grand Michael Jackson et elle, que faisait-elle ? Elle prétendait chanter faux. Mais peu importait la justesse de son chant ! Au contraire, un chant faux pouvait être tout autant favorable qu'un chant divin ! Si Lenna agaçait suffisamment les oreilles de la vedette, cela l'obligerait à interrompre es vocalises ! Mais rien à faire. La séance de spiritisme touchait à sa fin et Saskia était légèrement déçue de n'avoir pu avoir eu droit qu'à un vieux doigt inutile et à un peu de vent frais.

– Oh. Dommage.

Alors que la médium rangeait son matériel, la demoiselle se releva. Le spectacle était fini il était grand temps que l'une et l'autre rentre chez elles. La Russe avait le sentiment d'avoir un peu perdu son temps ce soir. Elle prit la carte entre ses doigts avant de l'observer et de la ranger dans une poche. Elle se connaissait, elle allait finir par oublier jusqu'à l'existence de ce misérable bout de papier.

– Pas grave. De toute façon, des morts, à part des Russes dans ma famille ou des célébrités ici, j'en connais pas beaucoup. Et pour les premiers tu parles pas la langue, et pour les seconds ça a l'air d'être galère de les joindre...

Il y avait donc peu de chances pour qu'elle fasse à nouveau appel à ses services. Le hasard les avait réunies toutes deux ce soir. Il n'y aurait pas deux fois cette même rencontre, chaque instant unique en ce monde.

– Mais tu devrais quand même prendre des cours de chants. Histoire de pouvoir causer avec ce cher Mickael à l'occasion.

Non, elle ne lâcherait pas l'affaire aussi facilement. Elle était attristée de ne pas avoir eu droit à sa séance privée de spiritisme et même si le nom de Michael Jackson était le premier qui lui était venu à l'esprit, juste pour rigoler, cela l'ennuyait que la médium ait échoué si près du but.

L'heure des adieux approchait. Oh la demoiselle avait bien vu la marque bleutée sur son front lors de sa tentative d'invocation aux esprits ! Mais elle ne fit aucun commentaire là-dessus. Les Seraphs étaient très étranges parfois, la Russe en avait eu une démonstration, aussi ne s'offusqua-t-elle pas de l'erreur de langage de Lenna, elle qui appelait son don, un pouvoir. Elle l'observa disparaître dans le lointain de la nuit, restant seule avec elle-même. Et tous ces morts qui lui filaient la chair de poule. Peut-être serait-il grand temps qu'elle fasse de même et qu'elle s'éclipse avant que le jour ne se lève ? La Choisie emportait avec elle le regret de n'avoir pas pu communiquer avec Michael Jackson. Comme le monde était mal fait, elle avait eu la chance de croiser une médium mais n'avait su en tirer tout le potentiel ! Elle haussa bêtement les épaules alors que déjà ses pas la conduisaient hors de ce cimetière sinistre à souhait.

Elle avait bien hâte de retrouver son appartement qui n'était pas le sien. Il serait grand temps qu'elle cesse ces évasions nocturnes, un jour cela finirait mal. À croire qu'elle oubliait parfois qu'elle se trouvait au quartier Sud, ce qui était tout sauf une colonie de vacances. Et ceux qui y vivaient paraissaient être un peu plus étranges à chaque nouvelle lune.