Le lycée Ostradia est un lycée prisé du quartier Nord dont le taux de réussite se rapproche des 98% et depuis son ouverture il y a maintenant 14 ans pas un problème n'a été noté par les habitants de Palema. Evidemment cette qualité a un prix et seuls les enfants des familles les plus aisées peuvent se permettre d'y suivre des cours, avec des professeurs reconnus mondialement dans leurs domaines et un environnement luxueux.

Je me retourne en poussant un violent juron. Ce garçon a beau être mignon comme tout, il a intérêt à s'excuser, sinon je vais lui refaire son portrait.
Il a disparu. Il s'est évaporé. Intriguée, je plisse les yeux. Enfin... Des imbéciles comme ça, il y en a trop pour que je les frappe tous.

Mais depuis ce jour, je me sens étrange... Je me fais peur. Certes je ne suis pas un Bisounours, certes je me pique. Néanmoins les conduites à risques et moi n'avons jamais été amies.
Depuis ce jour, une force extérieure, que je ne peux contrer, me pousse à commettre des actes dangereux et profondément infantiles. Hier, j'ai marché à cloche pied le long du bord du trottoir d'une large avenue.

Je me suis dirigée vers le quartier aisé de la ville, alors que je n'étais même plus maître de moi même. Sans même savoir ce vers quoi mon geste suivant me mènerait, je me suis dirigée vers le lycée de ce secteur. À ma grande surprise, je me retrouve en train d'escalader une façade aveugle du bâtiment.
Dans ce pâle crépuscule d'hiver, aucun élève n'est resté rôder dans les parages, aussi nul n'a pu à ma connaissance, me voir accomplir cette ascension dangereuse.

Je me retrouve au sommet du toit du lycée, surplombant un panorama impressionnant. Avec une corde solide, je m'accroche à un paratonnerre pour redescendre le long d'un mur sans prise.
Je sors du scotch et un paquet d'affiches sur lesquelles il est marqué, en lettres criardes :

"Votre devise ce doit être de donner à vos enfants un départ meilleur que n'a été le vôtre"

[hrp: arf... Je vais voir comment rattraper le coup :s]

Je m'apprête à descendre le long de la façade principale, celle sur laquelle sont percées les fenêtres des salles de classe pour l'instant désertes et sombres. Ces prisons pour enfants innocents et sans moyen de se défendre de cet affront auquel ils sont soumis. Je raffermis dans ma main les pancartes que je vais coller sur ce mur. Elles seront visibles de toute la rue normalement.

Mes vieux réflexes que, dans ma bande nous avons dû développer pour notre propre sécurité, m'annoncent une arrivée. Un instant, la force qui avait pris le contrôle de mon esprit s'affaiblit et se retire.
Avec prudence je reviens sur le toit. Face à moi se trouve un homme en tenue militaire. Le contrôle extérieur sur ma volonté s'abat à nouveau sur moi comme une chape de plomb, aussi je ne peux distinctement me faire une idée de son apparence. À ce flou qui flotte devant mes yeux s' ajoute l'obscurité de la nuit.

Le nouveau venu me demande qui je suis et ce que je fais ici. Avec une révérence, je me présente :

"Je suis Asura, dea..."

La claque mentale part. Je ne peux lutter contre cette force inconnue mais je ne la laisserai pas divulguer ce que j'ai toujours tu.

"... Directement envoyée par la fac de sciences."

Tant qu'à dire des bêtises...
Bon, et ce que je fais ici... Je lui montre fièrement les affiches que je tourne entre mes mains :

"Je vais coller ça."

Le flou devant mes yeux danse. L'homme qui me fait face, est il seulement humain ? La forme et la pâleur de son visage me font grandement douter. Pourtant, depuis que mon esprit ne m'appartient plus complètement, j'ai bien pris garde à ne plus rien consommer - et cela ne m'aide pas à calmer mes nerfs.
De fatigue et de lassitude, je me prends la tête entre les mains.

William Ling... Sa voix, son prénom, sa manière de parler... Ma raison me dit qu'il est humain. Mais ma raison ne m'obéit plus. Avant que je ne puisse réagir, je demande :

"Êtes vous un fantôme ?"

Je voudrais savoir qui il est, en quoi ma situation l'intéresse et comment il a eu vent de mon arrivé. Cependant ces mots ne parviennent pas à franchir la barrière de mes lèvres.
Le temps que je parvienne à prononcer un mot, William me demande où je compte accrocher mes affiches. Je regarde droit vers là où devraient se trouver ses yeux.

"Ben... Sur la façade principale ! C'est pourtant évident non ?"

Même dans ma folie je conserve une certaine logique. La façade principale est le meilleur endroit pour placer un message que l'on veut lu d'un grand nombre.

Il élude ma question quant à sa nature et change de sujet. Je fronce les sourcils, méfiante. À présent, William déclare vouloir quelque chose de moi, une babiole négligeable.
Je le trouve menaçant. Mon instinct de survie, exacerbé par la chose qui contrôle mon esprit, me dicte ma réaction suivante. Je sers dans mon poing mon couteau, que je garde toujours camouflé, et recule d'un pas.

"Ma... Voix ?"

Je sors mon arme et réalise avec horreur que je la pose contre mes propres cordes vocales.

"Vous en donnez combien ?"

La partie raisonnable de moi écoute ses mots suivants. Il a sans doute raison... Si je chante devant les élèves et les professeurs, j'aurai bien plus de chances de les convaincre que se fondre dans un moule de la haute société n'était pas ce qu'il y avait de mieux pour leur épanouissement personnel.
Seulement la partie raisonnable de moi ne reste pas longtemps aux commandes, puisque je commence à chanter, sur l'air de à la claire fontaine :

"Votre devise ce doit être de donner à vos enfants un départ meilleur que n'a été le vôtre"


Puis je me ressaisis. J'ai chanté devant un inconnu. Choquée, je recule.
Pourtant, il a raison... La politique peut être renforcée par la musique, mais la musique a une puissance qui défie la politique. Méditative, je recule encore légèrement et perds l'équilibre.

Je me retrouve un genou à terre sur le toit et lâche un juron.
Bah, il n'a rien à me reprocher pour ce mot perdu, les dames ne commencent jamais les disputes... mais elles savent les finir !

Il ne répond pas à ma demande de prix. Dois je me sentir vexée ? Mais je redeviens réaliste. Si j'avais été une trafficante d'organes, je n'aurais jamais dû agir de la sorte. Et puis on ne prélève pas des cordes vocales ainsi.
La partie rationnelle de ma pensée n'en estime que plus ce William Ling. Peut être qu'il m'a vue sur des caméras de surveillance et que, malgré son apparence étrange, il a un rapport avec l'administration ou la sécurité et est venu secourir une pauvre élève en détresse...

L'étrange inconnu me conseille alors de ne plus reculer, afin de ne pas risquer de tomber. Tomber...
Et c'est reparti pour un tour.
Maintenant, ce toit m'apparaît comme un lieu parfait pour improviser un saut à l'élastique. Avec plus de détermination désormais, je me rapproche du bord, et jauge le précipice que je surplombe.
J'ai oublié que je ne suis plus attachée à ma corde. Mais tomber me paraît être une excellente idée.
Je m'assieds sur le rebord et laisse mes jambes pendre dans le vide. Puis, posant une main de chaque côté de moi, je me prépare à tomber.

Tomber, tomber... Mon esprit panique et je tremble. Malgré tout, je tente de garder un visage impassible, par fierté. Je ne sais qui est cet inconnu.
La panique est aussi causée par la division de mon esprit. Suis je en train de devenir schizophrène ? Je ne parviens pas à me souvenir quand ce phénomène a débuté, ni à comprendre quelle est sa cause, s'il en a une.

William Ling me retient, et me ramène de force sur le toit. Je n'ai plus assez de force pour tenter de me dégager, je reste donc immobile durant ces quelques secondes.
Je reste assise par terre, et je ferme les yeux pendant que ma tête tourne.
Une fois ce vertige passé je demande, bien plus pâle :

"Que faites vous ici ?"

Au lieu de me répondre, William me retourne ma question. Décidément, cette personne ne cessera de m'étonner. Seulement, je ne sais moi même pas ce que je fais sur ce toit. Je ne peux donc pas lui répondre correctement.

"Eh bien... Je suis venue pour coller des affiches, pardi !"

Je parviens à me forcer à rester assise. Debout, je risque de créer encore d'autres catastrophes, et même si je ne distingue pas le visage de mon sauveur, je peux voir que ma conduite immature le fatigue.
Il me demande alors si je fais partie d'une association pour la jeunesse. La partie flappy de moi souhaite bondir pour lui répondre avec sincérité. Je tente de me rattraper à temps :

"Oui, bien sûr ! Je m'occupe de... De leur préparer des gâteaux ! Et des boissons ! Et un peu de leurs vaccins et de leurs poumons."

Si je pouvais cesser d'aligner des inepties...
Ivre... Oui, c'est sans doute ça, je suis ivre. Ou plutôt, non. J'essaye de saisir l'occasion pour lui faire part de ce qui m'arrive :

"J'aimerais... Hips... Bien ! Mais en fait non. Hips."

Je ne parviens pas à réprimer le hoquet qui m'a prise lorsqu'il a mentionné ma possible ivresse.

"Je suis comme ça depuis un moment déjà... Pour une raison indépendante de ma volonté, mais alors de là à savoir laquelle..."

Ses mots se mélangent dans ma tête, tandis qu'une fatigue immense m'envahit. J'en ai assez. Tout ceci est absurde et m' épuise.
Il me faut fournir de plus en plus d'efforts pour parvenir à suivre ses propos. Et malgré toute ma bonne volonté, ils m'apparaissent totalement dénués de sens. Si j'avais bu, je le saurais. Or depuis que cet état étrange a débuté, je ne bois plus que du soda et de l'eau, par sécurité.

"Si j'avais bu je le saurais."

Un vertige plus violent que les autres me secoue et je serre ma tête entre les bras.

"Serait il possible de... Redescendre ?"

Ce cauchemar va bientôt finir. Il me propose le soutien de son bras pour m'aider à marcher.
Je me relève et, titubant, je​ m' avance vers lui et m'appuie sur son bras. J'ai honte. Même après mes pires cuites je tenais droit.

"Est ce que ça va passer ou il faut que... Je consulte un médecin​?"

Ce qui est impossible en l'état. Je suis mineure aux yeux de la loi et j'ai disparu du foyer familial. Je ne veux pas que l'on m'y renvoie.

Nous passions à nouveau sous le toit, à l'intérieur du bâtiment.
À nouveau, des idées étranges traversent mon esprit, et je ne parviens pas à ne pas les prononcer.

"Il y a des escaliers... On peut faire du toboggan sur la rampe ?"

A mon grand soulagement, William Ling me confirme que je ne dois surtout pas aller voir un médecin. En même temps, j'aurais été bien embêtée s'il m'avait donné les coordonnées d'un toubib ou, pire, s'il m'avait emmenée voir l'un d'eux. Je décide de lui faire confiance, il a l'air de s'y connaître, alors s'il dit que ça va bientôt passer, je préfère le croire.
Il me raccompagne et me soutient jusqu'à l'intérieur du bâtiment.

En revanche, il refuse ma proposition de faire du toboggan sur la rampe. La partie consciente de mon esprit lui en est reconnaissante. Il m'évite de bien graves soucis.
Et puis il m'appelle "madame". Un terme qui m'a toujours fait sourire. A mes yeux, il sous entend une certaine maturité, un peu de respectabilité... Toute ce qu'une ratée comme moi ne peut avoir.

"Je me sens prête à partir... Du moins à essayer. Et je n'ai pas vraiment souvenir de là où je suis passée... Je n'étais pas consciente à ce moment là."

Et là je trébuche. Aussitôt, il me semble qu'un poids s'envole de mes épaules. Je présente es excuses et nous arrivons ainsi jusqu'au bas de l'escalier.
Là, je le remercie encore pour son aide. Mais je préfère disparaître, à présent que tout cela est fini.