East Park:

Un peu plus proche, il y est presque, il va les toucher et… Patatra, il repart dans l’autre sens. Marmonnant un nom d’instrument, Tommy s’efforce de prendre davantage de vitesse, mais rien n’y fait : arrivée presque en haut, la balançoire fait systématiquement marche arrière. Une propriété bien ennuyeuse de la gravité se dirait sûrement quelqu’un passant par-là, mais pour Tommy ne connaissant rien à cette affaire ne comprenait rien à ce qu’il lui arrivait sans cesse.
Enfin, rompu à l’idée qu’il ne toucherait pas les nuages, il descendit du portique et se dirigea vers l’araignée, remplie d’enfants grimpant dessus ; et d’autres pleurant à cause d’un vertige soudain et bien malheureux.

Heureusement, son petit échec n’avait rien enlevé à sa bonne humeur de la journée : ce soir, c’était le prime des Power Rangers ! Six épisodes allaient s’enchaîner, et il allait pouvoir aller au lit super tard ! Et le lendemain, c’était la totale … Une journée remplie, avec un marathon des saisons.
Autant dire que le petit garçon était tout excité à cette perspective, et que rien ne pourrait entacher sa détermination à être joyeux. Pas même l’ombre qui lui avait déchiré son t-shirt Ranger Noir la veille et lui avait laissé une vilaine griffure sur le torse. Ça n’avait pas été simple de cacher la vraie raison à maman, alors il lui avait dit la vérité – et l’avait cru pour le principe, mais n’avait alors pas imaginé un seul instant que tout cela puisse être réalité. Un avantage d’être enfant contractant, celui de pouvoir tout dévoiler sans qu’un adulte puisse y croire.

Après une heure à errer de jeux en jeux, le jeune Nephil eut envie de changer un peu d’ambiance. L’aire était sympa, mais elle manquait un peu de Rangers… Et ses costumes en réparation, il n’y avait plus beaucoup de choix possibles : ouvrir un Kekkai et obtenir sa super tenue trop cool.
Alors, Tommy se rua vers la sortie du parc et se cacha dans un buisson, afin d’ouvrir sa dimension tranquillement – là était bien là seule précaution qu’il prenait à vrai dire.

Son office accompli, il s’était métamorphosé en le Power Ranger Rouge. Ce n’était pas vraiment une nouvelle, étant donné que c’était la seule couleur qu’il avait réussi à porter jusque maintenant… Mais cela demeurait génial !
Finalement habillé, l’enfant garda la pose et fit apparaître son épée, pour la pointer vers le ciel. Paré à de nouvelles aventures, c’est en riant qu’il se dirigea à toute allure dans la rue bordant l’espace vert, bien décidé à en découdre avec les méchants imaginaires.

Actée marchait tranquillement dans le quartier Est, ayant finit le travail pour aujourd'hui. C'était vendredi après-midi, les enfants jouaient dans le parc et lui se changeait les idées avant d'aller rejoindre Samantha pour se rendre au centre de Bénévoles. Elle n'avait pas encore finit sa journée et il s'était dit qu'il pouvait bien profiter un peu du beau temps, et autant être proche de leur lieu de rendez-vous.

Il était plongé dans ses pensés, regardant un peu autour de lui quand il vit brièvement un garçon, blessé, courir vers un buisson. Il ne semblait pas vraiment souffrant mais cela inquiéta un peu Actée, que lui était-il arrivé? Enfin, il courrait normalement, et au milieu de tout le monde le médecin ne pouvait pas se permettre de l'aborder pour cela.

Il continua donc tranquillement sa route quand, en passant derrière un arbre pour traverser un coin d'herbe, il fut happé dans un Kekkai. Immédiatement en alerte, il invoqua son scalpel et regarda autour de lui. Personne, ce devait donc être soit un contractant combattant une Ombre, soit des contractants se battant. Il chercha autour de lui, revenant sur ses pas pour avoir une vue plus ample de tout le parc, et vit alors je jeune garçon, dans une nouvelle tenue, courir, armé d'une épée. Avait-il vu une Ombre qu'Actée n'avait pas vue? Ils prit un pas de course pour rejoindre l'enfant, qui ne pourrait pas combattre quoi que ce soit blessé ainsi. Il l'appela en s'approchant.

"Hey petit! Attend, tu as vu une Ombre? C'est pas prudent de la combattre seule, surtout avec ta blessure!"

Après sa première course, le héros s’était camouflé derrière un arbre. Pas qu’il redoute quelque chose, ou qu’il souhaite prendre en traître un quelconque ennemi, mais il lui fallait observer le lieu – et l’imaginer – avant d’agir. Soudain, il surgit, fronçant ses sourcils derrière sa visière opaque ; et réitérant le lever d’épée précédent, il chargea vers la cible qu’il s’était désignée.
Pour ce premier, l’esprit fertile du garçon avait décidé que ce serait une pieuvre mutante de l’espace, qui menaçait d’empoisonner tout le parc : c’était le devoir d’un Ranger de sauver tout le monde !

Atteignant son adversaire imaginaire, Tommy abattit un coup d’épée dans la vide, mais échoua à reprendre sa garde ensuite. Une voix d’homme l’avait tiré tout à coup de sa rêverie, le questionnant à bout de bras. En fait, il n’y en avait qu’une seule, mais c’était déjà pas mal.

Pointant son arme en direction du grand qui s’approchait de lui, et parla d’une voix d’un grave ridiculement aigu.

« - Je suis pas petit ! Je suis un Power Ranger ! »

L’instant suivant, deux fils se connectèrent dans son esprit, et il se palpa le torse. Non, définitivement, l’inconnu n’avait pas de moyen de voir qu’il s’était blessé la veille ; alors, comment pouvait-il le dire ?

« - Comment tu sais que j’ai un bobo ? On voit rien avec ma super tenue. »

Trop obnubilé par les premiers et derniers mots de scalpel-man, le reste était passé à la trappe. Quid de la pieuvre mutante, de la pseudo ombre, ou encore de la nature du type en face ? Eh bien, pour le moment, l’esprit du garçon était trop occupé pour réaliser qu’il était peut-être en danger.

Le petit gars avait l'air de vraiment bien s'amuser, à taper dans le vide ainsi avec son épée. Pour le coup, Actée se sentait un peu ridicule avec son petit scalpel. Tant pis, pour le moment il avait survécu avec ça.

Le gamin l'entendit et se tourna vers lui, se vexant du fait qu'il l''avait appelé ainsi, sans trop avoir l'air de s'inquiéter de son identité ou de sa nature. Autant garder le sujet sous silence, plus vite il aurait fait son job en s'assurant que la blessure avait bien été soignée.

"Oui, excuse-moi. Et un Power Rangers? Je connais pas, c'est quoi?"

Sans doute un dessin animé pour enfants. Il lui semblait vaguement être tombé dessus une fois ou deux quand il était encore en Grèce, mais ça remontait à très loin dans ses souvenirs. Et puis ça le ferait parler. Il s'approcha un peu plus et lui tendit la main, histoire de le saluer en bonne et due forme.

"Je suis médecin, et mes yeux peuvent voir les blessures des gens même quand ils sont habillés. Je peux aussi voir quand les gens sont malades, mais toi tu m'as l'air en très bonne santé. Est-ce que tu as soigné un peu ta blessure ou pas du tout?"

Les contractants étaient certes bien protégés contre les infections mais ils n'avaient pas non plus de guérisons miraculeuses. Mieux valait être sûr que l'enfant ne risquait rien.

Il y avait de ces choses qui ne se faisaient pas, qui ne se disaient pas. Et renier l’existence, la popularité – même, la légende – des Power Rangers était tout simplement un affront terrible auquel Tommy devait malheureusement faire face chaque semaine. Afin d’éviter de se jeter sur l’auteur de l’injure, il se disait que lui aussi avait été ignorant ; mais en qualité de grand, le type face à lui n’avait pas le droit de faire pareille erreur.
Expirant bruyamment, il planta son épée dans le sol. Enfin, pour être exact, celle-ci tint l’espace d’un instant dans un équilibre précaire sans même effleurer le trottoir avant de s’étaler misérablement sur la tranche ; mais ce détail n’intéressait pas le garçon. Comme si l’action avait été un succès, le Nephil mit ses bras en triangle, poing contre torse, et montra son mécontentement très peu crédible.

« - Quoi ? Tu connais pas les Power Rangers ? T’as jamais regardé la télé ? C’est des super héros ! Vraiment, les grands, sont nuls ! »

Et toc ! Mais cela ne sembla pas déstabiliser l’homme, qui s’approcha encore davantage de lui et lui tendit la main. Non, non, il ne deviendrait pas gentil aussi facilement : alors il croisa les bras et baissa un peu la tête.
Toujours dans la même pose, il s’approcha néanmoins un peu du prétendu médecin, cherchant à observer les yeux de celui-ci.

« - Mais ils sont normaux tes yeux. Comment tu peux voir ? Tu me vois tout nu ? »

Cette fois-ci, Tommy avait pris en compte toutes les questions du monsieur pervers. Réfléchissant un peu, il se remémora tout à fait comment il avait soigné sa griffure.

« - Bah j’ai fait comme maman elle fait d’habitude. J’ai pris un coton tout doux, j’ai mis le truc qui pique dessus et je l’ai posé sur ma griffure. Mais vu que ça faisait super ma… »

Coupant sa phrase en plein milieu, le Ranger prit la posture du Rouge et continua, la voix moins héroïque qu’il l’aurait voulu.

« - Je veux dire, j’étais pressé donc j’ai arrêté. Y avait le monde à sauver des méchants ! »

Un héros n’a jamais mal.

Le garçon semblait très vexé par l'ignorance d'Actée, au point qu'il tenta de visiblement percer le sol de son arme, sans grand succès. Sans se démonter, il lui reprocha son ignorance, c'était à la foi mignon et amusant.

"Désolé, c'est vrai que je ne regarde pas trop la télé. Mais ça a l'air bien, je regarderais en rentrant alors. Tu m'en parles un peu, histoire que je saches à quoi m'attendre?"

Le garçon refusa de lui serrer la main, et il ne pouvait pas lui reprocher. Ils ne se connaissaient ni d'Eve ni d'Adam, et on avait du répéter au garçon de ne pas faire confiance aux étrangers. D'ailleurs sa question le surpris, il n'avait pas pensé qu'on puisse voir sa vision de la sorte, il ne voulait pas non plus l'inquiéter ou passer pour un pervers!

"Non non, ne t'en fait pas! Je te vois tout habillé, simplement que si je te regarde, juste le visage, je peux savoir ce que tu as comme maladies et ce que tu as comme blessures."

Il espérait avoir été assez clair, histoire de ne pas laisser de doute. Néanmoins, le garçon lui décrivit tout de même ses blessures et les soins, bien insuffisants, qu'il s'était administré seul. Actée prit un air un peu plus grave.

"Pour une blessure comme la tienne ce n'est pas du tout suffisant. Ta griffure est profonde, et il faut bien la soigner si tu ne veux pas avoir des problèmes. Et surtout si c'est bien soigné, on ne verra presque plus rien quand ce sera cicatrisé."


Le garçon était un Nephil, ce qui faciliterait grandement les choses. Il allait pouvoir l'amener à l'infirmerie pour soigner sa blessure, ou encore mieux, avec un peu de chance il y aurait un guérisseur sur place qui pourrait refermer rapidement le tout. Mais il n'en restait pas moins qu'il fallait désinfecter au plus vite, on est jamais trop prudents.

"Je suis médecin à l'infirmerie du QG Nephil. Si ça te va, on peut y aller ensemble pour soigner ta blessure. On pourra trouver là-bas, avec un peu de chance, quelqu'un qui pourra te la refermer immédiatement. Mais il faudrait tout de même désinfecter au plus vite, est-ce que ça te va si je le fais maintenant?"

Il sortit de son sac une trousse de secours qu'il avait toujours sur lui, en bon médecin consciencieux. Le désinfectant et les bandes protectrices devraient suffire à protéger la plaie le temps de trouver un guérisseur.

Le pécheur rattrapait un peu sa faute en montrant un intérêt à être initié au culte des Rangers, mais son ignorance n’était pas pour autant lavée de tout blâme. Révoquant discrètement son épée, Tommy consentit à lâcher un hochement de tête signifiant qu’il était prêt à devenir le maître de cet étranger.

Après l’explication du pouvoir du pas-si-pervers et du laïus sur le mauvais soin de sa blessure, le garçon relâcha sa pose et prit une mien contrariée, tout à fait invisible à cause de l’opacité de son casque.

« - C’est bizarre comme pouvoir, tu peux pas tuer les méchants avec ça. Tu veux que je te protège des monstres ? »

C’était innocent, et franc. Tommy n’en avait rien à faire des factions, de la fidélité ou encore de son contrat – tout ce qui l’intéressait, c’était de jouer au héros. Et si le type face à lui ne pouvait pas se défendre de lui-même, alors il l’aiderait.

Mais voilà que l’homme enchaînait déjà avec une autre proposition, qui fit trépigner un peu l’enfant. Un Nephil ! C’était le premier adulte qu’il rencontrait par hasard qui lui proposait d’aller au Quartier Général, et c’était super excitant ! A cause de sa mémoire assez peu développée par sa vilaine habitude de l’école buissonnière, Tommy avait déjà oublié où se trouvait la planque, et qu’on le lui rappelle était une bonne nouvelle.

« - Waa, t’es un Nephil ? T’es un copain alors, c’est ce que Nelytsa m’a dit ! Je veux bien venir, mais faudra pas rentrer trop tard sinon maman elle va s’inquiéter. »

La suite des événements contraria un peu le contractant en fait. Le soigneur lui proposait de désinfecter sa plaie sur le champ, et ça faisait bobo. Donc, il n’avait pas envie. Et en plus, un autre souci de taille s’imposait… Alors en pointant du doigt la trousse de secours, il ne put cacher son ton inquiet.

« - Mais euh… T’es sûr de sûr que c’est urgent ça ? Et puis tu sais, je peux pas retirer ma super tenue, y a pas de zip ! »

Cette excuse-là était bien honnête pour le coup.

Actée sourit, c'est vrai que pour un enfant comme lui qui voyait tout cela comme un jeu, difficile de concevoir des pouvoirs qui n'avait aucune utilité au combat. D'un côté c'était positif, il évitait nombre de tracas, mais d'un autre côté pendre leur vie et leurs combats à la légère pouvait s'avérer dangereux.

"C'est vrai que je ne suis pas un très bon combattant, mais vu que je ne suis pas encore mort j'imagine que je ne m'en sort pas trop mal. Mais je ne dirais pas non à ce que tu me protèges, je suis sûr que j'aurais besoin de toi un de ces jours."

Il était quand-même un peu inquiet de voir qu'un gamin était potentiellement bien plus fort que lui, il avait vraiment tout intérêt à s'améliorer au combat s'il ne voulait pas risquer de mourir en combattant le premier venu.

Ah, il connaissait Nelytsa! ça en plus du fait qu'il acceptait sans trop de problème de le croire, pour le coup c'était positif. Enfin, il ne fallait pas être aussi confiant avec tous les contractants, Actée devrait sans doute lui dire de vérifier la marque Nephil de son interlocuteur, mais il n'avait pas vraiment envie de lui montrer la sienne, là ça ferait vraiment pervers.

"Tu connais Nelytsa? Je l'ai soignée elle aussi, elle s'était fait mal à la cheville. C'est bien que tu te sois fait des amis au QG. Mais ne t'en fait pas, tu seras soigné rapidement, et au pire des cas je pourrais te raccompagner en voiture."

À y penser ça faisait vraiment bizarre, enfin surtout pour la maman, si elle voyait son fils sortir de la voiture d'un inconnu. Au pire des cas il se ferait passer pour un parent d'élève et prendrait Nelytsa aussi comme "preuve".

Le garçon sembla circonspect et lui dit de sa tenue ne s'ouvrait pas. Etait-ce une excuse d'enfant pour éviter le désinfectant? C'est vrai que le fait que ce soit piquant leur déplaisait particulièrement.

"Ce serait bien de le faire rapidement oui. Mais tu es sûr que tu ne peux pas enlever? Si tu découvre juste la partie ou tu as ta blessure ça ira très bien, et ce sera très rapide. En plus, celui que j'ai est doux, il ne pique presque pas."

Caché derrière sa visière, Tommy affichait un grand sourire. Le docteur avait accepté d’être protégé ! C’était le début de sa prometteuse carrière de héros, et il ferait tout pour que le premier témoin de ses talents soit sain et sauf.

« - Alors pense très fort à moi, et je serai là ! »

Ce n’est pas du tout de cette manière que les choses allaient – dans les séries, peut-être, mais pas dans la réalité -, mais personne ne pouvait blâmer un si jeune enfant d’avoir quelques doux rêves… Qui pourraient coûter cher au médecin.

« - Ouais, un tour en voiture ! Tu roules vite ? J’pourrai monter à l’avant ? »

La dimension étrange et inhabituelle du fait qu’un inconnu l’invite à monter dans son véhicule lui était tout à fait sortie de l’esprit. Après tout, c’était un guerrier et il était assez fort pour se défendre en cas de pépin. En plus, le conducteur avait l’air très gentil.

L’orgueil de l’enfant fut néanmoins quelque peu blessé lorsqu’il entendit la réplique suivante du type. Allons bon, personne n’avait le droit de sous-entendre qu’un peu de douleur puisse l’arrêter ! Et même si c’était la vérité, cela ne changeait rien : on n’injuriait pas un héros.
Relevant la tête, le petit garçon ne camoufla rien de son mépris.

« - Peuh, tu me prends pour qui ? J’ai mal de rien ! »

Rouvrant un œil, toujours invisible dans son casque, il continua le ton un peu plus posé.

« - Mais j’peux vraiment pas retirer ma tenue. Faut qu’il y ait plus de Kekkai pour ça. »

Après des mois d’usage de son seul et unique pouvoir, il avait fini par en saisir les mécanismes. On met le costume en levant une barrière, et on le retire en l’ôtant – rien de très compliqué en somme.

"ça marche! Je compte sur toi."

Il eut un sourire amusé mais attendrit, il était vraiment chou et plein de bonne volonté. Un enfant plein de joie de vivre comme on aimerait en voir d'avantage. Actée espérait sincèrement que sa vie en temps que Nephil ne serait pas trop dure, et qu'il pourrait garder ce positivisme.

Ah, le fantasme de la voiture de course, ça lui allait bien de rêver de vitesse. Malheureusement, Actée était plutôt du genre à respecter les limitations. Cependant un compromis pouvait être fait.

"Tu pourras monter à l'avant oui, mais je ne peux pas rouler en ville trop vite. Mais quand tu seras soigné, on pourra une fois aller rouler vite dans un Kekkai. C'est assez grand et il y a moins de danger. ça te dit?"


C'était peut-être un peu trop à promettre mais c'est qu'il commençait à s'y attacher à ce petit, même sans connaître son nom. Tout comme avec Nelytsa, son instinct paternel à jamais inassouvi faisait surface au grand galop.

À nouveau, le garçon se vexa : insunier qu'il pouvait avoir mal était trop insultant pour lui. Actée ferait un peu plus attention maintenant, il ne faudrait pas qu'il se fâche trop. Il regarda autour de lui et vit une roulotte de glace très proche d'un arbre.

"Je n'en doute pas. Mais d'accord, il faut trouver un lieu sûr alors ou enlever le Kekkai. J'espère d'ailleurs que personne ne m'a vu disparaître...bon, toi retourne te cacher dans le buisson, moi je vais aller derrière la roulotte. Après on se retrouve, d'accord?"

C'était le moyen le plus sûr qu'il avait trouvé, et pas vraiment d'autre choix ne se présentait à eux. Il pensa quand-même à une chose avant d'aller se cacher.

"Au fait, je m'appelle Actée, et toi?"

Les petits yeux de Tommy brillèrent quand le médecin acquiesça. Même sa maman ne voulait pas qu’il monte à l’avant, et ce n’était même pas imaginable de la voir dépasser les limites – mais là, quelqu’un était prêt à faire tout ça. Un frisson parcouru le corps du petit garçon, celui que l’on ressent lorsqu’on touche à ce qui est interdit, mais cela l’enhardissait plus que l’inverse ; et sa voix trahissait sa joie.

« - Trop bien ! »

Le climax de son bonheur retomba soudain quand Actée lui proposa un moyen de se faire quand même soigner. Mince, malgré ses efforts le douloureux produit n’allait pas pouvoir être éviter, et se défiler maintenant serait un adieu à son courage. Le ton nettement moins enjoué, il grimaça derrière sa visière et obtempéra.

« - D’accord. Moi c’est Tommy. »

Aussitôt cela dit, l’enfant courut vers un buisson et s’enfouit dedans, patientant pas tout à fait tranquillement que le docteur soit lui aussi caché. Ce détail vérifié, il ôta sa barrière et ressorti du buisson comme si de ne rien n’était, se dirigeant très lentement vers l’inévitable sentence.

Tandis qu’il se rapprochait du soigneur, les consignes de sa maman résonnaient dans sa tête. Ne jamais rentrer dans la voiture d’un étranger, ne jamais accepter de bonbons d’un étranger, et ne jamais se déshabiller devant un étranger ; et voilà qu’il allait enfreindre deux des trois lois maternelles. Il s’était toujours rassuré en se disant qu’il ne craignait rien tant qu’il avait ses pouvoirs, mais voilà que l’inconnu du jour pouvait faire usage du même genre de capacités. Mais il connaissait Nelytsa ! Ah, le garnement n’arrivait pas à se décider entre fuir maintenant ou faire confiance au gentil Actée.

Pourtant, le choix se fit de lui-même : tout son temps de réflexion avec occupé l’intégralité du trajet, et voilà qu’il se trouvait face au monsieur. Eh bien, soit.

« - Tu veux faire comment ? »

Actée sourit face à la motivation de l'enfant. L'idée de la voiture, peut importe la marque, le mettait dans une joie qu'il n'avait pas vraiment anticipé. Tant mieux après tout, mais il avait toujours ce remords de faire faire à l'enfant des choses qui normalement ne se faisaient pas. Mais il fallait le soigner, c'était la priorité no 1.

"Enchanté Tommy"

Actée partit en suite vers son poste, derrière la caravane. Tommy leva le Kekkai, et Actée fut heureux de voir que personne n'avait rien remarqué. Il sortit donc et se remit à marcher tranquillement, quand le garçon, dont il découvrait enfin le visage, vint à côté de lui, l'interrogeant sur la suite des événements.

"On va aller à ma voiture et on ira au QG, si tu veux on pourra même faire un petit tour en ville. ça te va?"

Il n'était pas sûr de la légalité de la chose mais au pire des cas il appuierait son accent et dirait qu'il n'était pas au courant de cette loi.

"Tu pourras pendant le trajet me parler des Power Rangers et me raconter leur histoire, ça te dit?"

Dos au mur, Tommy ne pouvait plus se montrait sceptique. Ses héros lui avaient appris à ne jamais montrer à un ennemi sa peur, et sa maman de ne jamais parler à un inconnu. Alors si le garçon avait déjà brisé une règle, autant ne pas faire de même avec l’autre – quoique, Actée ne semblait pas tout à fait rentrer dans les critères du méchant. C’était un gentil médecin avec une voix chaleureuse, qui disait connaître Nelytsa et en plus voulait le ramener au Quartier Général. D’un autre côté, il lui proposait de monter dans sa voiture et de lui appliquer du produit qui pique sur le torse. Cruel dilemme qui se débattait dans le petit esprit de l’enfant.

Perçant à travers toutes ses barrières mentales, c’est-à-dire le tiers d’une, le mot magique arriva directement de la bouche du docteur aux oreilles du petit, sans même prendre le temps de vibrer le long du chemin. Ça y est, c’était décidé : quelqu’un qui voulait en savoir plus sur les Power Rangers ne pouvait être quelqu’un de mauvais. Aucune chance.
Le visage nouvellement éclairé, Tommy trépignait sur place et montra son plus beau sourire.

« - Ouais ! On pourra faire des virages sur les terrains à côté de la base secrète ? Et puis je te raconterai tout ! Tu veux commencer par quelle saison ? Y en a … »

Sortant ses petits doigts, l’enfant commença à compter dessus ; mais il perdu rapidement le fil, après neuf. Bah oui, il avait dix doigts, il le savait, mais il n’y en avait que neuf sur lesquels il pouvait appuyer avec son index. Etrange.

« - Euuuh, plus que neuf ! »

Il ne se mouillait pas beaucoup à dire ça, mais on ne pouvait nier la véracité de ses propos.

Actée marcha tranquillement, les gens n'étant pas trop attentifs à leur petit manège. De nombreuses familles venaient dans ce parc, et ils devaient passer pour un père et son fils. Il était toujours gêné de cela, de montrer le "mauvais exemple" à Tommy, tout en ayant les meilleures intentions du monde.

Le garçon eut les yeux qui s'illuminèrent quand il l'autorisa à monter avec lui à l'avant, et surtout quand il l'interrogea sur sa série. Il en faut vraiment peu aux enfants pour les rendre heureux. Il sourit, tout ce qu'il demandait n'allait pas forcément pouvoir être fait.

"Dans le terrain vague c'est quand-même un peu dangereux, quoi que si on ouvre tu-sais-quoi, on aura pas le risque de faire des dégâts."

Il ne voulait pas prononcer le mot "kekkai" au milieu du parc, on ne sait jamais. Et il n'avait aucun doute sur le fait que Tommy comprendrait sans problème.

Ils arrivèrent au bout du parc, ou la voiture du médecin était parquée. Il sortit sa clé et l'ouvrit, le petit bruit et les clignotant permettant à Tommy de la repérer.

"Tu peux me parler de toutes les saisons, en commençant par la première. Mais tu peux déjà aller t'installer, met bien ta ceinture par contre, sinon tu iras à l'arrière."

Les émotions d’un enfant pouvaient fuser et changer en quelques fractions de secondes, et le visage de Tommy se tordit d’un panel entier de mimique au fur et à mesure que son nouvel ami poursuivait sa phrase. D’abord la déception, puis la colère, la résignation, l’espoir et finalement la joie – finalement, cela se concluait bien.

« - Ouais ! On va ouvrir un KEKKAI !! J’vais avoir un super costume ! »

Trottinant l’air heureux aux côtés d’Actée, le petit garçon n’avait plus qu’une seule hâte : monter dans la voiture et assister à une super démonstration de course. Sa maman ne faisait jamais ce genre de choses, et aucun de ses amis n’était assez grand pour conduire ; alors, c’était une première. Un petit frisson d’excitation lui parcourut le corps entier, et son sourire béant ne le quittait plus.

Enfin, le bolide s’offrit Ranger junior. Il était beau – pour un inculte de huit ans, tous les véhicules l’étaient, mais tout de même. L’impatient se rua sur la portière et l’ouvrit, sautant à l’intérieur et attrapant fermement sa ceinture.

« - Maman me dit toujours que je dois mettre ma ceinture, alors je mets ma ceinture. Dis monsieur Actée, t’as des enfants ? »

C’était presque un affront de ne pas commencer tout de suite le récit des aventures de ses héros, mais cette question s’était si soudainement présentée à l’esprit de l’enfant, qu’il ne put la réprimer.

Actée fit Tommy passer par tout le spectre des émotions avant d'exploser de joie. Au début il en sourit, puis se décomposa immédiatement.

"Tommy! Il ne faut pas dire ça en public!"

Son sang n'avait fait qu'un tour et il regarda autour de lui, suspicieux. Si quelqu'un de mauvais les avait entendus, il ne pourrait pas garantir la sécurité de l'enfant, ni même sa propre sécurité. Ils avaient eut de la chance avec l'ouverture du Kekkai, rien ne garantissait qu'ils en auraient à nouveau.

Ne voyant rien il continua sa route, aux aguets malgré tout. Tommy lui en s'embarrassa pas d'autant de précautions et fonça droit dans la voiture, sur le siège passager. Au moins, il mit immédiatement sa ceinture. Actée en fit de même et pressa sur le bouton de démarrage de la voiture.

"Ta maman a bien raison, jamais il ne faut prendre la route sans sa ceinture. Et non, je n'ai pas d'enfants. J'aurais bien aimé en avoir, enfin, peut-être que j'en aurais un jour qui sait."

Le moteur vrombit et Actée sortit la voiture du parking, se dirigeant vers la route principale.

Subissant la soudaine réprimande, le garnement se raidit brutalement, laissant apparaître un double menton qui n’avait pas lieu d’être. Non, non ! Il ne fallait qu’Actée se mette en colère après lui, il était hors de question de se mettre sur le dos son nouveau copain ! Tommy prit un une grande inspiration, puis concentra toute son ingéniosité pour prendre une face craquante de petit garçon.

« - Oh, je suis désoléééé monsieur ! »

Le docteur avait l’air de s’affoler suite à ce mot prononcé un peu trop haut, et cette réaction inquiétait le petit Néphil. Pas de dispute, tout sauf ça ! Après, ça allait faire comme à l’école, et c’était vraiment pas drôle.

Heureusement, ils finirent par reprendre le chemin jusqu’au véhicule du gentil grand. Confortablement enfoncé dans le siège bien trop imposant pour lui, il se dandina un peu, puis colla la tête contre le bas de la fenêtre. La route l’endormait toujours, même quand il était surexcité – ce qui n’était pas une bonne nouvelle pour la suite des opérations. Décidemment, les choses allaient de travers depuis trente secondes !

« - Ma maman elle a toujours raison ! Oh, tu as une amoureuse ? »

La question était indiscrète, mais c’était la marque de fabrique des enfants innocents. Soudain, le bolide se mit en route et les paupières du luron commencèrent à se clore. Il se redressa en sursaut, bien conscient qu’il fallait qu’il ne se laisse pas faire cette fois.

Actée soupira, regardant autour de lui. Personne ne semblait avoir entendu leur conversation ni même trouver louche qu'ils se baladent ensemble, et tant mieux. Il avait toujours le stress qu'on le prenne pour un pédophile ou un kidnappeur d'enfant. Il sourit un peu à Tommy, qui lui faisait les yeux doux pour se faire pardonner.

"C'est rien. Seulement tu sais que nous avons des secrets, et il faut pas en parler à haute voix."

Une fois bien attaché, la voiture s'engagea sur la route, et Tommy lui posa une question tout à fait banale pour un enfant. Actée sourit, ne voulant malgré tout pas trop en dire.

"Tu es très curieux toi. Pourquoi tu veux savoir ça?"

Il tourna rapidement la tête pour voir le jeune garçon. Il avait les yeux qui se fermaient, il allait peut-être s'endormir avant de poser d'avantage de questions. Il décida de le laisser, et de ne réveiller qu'une fois à destination.

Ha, chic ! C’était bien plus intéressant comme raison pour ne rien dire, ça ! S’il n’était pas interdit de parler des contrats, mais que c’était simplement un secret que l’on lui avait confié, tout changeait dans la caboche agitée du garnement : c’était un honneur pour cet apprenti héros de rendre la confiance qu’on lui avait accordé.
Croisant ses petits doigts énergiques, il fixa Actée fermement du regard et s’exclama :

« - Promis, je garderai nos secrets alors, monsieur ! »

Aussitôt ceci fait, le moteur vrombit de plus belle et la voiture s’engagea sur la route ; provoquant chez l’enfant un énorme sourire et un tremblement d’excitation. Il était devant, c’est trop génial ! Il sautillait un peu sur place pour tenter de plonger son regard toujours un peu plus loin, mais là était l’extase : c’était presque un grand !
La question de son ami docteur passa sans même pouvoir changer son air, et c’est toujours accompagné d’une somptueuse banane qu’il y répondit.

« - Bah, euuuuh… T’es un grand, et les grands ils ont souvent des amoureuses ! Et puis si tu veux des enfants t’en faut une ! »

Logique imparable, si l’on oublie le fait que Tommy n’avait aucune connaissance quant à l’adoption. Déjà qu’il ne comprenait pas très bien le processus complexe qui amenait à avoir des bébés, le fait de pouvoir en acheter un – bien que le terme ne soit pas tout à fait exact – lui semblait assez étrange.

La circulation était fluide, la route ne serait pas si longue pour arriver au terrain vague. ça allait quand-même lui faire bizarre d'ouvrir un Kekkai pour permettre à un enfant de potentiellement bousiller sa voiture en toute quiétude. Enfin, l'essentiel était de ne pas blesser Tommy, et il y serait particulièrement attentif.

Finalement, Tommy n'avait plus du tout sommeil. Tant pis, il allait quand-même lui répondre.

"Tous les grands n'ont pas des amoureuses. Et tu sais je travaille beaucoup, un peu trop même. Si j'avais des enfants, ils seraient malheureux de ne pas voir leur papa à la maison, alors c'est peut-être mieux si je n'en ai pas, tu ne crois pas?"

Se calant de nouveau contre la portière, Tommy soupira lourdement, déçu. Pourquoi le gentil docteur n’avait pas d’amoureuse ? Il avait l’air d’être quelqu’un de super, c’était pas normal… Et puis l’argument des enfants ne lui suffisait pas. Si Actée voulait devenir papa, c’était qu’il pourrait l’être sans souci ; alors se priver de tout ça juste parce qu’il aime bien son travail c’était pas bien.
En plus, c’était le genre de père qu’aimerait bien le garçon. Grand, fort, prêt à jouer avec lui : parfait, donc. Peut-être qu’il devrait le présenter à sa maman un de ces jours ? Une piste à réfléchir, tant est qu’elle lui revienne en tête un jour.

« - Peuh, si même toi t’as pas d’amoureuse, comment je vais en avoir une moi ? »

Ce n’était clairement pas dans ses priorités, mais le sujet trottait dans sa tête depuis qu’il avait vu deux camarades s’embrasser dans la cour l’autre jour. Ils avaient l’air de vraiment s’amuser ensemble, et ce serait trop génial d’avoir une Ranger Rose permanente à ses côtés – et Nelytsa était trop petite pour ça. Alors bon, même si les filles c’était nul, il pourrait faire une petite exception à sa règle.
Si c’était pour les Power Ranger, il n’y avait pas de problème.

Actée sourit , tournant le volant pour approcher du terrain vague. La tête déçue de Tommy était très drôle et touchante, les enfants étaient tellement loin des préoccupations des adultes, ça avait quelque chose de relaxant. Il se parqua un peu plus loin, dans un parking avec peu de voitures et à une cinquantaine de mètres d'immeubles moyens.

"Ne t'inquiète pas pour ça, je n'ai pas d'amoureuse maintenant mais ça veut pas dire que je ne vais pas en trouver une. Et toi aussi, tu es encore jeune, tu as tout le temps devant toi pour te trouver une amoureuse."

Il coupa le moteur et se tourna vers l'enfants. Il était curieuse de savoir de quoi il était capable.

"Dit moi Tommy, tu sais ouvrir des Kekkais? Et si tu essayais maintenant?"

Oui, Actée avait raison, mais c’était trop facile une réponse sage. Tommy aimait l’excès, le démonstratif – et qu’on lui dise que son super copain docteur, ou lui-même allait finir par se trouver une amoureuse était joli, mais dire quand serait mieux. Parce que bon, si ça tombait en même qu’un épisode des Power Rangers, ça n’allait pas le faire. Il fallait garder le sens des priorités, bon sang !

« - Il faut que t’en trouves une ! Tu veux que je te montre ma maman ? Elle est super gentille et jolie ! Et puis c’est la meilleure ! »

Ha ça, elle l’était. Pour supporter ses frasques, ses tentatives avortées et réussies d’école buissonnières, son énergie surnaturelle débordantes, ses passions envahissantes. Pour partir la nuit en secret travailler afin de le nourrir, sans faire attention à sa propre santé. Non, définitivement, la mère du garnement avait beaucoup de mérite.

« - Ouais, j’sais ouvrir un Kekkai ! Je joue tout le temps dedans, c’est trop facile à faire. Regarde ! »

Sans se faire presser, il ouvrit un Kekkai aux plus grandes dimensions possibles, accusant l’instant d’après le coup de la fatigue d’enchaîner ce genre de pouvoirs. Mais ce n’était pas grave, parce qu’avec ça, il n’y avait aucun doute quant au fait qu’il était un Ranger puissant !

Une seconde passa, puis deux. Le moteur du pseudo bolide commença à s’énerver un instant, puis soudain il retourna à ses ronronnements ordinaires – le Kekkai avait disparu. Le corps du petit garçon n’avait pas su résister au superbe assaut de la berceuse de ce léger tangage couplé au contrecoup de sa capacité. Triste fin pour un tel excitation, mais il demeurait après tout un enfant de huit ans, avec les faiblesses qui vont de pair. Enfin, pas tout à fait, mais cette fois-ci ce serait sa justification pour ne pas perdre la face après un tel aveu de peu d’endurance.

Comme les endormis ne voient pas grand-chose, le panel suivant que s’offrit à Tommy fut celui de l’infirmerie du Quartier Général. Sur lui une petite couverture, et sous lui un lit plus confortable qu’il n’en avait l’air – à coup sûr Actée l’avait déposé là pour qu’il y finisse sa sieste. Le garnement se leva d’un bon, jura un mot mignon puis s’empressa de se ruer vers la cafeteria. Il avait peut-être loupé un drift, mais il n’en serait rien du goûter !