Terrain de Jeu:

Je cours encore, maintenant depuis plus de 15 minutes. Mes jambes brûlent tellement que je ne vais tarder à m'écrouler si cette fille ne me lâche pas. Je crois que j'ai semé l'homme un peu plus tôt dans les bois, mais je n'arrive pas à larguer mon autre poursuivante. Je ne l'avais jamais vue avant, mon père emploie sûrement les grands moyens depuis tout ce temps passé loin de lui. Ce qui est sur, c'est qu'elle est forte, et bien moins stupide que les précédents. Elle me suit avec talent et sans le moindre faux pas.

Je ne vais pas avoir cent mille moyens. Si je veux devenir Nephil un jour, si je veux prétendre à entrer dans une guerre, alors l'entraînement commence maintenant. Et si ça tourne mal, j'appelle John et par la même occasion, Bey.

Lorsque je déboule dans une petite clairière - tout ce qu il y a de plus charmant si l'on remarque la fine pellicule de pollen illuminée par le soleil qui vole dans les airs. On dirait comme de l'air brillant. Mais pas le temps de penser à ça, je m'arrête net et fais demi tour sur un pied. D'abord surprise, la femme semble prise au dépourvu. J'en profite pour m'élancer vers elle, prête à lui asséner mon poing dans la figure.

Soyons audacieux, mon courage, mon imprudence, et moi.

"Yaaaa !"

Mais très vite, sa main bloque mon poing et me retourne le bras. Je réagis au quart de tour, balance mon pied derrière moi et touche - sans aucun doute - ce qu'on appelle le tibia. J'aurais eu tendance à avoir pitié, parce que ça fait super mal, mais à la guerre comme à la guerre.

Quand il faut il faut.

Cependant elle me jette par terre d'une clé de bras rageuse et ma cheville se vrille quand je mange l'herbe. J'ai rien vu venir. Quelques secondes plus tard, l'espionne essaye de me bloquer les mains dans le dos. Je me cambre assez fort pour lui donner un coup de tête dans le torse, bascule sur le côté en la faisant tomber puis lui hurle rageusement au visage, comme si toute ma vie en dépendait :

"Tu ne me ramèneras pas là bas ! Il est hors de question que je te laisse faire ça !"

Je me débats un instant, me relève. Mais ma cheville me fait mal. Si mal que je risque de ne plus pouvoir m'enfuir si la situation tourne à mon désavantage - ce qui commence dès maintenant. Les mains éraflées, je ferme les poings malgré la douleur ressentie. Je vais continuer à me battre. Mais elle me saute dessus, et même si j'aimerais réagir, je suis trop lente...

Trop lente...

Alors que je m'attends à me prendre une femme en pleine poire et finir menottée la seconde d'après, j'entends un bruit étouffé. Deux corps s'entrechoquent mais le mien n'est pas dans l'équation. Je l'aurais senti sinon, je pense. J'ouvre à moitié mes paupières et observe la scène qui se déroule sous mes yeux. Un garçon aux cheveux blancs vient de s'interposer au milieu du combat, et juste après son arrivée, je remarque une seconde silhouette s'approcher. Un homme aux cheveux noirs, qui essaye d'abord de discuter - même si j'ai déjà essayé ça marche pas très bien - puis qui ensuite s'interpose à son tour.

Qui sont ils ?

Je ne sais pas trop comment réagir sur le coup alors j'avance en boitillant jusqu'à eux et me place à leurs côtés. Il n'y aucune raisons qu'ils se battent sans moi. On sera plus fort à 2 et demi. Ma cheville semble presque gonfler à vue d'oeil et mon visage se déforme un instant sous l'effet de la douleur. Pourtant je retiens un gémissement en serrant les dents. Je pointe alors du doigt la femme qui semble revenir à la charge :

"Il faut stopper celle ci en premier !"

Je pourrais presque affirmer qu'elle a beaucoup plus d'expérience et de niveau que l'autre nigaud qui s'élance après elle dans notre direction. Depuis le début de la course poursuite il ne fait qu'imiter en retard - et beaucoup moins bien, ce que l'espionne fait. Quand elle a commencé à courir, il a fait pareil, quand elle a pris un raccourci, il l'a suivie. Il faut juste se méfier du "coup double". C'est comme si elle avait derrière elle une ombre qui pouvait répéter son dernier mouvement avec un bref décalage.

En parlant d'Ombres. Quelle ironie.

Je secoue légèrement la tête puis ajoute :

"Je ne peux plus me battre. A vrai dire je ne peux même plus marcher. Mais je peux vous donner un conseil. L'homme fait exactement pareil que la femme avec un bref temps de réaction. Il est stupide. Je vous dirais si je remarque quelque chose d'anormal. Faites attention et... Merci."

L'homme aux cheveux noirs se débarasse facilement de l'espion, et quelques secondes plus tard, il se plante devant moi.

"Je crois que je me suis retourné la cheville à cause d'elle. Je me demande si c'est grave..."

Puis je plante mon regard sur le combat restant pendant qu'il s'atteler au travail, recouvrant ma cheville d'un bandage - il faut croire que certaines personnes sont très préventives.

"Courage "cheveux gris" tu vas l'avoir !"

J'essaye d'encourager le premier combattant à être apparu dans mon champ de vision, persuadée qu'il allait remarquablement s'en sortir. Après tout il avait parfaitement bloqué les mouvements de l'espionne, il ne pouvait qu'y arriver. Du moins ça, c'est ce que j'espère. Une fois mon bandage terminé, j'observe les deux yeux rouges du médecin, un peu perplexe - mais pas trop quand même, après tout les miens sont violets. Il n'a pas l'air dangereux. Enfin. Je dois arrêter de supposer des choses, je me trompe TOUT LE TEMPS.

Je lui chuchote alors :

"Regarde, je vais faire un truc complètement random. A ton avis, j'y arrive ou pas ?"

Et sans lui laisser le temps de me répondre, je chope un caillou par terre et le balance au visage de la femme. J'essaye de prévoir sa trajectoire et...

Le caillou la rate.

Je peste un instant, attrape un second caillou et le renvoie. Cette fois ça y est, je vais l'éborgner ! Surprise - et peut être un peu blessée aussi, l'espionne lâche un cri de douleur alors que le caillou atteint son oeil. Elle recule de quelques pas, juste le temps nécessaire pour que notre cher camarade de combat puisse l'envoyer au pays des rêves.

Je serre les poings, comme pour lui donner ma force et mon courage, puis soupire en attendant l'issue du combat. Au pire il reste encore le médecin, il pourra toujours lui venir en aide au cas où... Il faudra que je pense à les remercier. J'en profite alors :

"Hé, toi, merci pour ça..." Dis je en levant mon pied.

J'observe la scène avec de gros yeux. Il est cheaté lui ! Comment il fait ça ? Ce serait pas un contractant quand même ? J'espère que ce n'est pas un bleu, les bleus vont devenir mes ennemis d'ici peu - ce serait dommage que je me fasse un ennemi aujourd'hui. Après il m'a aidée. Et il m'a vraiment aidée. C'est avec un regard ahuri que je sens la tension monter entre les deux hommes, vraisemblablement les deux se méfient mutuellement l'un de l'autre. Juste assez pour me faire peur quand à un combat entre eux. Je n'ose même pas y penser. Alors j'interviens, juste avant que "cheveux gris" ne puisse répondre :

"Ah non ! Vous faisiez encore parti du même camp il y a 5 minutes. Vous n'allez certainement pas vous entretuer pour des à priori à la con..."

Je m'élance entre les deux - perds ma cheville par la même occasion et lâche un cri de douleur assez inaudible pour ne pas être entendu. Traînant mon membre à moitié mort par terre, j'écarte les bras et déclare :

"Toi, sois un peu poli." Dis je en pointant du doigt "yeux rouges". "Et toi, arrête de le regarder comme s'il avait 7 bras et 14 nez sur la tronche." Fis je en pointant le second.

Bien, maintenant que les choses sont dites - si leurs cerveaux sont bien constitués, ça devrait aller, je respire un bon coup et ajoute, en affichant cette fois un sourire chaleureux :

"Je tiens quand même à vous remercier, vous n'imaginez même pas de quelle merde vous venez de me sortir. Je m'appelle Nemesis, enchantée."

J'observe les deux hommes en baissant mes bras, maintenant que je pense que la situation s'est un peu apaisée. Il serait dommage que l'un d'entre eux se mette à tuer l'autre. Qui m'aidera à rentrer sinon ? #égoïsme. Mon ton invite à d'autres présentations. Peut être que ça apaisera un peu les tensions si les deux hommes savent plus ou moins à qui ils ont à faire.

Soupirant de soulagement, je remarque que les deux hommes sont descendus d'un ton. J'imagine qu'ils se supportent mal, l'un et l'autre souhaitant être plus respecté que ça. Va falloir faire des efforts, mes poulets. Pas question que quiconque ne s'entretue ici - même si vous venez de mettre au tapis deux personnes, c'est déjà suffisant. J'observe ma cheville salement amochée, me plaint intérieurement de ne pas avoir signé mon contrat plus tôt, puis me concentre à nouveau sur la discussion.

Après quelques instants de silence - ou j'étais perdue dans mes pensées - j'annonce fébrilement avec un sourire :

"Tu t'occuperas de ça quand on sera à l'abri, pour l'instant je n'ai pas mal, ma cheville est encore chaude. Merci beaucoup de t'en inquiéter. Aucun risque, ils ont déjà du mal à me trouver en temps normal, on devrait être safe."

Puis je me tourne vers Seth. Cette fois je prends une mine plus sérieuse en jouant avec mes doigts, un peu nerveuse :

"J'ai fui la France quand mon père a décidé de me marier de force. Et il commence à mettre le budget pour me retrouver. La police est à ma recherche mais a trop peu de pistes pour vraiment me retrouver. Par contre les espions me connaissent pour la plupart donc ça commence à devenir compliqué. Ils ne devaient pas penser que je tiendrai si longtemps toute seule."

Je ne pensais pas non plus, maintenant que j'y pense. C'est toujours difficile de s'imaginer vivre seule quand on a toujours eu 100 personnes à son service pour régaler tous ses petits plaisirs. Surtout que j'étais trop innocente pour m'en sortir. Moi, la corruption, ça m'était inconnu. Enfin je le croyais. En réalité mon père l'était, mais il a fallut que je me retrouve devant d'autres monstres comme lui pour m'en rendre compte. Je soupire alors :

"Mais bientôt j'espère trouver une solution qui pourra enfin faire de moi quelqu'un de libre. Ma vie est infernale ces derniers temps. C'est pour ça que je vous remercie. Sans vous, demain j'étais mariée et enfermée dans une tour."

Ça peut paraître cliché, pourtant ça ne l'est pas. Mon père a le soutien de l'état français. Le gouvernement aurait empêché les autorités de venir m'aider. J'aurais été seule, emprisonnée. Un frisson parcourt mon dos à cette idée. Il en est hors de question.

J'écoute ce qu'on les deux hommes à dire, puis réponds dans l'ordre :

"Alors oui, j'ai même plusieurs chez moi. Technique de dispersion. J'ai loué un appartement et une maison est en construction. Je pense qu'aller là bas sera la meilleure option si je dois me cacher quelques jours."

Puis je me racle la gorge et acquiesce. Le plan de Raziel me semble correct. Quand à ma cheville, je ne m'en fais pas. J'aurais pu connaître bien pire. Après tout, si c'est le prix de ma liberté, je ne vais pas rechigner. Je marmonne un peu quand je remarque que mon pied refuse effectivement de bouger.

"Je suis d'accord avec ton plan. Seth, tu pourras peut être ensuite lui indiquer où se trouve le manoir ? Je crois que c'est de que tu cherches Raziel, non ?"

J'ai failli, failli ne pas lui répondre. A sa place je me serais sentie frustrée. J'en profite pour retirer ma chaussure, une basket violette - restons dans mes tons violacés, puis j'ajoute :

"Les cheveux violets aussi, c'était pour passer incognito. Ça n'aura pas marché longtemps. J'hésite à me teindre à nouveau les cheveux en brun."

Je ferme ma bouche un instant en me retenant de rire. Si je leur fais penser à autre chose, ça devrait suffire à calmer les tensions non ? Raconter ma merveilleuse vie super intéressante, rien de tel pour refroidir les ardeurs et la colère. Ça endort, plutôt. Pourquoi ne pas s'amuser un peu ? La vie n'est pas si triste quand on y pense. J'attrape mon téléphone, et jette un oeil à la montre. Il est 18h. A cette période de l'année - février reste un mois assez avancé pour que la nuit tombe vite, je sens que rester dehors ne serait pas une très bonne idée. Si tant est que je puisse parfois avoir de bonnes idées. Ce qui reste à prouver... Je demande alors :

"Tu pourras te repérer même s'il fait nuit ? Les jours sont encore courts en février. A mon avis il ne reste qu'une petite demi heure de clarté..."

J'écoute les garçons parler en maintenant la poche sur ma blessure. Ce n'est pas foncièrement douloureux, plutôt désagréable. On a envie de s'en débarasser. Assise sur mon rocher, je lève légèrement le regard vers le ciel, nu de toutes étoiles. Je me demande un instant ce que j'aurais fait contre ces espions toute seule, et ne peux m'empêcher de sourire légèrement en observant la scène qui se déroule devant moi.

Seth, qui semble étranger à nous alors qu'en fait, je suis persuadé qu'il est tout de même resté pour quelque chose. Raziel, qui ne sait plus trop pourquoi il est là mais qui cherche quand même des réponses à ses questions. Et puis moi, l'idiote blessée, fuyarde un peu parano sur les bords, dont la vie oscille entre hésitation et solitude. Je souris tendrement devant la situation, les laissant bavarder - puisque sans fausse modestie, je ne suis d'aucune utilité dans l'histoire.

Pourtant, je me connais. Et je connais cette voix. C'est la mienne.

"Je ne connais pas cette histoire de manoir. Que dit cette légende ? Je voudrais en savoir plus aussi."

Du coup je me tourne vers Seth avec un regard brillant. Lui qui connaît si bien cette forêt, je me demande s'il a des informations à son sujet - je veux dire, juste une simple anecdote, une histoire qui expliquerait comme cette légende est née... J'en sais rien moi !

Je suis le fil de l'histoire pensivement, les yeux brillants. C'est incroyable, tout ce qui peut jaillir d'un simple bâtiment qui jusqu'à présent n'a jamais été réellement découvert. Supputer des choses sur un lieu qui n'existe peut être pas. L'espace d'un instant, je suis prise d'un élan de volonté chevaleresque, et me lève avec la folle conviction de trouver le manoir. Au lieu de ça, je me pousse sur mes jambes difficilement et tombe du rocher, la tête la première dans un amas de feuilles.

Merci, feuilles, d'avoir été là.

Heureusement que ce n'était pas haut. Je grogne un instant en m'asseyant avec difficulté, attrapant ma cheville pour la placer en tailleurs sous mes jambes. En position bouddha, j'observe Seth avant de lui dire, une pointe de joie dans le regard :

"Les humains inventent toujours des histoires pour un rien. Si ça se trouve ils ont trouvé des ruines, les habitants ont transformé ça en maison, les comères de 75 balais en manoir, et les parents désireux de faire peur à leurs enfants ont rajouté ces petits détails flippants."

Je pose mon regard sur le médecin, remarque alors que je me trouve sacrément loin d'eux après ma chute, et ajoute alors :

"A mon avis, cet endroit n'existe pas. Mais je dois avouer que ce genre de légende donne l'envie de partir à sa recherche..."

Je me demande d'ailleurs si cette légende est connue par beaucoup de monde - et si elle est prise au sérieux souvent. J'avoue que si Seth ne l'avait pas racontée d'une voix si lointaine, j'aurais pu être happée par l'envie d'aventure. Mais je comprends bien qu'à sa connaissance du bois, il l'aurait trouvé avant moi. Il l'aurait trouvé tout court à vrai dire. Je hausse les épaules en affichant une moue désolée à l'égard de Raziel. Dommage pour sa quête.

Alors honnêtement, non je ne suis pas prête à marcher. Mais je vais faire avec, et avec le sourire en plus. Je suis une bonne menteuse - non, ça c'est un mensonge. J'attrape alors ma jambe, la place devant moi en soupirant et observe la cheville. Bien sûr que non, elle n'a pas guéri, j'ai vraiment pu espérer que ce soit magique ? Je me relève un peu maladroitement, songeant alors à la terrible nouvelle que représenterait pour moi une horde d'espions. Un frisson parcourt mon dos et je secoue la tête. Ce serait vraiment une catastrophe.

"Déboussolés mais encore capables d'appeler quelqu'un. On devrait se méfier ! De toute façon, je pense être capable de marcher jusque chez moi. Si je pouvais vous demander un ultime service..."

Je secoue mes cheveux plein de feuilles mortes, résiste à la douleur lancinante de ma cheville puis ajoute d'une voix hésitante :

"Vous pourriez m'accompagner jusque chez moi ? Si vous voulez, vous pourrez entrer manger un morceau."

Je souris tendrement quand je remarque avec joie l'attention que les deux jeunes hommes me portent. Bien loin de moi l'idée d'être une princesse capricieuse, mais je dois avouer que pour une fois, je suis touchée qu'on fasse attention à moi. Je veux dire, ces deux là ne me connaissaient encore pas il y a de ça 30 minutes, et voilà qu'ils acceptaient de perdre de leur temps, de couper leurs recherches et leurs occupations, pour m'escorter jusqu'à ma maison. Bon, ce n'était pas bien loin je pense, j'étais partie à l'est quand la course poursuite a commencé. Logiquement nous serons rentré dans 2 heures tout au plus.

"Merci beaucoup à vous deux !"

Je les remercie d'un bref clin d'oeil puis me redresse en réprimant une grimace. Y'a rien à faire, cette cheville a définitivement envie de saloper ma soirée. Je réponds donc à Raziel en tentant de garder mon sang froid et de ne pas insulter mon propre corps - ce qui aurait pour cause de me faire passer pour une belle cinglée :

"Je devrais pouvoir marcher. Je te dirais si jamais la douleur n'est plus supportable."

Puis je tourne la tête vers Seth en lui souriant :

"Nous te laissons ouvrir le chemin, j'habite dans le quartier Nord de Palema, ça ne devrait pas être trop loin j'espère..."

Puis je sautille légèrement pour avancer vers la direction qui me semble être la bonne. Genre en gros, c'est sûrement pas la bonne du tout. N'empêche que je devrais parfois me méfier des étrangers. Je veux dire, d'accord ils m'ont sauvé la vie, mais je m'apprête quand même à ramener deux inconnus chez moi sans aucune pression. Il pourrait arriver n'importe quoi, n'importe quand, n'importe comment. M'enfin, maintenant c'est trop tard - et puis s'ils avaient eu l'envie de me tuer ou pire encore, ils l'auraient déjà fait. Et puis surtout, c'est pas mon genre de penser à ce genre de trucs. J'aviserais plus tard !

Je me mets donc à suivre les deux hommes en observant la forêt de nuit ainsi que un chaque détail de la nature. J'adore ça, me promener dans les bois en pleine nuit. Ça devait faire des années que je n'y avais pas mis les pieds. Après tout, en France j'avais le droit parce qu'on avait un bout de forêt dans notre jardin. Mais ici c'est plus compliqué, je pourrais être en danger... Pourtant quelque chose me serre le ventre. De la nostalgie ?

Puis j'entends vaguement une question. Le temps de reprendre mes esprits et la comprendre - ce qui peut prendre plus ou moins de temps - et je réponds d'une voix joviale :

"Non, le quartier Nord c'est disons, le plus sécurisé des quartiers. Pour moi, qui suis recherchée par les forces de l'ordre, c'est bien le dernier endroit où on pense à me chercher. Il y a des patrouilles jour et nuit qui veillent sur les habitants du coin... Disons que si tu cherche des gangs, c'est plus au Sud qu'il faut te diriger."

Je frissonne à nouveau en songeant à la nuit où j'ai rencontré Sean et que j'ai failli finir cul nu dans une rue paumée. J'aurais pu me faire violer et mourir ce jour là. Bizarrement, j'ai eu un peu de réticences à y retourner ensuite... Puis j'ajoute à l'égard de Seth :

"Si tu me donne précisément et le plus souvent possible des informations sur l'heure et le nom des rues, je pourrais te dire où les flics passent et quand. Ensuite on pourra les éviter et rentrer chez moi jusqu'à ce que les patrouilles changent. Ils retournent au commissariat et tu auras une dizaine de minutes pour quitter le quartier... Enfin... J'imagine que c'est parce que tu veux le fuir, que tu ne l'aime pas ?..."

A vrai dire, je l'avais senti comme ça. Finalement on est pas si différents à ce niveau là. Sauf que moi ça m'aide bien de vivre en ville et puis ça m'offre une certaine couverture. J'ai de faux papiers, et si je me débrouille assez bien pour éviter d'avoir à faire aux forces de l'ordre, je m'en sors easy. Et en échange j'ai la qualité de vie qu'on obtient en vivant en ville...

"Je peux comprendre que la ville soit épuisante. Et puis les gens n'ont pas de cesse, Raziel. Je pensais que c'était comme ça qu'en France mais vois tu, c'est pareil partout. Si les gens n'obtiennent pas ce qu'ils veulent de toi, ils t'enferment, ou ils te tuent. Quartier Nord ou pas."

A l'entrée du quartier Nord, je montre du doigt une petite ruelle qui passe entre deux lotissements. Au bout, il faut longer une grande rue, puis s'engouffrer dans un autre lotissement de pavillons. Ma maison se situe tout au bout, du côté des bâtiments en construction. Je surveille la rue, vide de toute présence humaine, puis traverse en tentant de rester le plus naturelle possible. Après tout je ne suis pas totalement une fugitive... Je n'ai pas à avoir peur. Avec tout ce que j'ai vécu ici, j'aurais dû avoir peur plus tôt...

Alors que nous arrivons dans ma rue, remontant le trottoir à vive allure pour éviter les autorités, je me retourne vite fait vers les garçons. D'un regard au dessus de l'épaule, je leur lance un clin d'oeil avant de pénétrer dans la cour d'une petite maison dont l'extérieur parfaitement entretenu m'appartient. La maison, en elle même, est belle aussi. Semblable à ces voisines, ceci dit, mais au moins elle passe inaperçue. Je me tourne vers les trois garçons alors que je me tiens devant la porte.

"Bah en fait, j'ai fait des trucs pas forcément corrects pour m'en sortir. J'ai volé de l'argent à ma famille avant de partir, j'ai comploté dans mon coin pour obtenir un faux visa ainsi que tous les papiers nécessaires pour me reconstruire une vie, et puis j'ai eu une bonne dose de chance. Officiellement, je suis censée m'appeler Cristal Morgan maintenant."

Je souris faiblement en me souvenant de ce que mon grand frère m'avait un jour dit "Tu ferais mieux d'être fière de ton nom au lieu de t'en cacher." Ouais, ça c'était avant qu'on décide de me marier. Au final j'aurais quand même changé de nom si je m'étais mariée, hm. Donc je n'ai aucun regrets. Même si mon frère disait ça pour me protéger, je vois bien ou ça mène d'être qui on est. Alors je préfère être une autre, au moins sur mes papiers.

"Je suis recherchée par des espions français. Tout au début, il envoyait deux imbéciles, pensant sûrement que j'allais me rendre après avoir vécu seule 3 jours. Et quand il a vu que je résistais... Ça l'a un peu énervé. Ce que vous avez vu aujourd'hui, ce n'est que le début de mes vrais problèmes."

Mes lèvres s'étirent alors en un sourire amusé et je hausse les épaules en tournant la clé. La porte s'ouvre alors et je m'engouffre à l'intérieur en les invitant à entrer.