Chez Hadence:

Des semaines s’étaient écoulées depuis leur dernière entrevue, mais l’heure était arrivée de se revoir. John avait préféré attendre que beaucoup d’événements se passent pour discuter avec Saskia – il avait peur de tomber à court de discussion sinon.
Et des choses, beaucoup s’en étaient passées : il avait un travail, un plan d’étude, des ennemies, des blessures… Beaucoup de ces choses demeuraient secrètes, mais pas toutes, heureusement.

Enfin, maintenant il fallait retrouver son chemin jusqu’à l’appartement que lui avait indiqué la jeune femme. Il y était déjà venu deux fois – une pour, la raccompagnant, l’autre, lui apportant les faux papiers-, mais sa mémoire infaillible avait déjà commencé à mélanger les rues.
L’avantage dans une situation comme celle-ci, c’était qu’il ne pouvait pas arriver en retard : il passait à l’improviste. Quoiqu’il fût capable tout de même d’être en retard à un rendez-vous non fixé ou à un passage de toute heure, mais bon, il valait mieux ne pas parler de ce genre de détails.

Après beaucoup de détours, de mauvaises rues – il a même fait un passage dans le quartier Ouest, se trompant de destination-, il finit par arriver devant une habitation qui lui rappelait quelque chose. Probablement pas un vol, ni un combat d’ombre… Alors cela devait être l’endroit où vivait Saskia. Avec un peu de chance, elle était présente à ce moment-là.
Il était 18h passée, les cours était finis et il voyait mal la jeune russe trainait dans les coins reculés désormais. En soit, elle allait probablement être dans l’appartement. Déjà qu’il s’était perdu pendant deux heures, il n’allait pas non plus rentrer bredouille.

Alors il toqua à la porte, et attendit. Qui allait ouvrir la porte ? L’inconnu qui l’hébergeait, ou elle ? Et puis, il se posait pas mal de questions quant à ce qu’allait lui raconter la russe. Peut-être avait-elle décidé d’arrêter ses recherches, trop compliquées ; ou alors il était aussi possible que tout se soit bien passé.
En fait, il avait du mal à envisager cette solution : pour lui, tout allait bien, alors si c’en était pareil pour Saskia, ce serait presque trop… Facile. Désirable, enviable, mais trop rapide. C’était égoïste comme idée – surtout qu’il avait véritablement envie qu’elle réussisse-, mais il n’arrivait pas à se l’ôter de la tête. Lui avait réussi grâce à son contrat avec Bey, elle n’en avait pas.

Il était peut-être temps de lui parler de certaines choses, tout bien réfléchi.

Aujourd'hui, elle écrirait. Une lettre, une simple lettre, destinée à son petit frère. Pourquoi n'y avait-elle pas songé plus tôt ? Peut-être parce qu'elle y avait déjà pensé sans jamais osé franchir le pas ? Et si l'adresse à Moscou n'était plus la même ? Les déménagements, cela pouvait arriver.
Le thé fumant sur la table, des brouillons de papier sur la table, un stylo éloigné du papier. Elle avait tenté de noircir des fragments de feuilles, mais tous restaient morts-nés, destinés à la corbeille sitôt les premiers mots écrits. Le cyrillique lui paraissait étranger, sûrement était-ce lié à son apprentissage assidu de l'anglais et de son orthographe ainsi que de son alphabet qui lui posaient plus d'un souci. Elle était une étrangère à Palema et commençait à se profiler étrangère au sein de son pays d'origine.

Elle laissa sa tête retomber sur la table, dépitée qu'elle était. Ecrire, même dans sa propre langue, c'était trop dur. Et si Saskia était incapable de tenter la moindre communication par cette voie avec Avdeï, comment pouvait-elle espérer aligner trois mots en sa présence s'il venait à venir ici comme par magie ? Non, mieux valait éviter qu'elle n'y pense.

Un bruit la sortit de sa torpeur. Avait-on toqué ? C'était soit cela, soit elle entendait des sons aussi communs que celui-là. Elle releva la tête, se demandant qui cela pouvait bien être. Hadence ayant oublié ses clefs ? Non, du grand n'importe quoi. La Russe observa le bordel qu'elle avait mis sur la table de cuisine. Qui que cela pouvait être, plus qu'à espérer qu'il ne soit pas un maniaque du ménage, sans quoi il risquait une syncope étant donné l'état des lieux.
Elle se leva enfin pour aller ouvrir.
Et tomber nez à nez avec John. Non, elle ne s'attendait pas à ça, pas vraiment, mais elle allait sûrement finir par se faire à l'idée que oui, le garçon débarquerait à l'improviste aussi longtemps qu'elle n'aurait pas de portable. Il faudrait vraiment y remédier.

– John ! Quelle bonne surprise ! Rentre, reste pas dehors, tu vas choper la crève ! fit-elle tout en le poussant à l'intérieur avant de refermer la porte, tu passes juste en coup de vent comme la dernière fois ou t'as le temps pour papoter un peu ?

Parce que oui, lors de sa dernière visite, John n'avait fait qu'apporter les papiers fraîchement imprimés de la demoiselle sans s'attarder. Elle pouvait comprendre qu'il avait d'autres choses à faire mais à dix-huit heures passées, difficile d'imaginer ce qu'aurait bien pu retenir le jeune homme aujourd'hui. Les cours étaient finis, du moins si le garçon avait évolué de ce côté-là, plus qu'à espérer que le travail concernant lequel il avait une piste qui s'était peut-être avérée concluante n'était pas un job de nuit. Ce ne serait vraiment pas pratique, ça.

– Tu veux boire quelque chose ? Fais pas attention au bazar, j'allais jeter tout ça.

Jeter tous ces brouillons de lettres. Elle n'en espérait pas davantage. Pourquoi aurait-elle réussi à écrire quoi que ce soit aujourd'hui plutôt que les jours précédents ? Toujours la même rengaine.

Serviable et docile, Saskia attendait debout pour savoir ce que souhaitait John. Oui, sa visite imprévue lui faisait énormément plaisir. Elle s'était demandée ce qu'il devenait et n'avait guère eu le temps d'épancher sa soif de savoirs la dernière fois. Plus qu'à espérer que le garçon aurait plus de temps à lui accorder avant de filer cette fois-ci. Au moins John paraissait-il en forme. Mais mieux valait se méfier de l'être et du paraître, c'était là deux choses différentes.

En franchissant le seuil de la porte, John laissa échapper un petit rire. Maintenant qu’il passait le plus clair de son temps chez Alice, il avait été obligé d’opter pour un style de vie plus soigné, plus rangé. Alors, voir ce bazar le faisait se sentir comme chez lui – le vrai, celui qu’il n’occupait désormais qu’à peine quelques heures par semaine. D’ailleurs, avec son salaire flambant neuf – et bien garni-, il allait probablement devoir déménager ; son concierge devait commencer à s’étonner de voir ses mois de dettes payés.

Décidément, ce n’était pas très grand. Vivre à deux devait être assez compliqué, l’espace étant bien trop restreint pour laisser chacun à son aise ; mais sur ce point, ce n’était pas vraiment l’affaire de John.

« - Ah, j’ai du temps maintenant, c’est mon jour de repos. »

Et voilà, l’amorce avait lancée : il avait un travail. Enfin, avant de parler une énième fois de lui, il désirait cette fois que ce soit Saskia qui lui raconte tout ; il avait retenu la leçon avec Nylian.

« - Merci, ce que tu veux ... A moins que tu ais du jus de pomme ?»

Humour.
Elle était bien gentille de l’accueillir comme cela ; voilà que c’était elle qui lui payait des choses. Pendant ce temps, John, amusé, tentait de comparer ce qu’il était un mois auparavant, quand il avait aidé la jeune femme, et ce qu’il était désormais. De jeune contractant au chômage et hors-la-loi, il était devenu plus expérimenté, et surtout salarié. Garde du corps même, c’était donc un changement, et pas des moindres.

« - Commençons par toi, alors, quoi de neuf ? Le lycée, un taf’ ? »

Entre les deux, le Nephil espérait vraiment ce que soit les études que Saskia ait reprises. John était conscient qu’en les arrivant aussi tard en classe, la jeune femme n’allait pas vraiment avoir d’autres choix que de redoubler – sauf en montrant d’étonnant aptitude, ce qu’il lui souhaitait tout à fait ; mais la situation n’était pas la même pour les deux. Refaire une année n’était pas quelque chose de très grave pour quelqu’un de l’âge de la russe, puis cela l’occuperait. Tandis que John pouvait utiliser ce temps pour avoir un travail.

En y repensant, ce serait bien amusant qu’ils finissent tous deux dans le même lycée ; et le pire dans tout cela était que c’était loin d’être improbable.

Il lança son regard vers la table que comptait vider Saskia, et il y aperçut quelques papiers, vraisemblablement manuscrits. Des devoirs ? Possible. Enfin, chaque chose en son temps, elle avait déjà assez à raconter avant que John la questionne davantage.

Son jour de repos ? Le syntagme n'était pas passé dans l'oreille d'un sourd. Qui disait jour de repos signifiait travail, non ? Elle n'avait pas raison ? Il y en avait au moins un des deux qui s'en sortait. Saskia crevait d'envie de lui demander en quoi consister ce job mais elle allait devoir tenir sa langue encore quelques temps, c'était à elle de se prêter au jeu des questions-réponses et n'avait aucune envie de s'y dérober. Pour elle, ce serait rapide, il n'y aurait pas grand-chose à raconter car peu d'évolutions en ces deux semaines à vrai dire. Il fallait du temps pour que des choses se mettent en place, encore plus avec un cas comme Saskia.

Elle revint de la cuisine avec la théière et du sucre. Jusqu'à quand cette histoire de pomme allait-elle la poursuivre ? John continuerait-il de l'embêter gentiment sur ce sujet d'ici quelques mois ? Rien ne pressait, elle ne savait même pas comment leur relation naissante allait évoluer. Trop d'évolutions, la faute à Ethan et son titre de fiche évoquant Pikachu, si si.

– Y a du thé, le jus de pommes ça sera pour une prochaine fois, quand Hadence ou moi aura fait les courses, déclara-t-elle dans un grand sourire, chez moi on le sucre avec de la confiture mais je sais que vous Américains avez le foie fragile alors n'hésite pas à opter pour le sucre !

Elle lui servit un verre avant de ramener la théière à sa place. Elle savait que parfois les Russes passaient pour des excentriques, nombre de ses connaissances trouvaient étrange de sucrer un thé avec un soupçon de confiture de griottes mais c'était ainsi qu'elle avait été habituée et n'aurait troqué sa manière de faire contre du sucre pour rien au monde. Et puis, passer pour une originale, cela avait du bon parfois.

Elle s'assit à sa place tout en indiquant le siège qui lui faisait face du coin du regard à John. Elle tira un tiroir juste sous la table – pratique cette table – et en extirpa un dossier d'admission qu'elle avait commencé à pré-remplir. Venait un moment où tout se compliquait et son anglais était trop peu administratif pour se frayer un chemin à travers ces mots étranges et complexes qui sifflaient à ses oreilles. Elle espérait que John pourrait l'aider à y voir un peu plus clair. Après tout, ne le lui avait-il pas promis lors de leur précédente rencontre qu'il pourrait l'aider pour ça aussi ? À croire que John n'était là que pour lui filer un coup de main, encore une histoire de papiers, peut-être était-il prédestiné à ce genre de coups de mains ?

– Ça, c'est le dossier d'admission pour le quartier Est, y a plus que ça qui me sépare du lycée en fait… Et croiser les doigts pour que j'y sois admise… J'ai commencé les cours particuliers avec l'ami dont je t'avais vaguement parlé, je crois qu'à force je vais être incollable en sciences ! rigola-t-elle tout en songeant à Leeroy et son don prononcé pour cette discipline, par contre pour l'anglais c'est pas encore ça, en plus douée comme je suis si ça se trouve j'ai fait des fautes énormes dans ce que j'ai déjà rempli !

C'était une bonne manière de rendre compte de sa situation, oui. Tout était en train de se mettre en route, ne manquait pas grand-chose pour que les choses se concrétisent enfin. Et, comme il pouvait s'en douter, la demoiselle avait délaissé l'idée d'un éventuel travail pour le moment. Mieux valait qu'elle suive ses conseils en se consacrant pleinement à sa reprise d'études. Déjà que ce ne serait pas une mince affaire, si en plus elle venait à se disperser !

– Et pas de taff' pour le moment, je vais attendre de voir ce que ça va donner avec le lycée. Après, j'improviserai.

Comme toujours au final, non ?
Elle but une gorgée de son thé respectif avant de reposer le verre sur la table et de reporter son regard sur John. Avait-elle assez résumé sa situation ? Elle s'en rendait compte désormais ; elle paraissait bien loin de l'avancée fulgurante du garçon. Elle se basait de peu pour penser cela, juste d'une phrase lancée à la dérobée. Deux semaines, c'était à la fois très long mais à la fois très courts pour rattraper presque trois ans perdus.

– Et toi alors ? C'est quoi ce fameux taff ? Avec toutes ces histoires de papiers, je serais même pas étonnée que tu bosses dans l'administratif, rigola-t-elle, ou alors dans un magasin spécialisé dans les alarmes, histoire que tu les aides à améliorer leurs systèmes de sécurité !

Elle n'oubliait pas que John était un voleur obligé de se faire discret désormais. Le voir travailler dans ce type de service aurait eu de quoi être ironique en vue de son passé. Une sorte de pied de nez à la vie. Malheureusement, il y avait peu de chances pour que l'une ou l'autre de ses idées lancées en plein vol se concrétisent, demandant chacune des études spécifiques que le jeune homme n'avait pas. Vrai qu'elle se demandait bien ce qu'il avait pu dénicher suite à son parcours scolaire encore plus troué que le sien.

John n’était pas vraiment du genre à rajouter du goût sur ce qu’il mangeait ; que ce soit du sucre pour le thé, ou des sauces pour les plats en général. Il trouvait cela quelque peu inutile, sa nourriture étant en général très mauvaise quoiqu’il tente. Alors l’invitation de Saskia provoqua un petit sourire chez lui, et il se fit violence en essayant cette fameuse boisson au sucre confiture.
C’était plutôt bon en fait, quoiqu’il trouva que la saveur du thé s’y perdait un peu – probablement dû à une petite erreur de dosage de sa part.

Pendant qu’il faisait son essai de thé, il écoutait attentivement l’histoire de la jeune russe. Cela semblait se passer relativement bien, avec un lycée en vue et des cours particuliers. C’en était quelque peu surprenant que les deux suivent des cursus semblables en tous points, mais ce n’en était que meilleur pour eux. La petite différence était que John avait de son côté obtenu un travail, mais il était l’ainé de plus de cinq ans de la jeune femme, alors c’était en quelque sorte normal.
D’ailleurs, il n’avait pas vraiment négocié les termes du contrat avec Alice, et ne savait pas exactement jusqu’à quand il allait travailler pour elle : à la rentrée, gérer travail et études allait être relativement compliqué ; mais il lui restait assez de temps pour y réfléchir.

« - C’est super tout ça, j’ai l’impression que ça avance plutôt bien de ton côté ! Vu que je suis aussi en plein dans les papiers ces derniers temps, je peux t’aider si y a des trucs qui te paraissent incompréhensibles. »

Et voilà que ça embrayait directement sur les avancées de John. Le plus amusant dans cette petite histoire, c’était qu’elle était en partie vraie : il travaillait comme garde du corps… D’une ex-victime. Tout à fait improbable comme histoire, sauf quand on est Nephil ; c’était bien la seule façon d’obtenir un tel piston. Quoiqu’il ait passé tout de même une épreuve. Douloureuse d’ailleurs, et la haine qui s’était soulevée en lui ce jour-là n’avait pas encore tout à fait disparue de son esprit – le pouvoir de son collègue était donc rudement efficace sur le jeune homme.

« - Ha ha, presque ! Je suis garde du corps d’une fille bien aisée du Nord, un emploi plutôt stable et bien payé… »

C’était le mot, il n’y avait pas à dire. Dix milles dollars par mois, une somme qu’il ne voyait même pas par année auparavant – c’était fou à quel point sa vie avait changeait en quelques semaines. Il n’en revenait toujours pas, et avoir un tel salaire le mettait presque mal à l’aise. Il avait l’impression de ne pas mériter tant, de voler tout cet argent. C’était comme s’il avait renié ses anciens dogmes pour devenir l’esclave de l’argent, et sa conscience s’en offusquait.
Il fallait que John aide quelqu’un ; il devait continuer ce qu’il s’était promis de faire. Et il avait une idée du comment.

« -… Tellement qu’on m’héberge même là-bas, donc mon appart’ est vide maintenant. Si jamais t’as besoin d’un endroit où crécher pour n’importe quelle raison, n’hésite pas. De toute façon j’y passe presque plus et mes affaires ont déjà viré. »

Il est vrai que récemment ils avaient tout déménagé avec Alice – et s’étaient farci une jolie petite ombre au passage, d’ailleurs-, alors cet appartement semblait tellement vide. John avait décidé de le conserver encore quelques temps si jamais la jeune riche le virait, mais le céder à Saskia ne le dérangeait pas beaucoup. Si jamais il devait y vivre à nouveau, étant donné le peu de temps qu’il dort par jour, il y aurait toujours moyen de s’arranger avec elle pour ne presque pas se croiser. Être contractant, ça avait beaucoup de bon, et c’en était un bon exemple.

Saskia eut un sourire en coin en voyant John user de la confiture pour en sucrer son thé. Elle l'observa faire, voulut le prévenir qu'il était inutile de mettre une pleine cuillère dans le liquide mais trop tard, le mal était fait. Plus qu'à espérer qu'il ne trouve pas son breuvage trop écœurant. Au moins ne fit-il pas la grimace lors de sa première gorgée, il faut croire que cette erreur de dosage ne lui portait pas trop préjudice au goût final. Fort heureusement. Il aurait été fort dommage que le jeune homme vienne à en penser que les Russes buvaient des boissons infectes alors que le goût de son thé n'était dû qu'à une erreur de sa part. Ah ces Américains !

Elle l'écouta attentivement, comme toujours lorsqu'il parlait. Garde du corps ? Hé bien, il y avait du progrès ! Et d'une fille du quartier Nord ! Les gens de ce quartier étaient des riches, il était assez drôle de remarquer que son employeuse était l'archétype même recherché par John pour ses vols. Il faut croire qu'il s'était définitivement rangé, c'était du moins ce qu'en concluait Saskia en vue de son discours initial. Comment aurait-il pu en être autrement ?

– Au moins une riche que tu ne voleras pas ! le taquina-t-elle, j'espère que ça vaut le coup et que ton job n'est pas trop risqué... Garde du corps... C'est quelqu'un de connu pour avoir besoin de s'entourer comme ça ? C'est pas les dangers qui doivent être présents dans le quartier Nord en plus !

Elle imaginait mal une riche en quête de sensations fortes dans le quartier Sud. Mais après tout, pourquoi pas ? Elle observa John attentivement. Vrai qu'elle ne s'en était pas rendue compte jusque là mais il possédait une musculature non négligeable. Pas de quoi le faire ressembler à une armoire à glace bien évidemment, mais il était loin de l'image du gringalet. De plus, elle n'oubliait pas qu'il lui avait sauvé la mise lors de leur première rencontre, ses capacités offensives n'étaient pas à prouver avec elle.

– Comme quoi, sauver les demoiselles en détresse, ça paye toujours !

Elle avait dit cela surtout en songeant au mauvais pas dont il l'avait tirée. Peut-être John était-il de ces hommes prêtant main forte dès qu'il y avait de l'action ? Son job n'était certainement pas dû au hasard, c'était une certitude. Si cette fille l'avait engagé, c'est qu'elle aussi avait pleinement confiance en ses qualités de combattant et avait dû à son tour avoir droit à une démonstration. Sûrement pas à cause d'une pomme volée, les gens comme son employeuse ne devait pas avoir cette même question de survie et de nécessité que les gens du Sud, ça non !

Elle plongea ses yeux bruns dans ceux de John ; venait-il de lui proposer un toit sur ce ton humoristique ? Son cœur marqua un bond, se rappelant l'arrivée peut-être proche d'Avdeï. Pourrait-elle vraiment vivre avec son petit frère ici, en compagnie d'Hadence ? Déjà qu'à deux ils se marchaient dessus, alors à trois ce serait pratiquement infernal.

– Oh. Oui, pourquoi pas. Je te cache pas que ça m'arrangerai pas mal, surtout qu'il risque d'y avoir une bouche de plus à nourrir ici et je suis pas sûre que vivre à trois ici soit très possible...

Son regard se reporta sur les brouillons de lettres. Plus elle songeait à Avdeï, et plus elle se rappelait que seul un vœu la séparait de son petit frère. Un vœu de rien du tout. Une parole à prononcer et ils seraient enfin réunis. Ce serait trop beau pour être vrai. Elle était presque comique à tenter de lui écrire le moindre mot pour communiquer avec lui alors que la méthode pour le voir en chair et en os était encore plus prompt et rapide que La Poste ; appeler Bey et faire ce satané vœu.

– C'est mon petit frère, précisa-t-elle pour éviter qu'il ne croit qu'elle ne soit tombée enceinte vu sa formulation précédente, il va peut-être venir mais... C'est compliqué.

Sa voix s'était serrée comme à chaque fois qu'elle évoquait Avdeï. Bientôt trois ans qu'elle ne l'avait pas vu. C'était long, trois ans. Encore plus lorsque les deux dernières années se faisaient loin de son pays d'origine.

John sourit à l’évocation de la demoiselle en détresse. Sa relation avec Alice était bien tout, sauf cela ; certes, avant son embauche il y avait eu le petit incident sur le bateau, mais rien de concret. En salle d’entraînement, le jeune homme avait surtout servi de cobaye à sa future employeuse – et son test, plus tard, avait plus instauré le doute dans son esprit qu’autre chose. Décidemment, il était destiné à emprunter des chemins tiers et boueux pour arriver à ses objectifs, mais ceux-ci s’avéraient parfois comme de merveilleux raccourcis.

Un point était notamment remarquable. En fait, depuis qu’il était devenu le garant de la survie de mademoiselle Nightray, John ne s’était jamais réellement demandé pourquoi ce poste était à pourvoir. L’entreprise familiale était spécialisée dans le disque, et peu de personnes semblaient inclines à en vouloir à Alice – pour ainsi dire, le jeune homme se demandait s’il n’était pas le dernier à s’en être pris directement à elle, le cas étrange du bateau mis à part- ; alors, pourquoi engager quelqu’un pour veiller sur elle.

Au vu des capacités guerrières de la jeune femme, lui servir de bouclier anti-ombre et maître d’armes improvisé était une solution, mais probablement pas celle retenu par le père puant de celle-ci. Il était peut-être initié au monde étrange des contractants – ou peut-être pas. Quoiqu’il en soit, John n’avait jamais réellement questionné sa patronne sur la raison exacte de son embauche, mais il valait peut-être mieux pour le moment passer outre. Il pourrait être déçu.

« - Nightray… Dans le disque, des trucs comme ça, mais rien de bien fou. Je sais pas vraiment pourquoi je suis là, mais je ferai mon taf. C’est un peu bizarre dis comme ça, mais… J’me comprends, ha ha. »

En fait, non. Mais ce n’avait pas beaucoup d’importance, car saisir tout à fait les pensées absurdes de ce jeune homme n’était pas chose aisée.

Vaguement, trop plongé dans le décorticage complexe de ses pensées, il n’écouta que d’une oreille distraite l’engouement de la jeune femme quant à sa proposition de logement. Trois, ou quatre – elle semblait avoir dit qu’il serait plus. Un sujet à creuser peut-être, il allait probablement lui demander de répéter…

Le Nephil fut tiré de ses réflexions –sur son existence-même, et très profonde, il va de soi-, par la voix changeante de Saskia. Les derniers mots de la jeune femme s’étaient noués, comme mus par le chagrin – ou l’espoir. Quoiqu’on dise, John ne connaissait pas encore sa petite protégée pour poser un véritable diagnostique de l’affaire ; alors, la meilleure solution était peut-être de demander.
D’un autre côté, ce brusque revirement lui avait permis de saisir la phrase précédente de la jeune russe : c’était donc trois, et son frère était l’invité surprise. Fin de l’aparté déduction, il était temps d’approfondir les interrogations.

« - Ton petit frère ? Qu’est-ce que tu veux dire par là … ? »

D’autres ennuis ? Une nouvelle intervention du pseudo-héros ? Il valait mieux être fixé là-dessus avant toute chose – cela pouvait être grave. Pour montrer son regain d’intérêt, en tenter de mettre davantage en confiance la russe, John se releva de son dossier, s’approchant un peu plus d’elle et lui adressant un petit sourire, quoiqu’en gardant un air globalement sérieux. Il ne la connaissait pas assez pour rire de tout chez elle ; et voilà bien un privilège réservé à Alice. Quoique, privilège, c’était un bien grand mot – malédiction faisait tout autant l’affaire.

Nightray ? Le nom ne lui disait absolument rien. Rien d'étonnant à vrai dire, il faut croire que les gens du quartier Sud avaient d'autres préoccupations que les riches du quartier Nord. L'industrie du disque ne parlait absolument pas à Saskia et la demoiselle n'avait jamais été très portée sur toutes les chansons américaines d'aujourd'hui qu'elle entendait de temps à autre à la radio. Si c'était ce type de chanteurs populaires à la Zaz – c'est gratuit mais ça fait plaisir – que cette femme produisait, très peu pour elle. Mais bon, sait-on jamais, cette fille pouvait très bien devenir la proie d'un chanteur devenu fou à cause d'un contrat rompu ? Pas de boutade sur Zaz, il serait malvenu de cracher deux fois sur la même brailleuse. Ah mince, raté.

Elle laissa John se comprendre car si lui avait une parfaite maîtrise de soi et de compréhension de son ego, il n'en était pas de même pour Saskia, laissée sur le banc de touche suite aux paroles sibyllines de l'ancien voleur. Être employé comme garde du corps en vain. Dit comme ça, ça donnait le sentiment que John se faisait payer sans avoir même à lever le petit doigt. À croire qu'il avait trouvé le job parfait, Saskia l'envierait presque. Mais il est vrai que la Russe n'était pas taillée pour être garde du corps, c'était même tout le contraire, elle qui aurait besoin d'un protecteur tant ses capacités offensives sont limitées ! Parce que oui, de son côté, à part prendre la fuite pour courir le plus loin possible, elle ne savait pas grand chose et sa force de frappe était nulle, voire inexistante.

La question e John la surprit presque. Qu'est-ce qu'elle voulait dire par là ? Ni plus ni moins que ce qu'elle venait déjà de dire. Ce n'était pas bien compliqué, lui qui était apte à se comprendre lui-même ne visualisait pas une famille composée de Saskia en aînée et d'Avdeï en cadet ? Décidément, John était un homme bien étrange. Peut-être était-il temps d'éclaircir un peu plus la situation ?

– Mon petit frère, Avdeï, est toujours à Moscou, en Russie. Tu avoueras qu'entre Palema et Moscou, y a une sacré trotte, c'est pas facile pour les repas de famille le dimanche.

Elle avait tenté une boutade pour apaiser la situation mais même elle n'y croyait pas. Comment faire de l'humour alors que le garçon se trouvait à des milles d'elle-même ? Situation compliquée, elle pouvait l'admettre.

Les choix qui s'offraient à elle étaient peu nombreux. Elle pouvait soit opter par l'absence éternelle de son petit frère et continuer sur cette lancée. Elle savait au plus profond d'elle-même qu'elle ne tiendrait pas le coup et finirait par craquer. Payer un billet d'avion à Avdeï était là encore compliqué. Tout d'abord, elle n'avait pas une somme aussi monumentale. De plus, elle se doutait que ses parents ne laisseraient pas le garçon partir à l'improviste aux Etats-Unis. Avdeï n'était pas Saskia, nul doute que la même erreur ne se reproduirait pas deux fois chez les Kochka. Enfin, ce qui la tentait le plus mais l'effrayait tout autant, un vœu auprès de Bey. Leeroy l'avait mise en garde contre ces dangers qui rôdaient autour des contrats. Mais parfois, l'envie était plus forte que la peur. Tout cela trottait dans sa tête et se remuait de façon à donner un bien étrange cocktail.

– J'aimerais qu'il soit là auprès de moi mais tu t'en doutes, c'est compliqué... répéta-t-elle pour la seconde fois, il me manque beaucoup beaucoup... Je donnerais n'importe quoi pour qu'il soit à Palema.

Prête à donner n'importe quoi ? Non mais c'est exactement ce que recherchent ces fameux Kyu et Bey ! Mais de là à vendre son âme pour profiter de la présence de son petit frère... Oui, c'était ainsi que Saskia visualisait ce fameux contrat, semblable à un pacte avec le diable. Elle obtenait ce qu'elle souhaitait sur le moment mais bonjour les contreparties !

– Enfin je veux pas t'embêter avec mes états d'âme, je sais bien que je suis pas de la meilleure compagnie une fois le sujet abordé...

Trop d'aposiopèse dans ces dialogues, vraiment. C'en serait presque perturbant. Manquerait plus que cela devienne une habitude, ce serait vraiment moche de les utiliser à tort et à travers pour Saskia. Au moins tout cela est-il justifié jusqu'à preuve du contraire.

Effectivement, voilà bien un minuscule détail que John avait oublié : Saskia était russe. Et quand on est russe, généralement notre famille l’est aussi – et à fortiori, il en est de même pour son frère. Au moins, ceci expliquait plusieurs faits dans la vie de la jeune femme ; déjà, le fait qu’elle soit ici seule. Ils ne s’étaient que rarement – pour ainsi dire, jamais – épanchés sur leur vie privée respective, et c’est pourquoi le Nephil n’avait pas cherché à en savoir davantage sur les raisons de la présence de Saskia.

Mais maintenant que le sujet était amené, John commençait à se poser de plus en plus de questions. Comment se fait-il qu’elle se soit retrouvée à Palema sans son frère ? Un passé douloureux, un enlèvement, une expatriation ? En tout cas, elle devait avoir un sacré motif ; le trajet n’était effectivement pas des plus simples.

Quoiqu’il en soit, avant de reprendre la parole, le contractant eut besoin de réfléchir – longuement. Si elle voulait à ce point retrouver son frère, John connaissait un moyen peu… conventionnel, mais efficace. Arranger, même si c’est un grand mot, un rendez-vous avec Bey pouvait se faire ; et alors, Avdeï obtiendrait du super chaton un aller simple très rapide pour Palema.
Sauf que ce n’était pas aussi simple que cela. Certes, au début, obtenir des supers pouvoirs, voir son vœu le plus cher être réalisé et tout le bazar autour était très agréable ; mais, très vite, la réalité altérée des contractants reprenait ses droits. Le combat contre les ombres, contre les Seraphs – en bref, contre la mort : c’était ça le quotidien des Nephils. Et envoyait Saskia six pieds sous terre juste après avoir revu son frère serait cruel, trop cruel.
D’un autre côté, cacher toute la vérité à cette jeune femme serait tout autant déconvenu. Alors, John prit le parti de soupirer, mais chercha ses mots pour présenter toute cette histoire sous son jour le moins favorable à son interlocutrice.

« - Il n’y pas de souci ; on a tous nos démons. »

Et il savait très de quoi il parlait là-dessus.

« - Je connais un moyen de faire venir ton frère. Mais t’emballes pas, c’est un truc assez dangereux et qui t’offres le merveilleux plaisir de raccourcir considérablement ta durée de vie… Je ne sais pas si un plan pour revoir ton frère, puis mourir dans une guerre absurde quelques temps après te plairait véritablement. »

L’épisode avec Nylian était resté en travers de la gorge du jeune homme, en fait. Même s’il l’avait fait pour le bien de cette dernière, toutes ces élucubrations étaient devenues autant de signaux pour couper tout pont entre les deux individus ; et c’est ce qu’ils ont fait. Alors, cette fois-ci, John comptait ne pas trop en dire à Saskia pour éviter de la perdre elle aussi – moins elle en saurait, moins elle serait susceptible de faire un vœu. Du moins c’était la logique qu’il avait décidé de suivre, tout en sachant pertinemment que ce n’était en fait ni plus ni moins que de la chance.

Décidemment, parler des Seraphs et Nephils était quelque chose de bien plus abrupt qu’il l’avait imaginé ; et peut-être finirait-il bien par éviter toutes références à l’avenir. Cela lui éviterait des séparations involontaires et des décès inopinés. Tout bien réfléchi, une vie tranquille semblait bien sympathique – enfin, même s’il le pensait pour les autres, il n’appliquait pas cette idée à lui-même. En effet, bizarrement, John ne fuyait pas la mort. Il l’avait déjà frôlée assez de fois pour finir par l’accepter.

Que savait-elle de John ? Pour ainsi dire, pas grand-chose. Et l'inverse était vraie la concernant. Ces deux-là se côtoyaient occasionnellement sans jamais se parler dans la plus profonde des confidences. À croire qu'ils avaient tous deux un passé douloureux à cacher, des choix qu'ils regrettaient. Elle savait que John était un ancien voleur. Là, c'était pour ainsi dire tout ce qu'elle pouvait jurer de fiable concernant son passé. Sûr qu'avec ça, elle avait de quoi soulever des montagnes. Difficile de lui faire des reproches là-dessus sachant qu'elle ne valait pas mieux sur le sujet, elle toujours aussi secrète.

La suite l'interloqua. Elle ne s'attendait pas à ce que John embraye là-dessus, vraiment pas. Faisait-il allusion à Kyu et Bey par ce moyen de faire venir son frère tout en raccourcissant sa durée de vie suite à une guerre vaine et absurde ? C'était une jolie paraphrase pour résumer son discours, oui. Elle leva la tête en sa direction, se redressa, toute ouïe qu'elle était. Difficile d'imaginer un autre moyen que le vœu, sans quoi cette ville serait définitivement bien étonnante et pleine de ressources, elle qui la croyait de prime tranquille et bienveillante ! Cela faisait vraiment trop d'éléments liés pour que tout cela ne soit qu'une banale coïncidence.

– Oh, lâcha-t-elle enfin, je crois que je connais ce moyen…

Pouvait-elle prononcer de manière aussi ouverte le nom de Kyu, Bey, des Seraphs ou des Nephils ? D'autant plus qu'elle ignorait à quel camp appartenait John, si tant est qu'il était dans l'un d'eux. Si elle venait à parler de Bey alors que lui était Seraph, cela risquait de remettre en question ce qu'elle avait promis à Leeroy. John comptait pour elle, elle avait bien plus d'affection pour lui qu'elle n'en avait pour Leeroy. Elle n'avait aucune envie qu'il devienne son ennemi. Mais elle n'avait pas non plus envie de rejoindre une Faction sanguinaire tout juste bonne à tuer sur commande. Elle s'emballait un peu trop, il serait grand temps d'avoir une preuve, quelle qu'elle soit, de ce qu'avançait John.

– Si ce moyen implique des êtres du nom de Kyu ou Bey, alors oui, je le connais.

Elle ne risquait pas grand-chose à balancer ces deux noms. Au pire il lui demanderait des explications et sûrement le mettrait-elle dans la confidence. Au mieux, ils seraient tous deux sur la même longueur d'ondes et n'aurait pas besoin d'opter pour de longues et compliquées explications ennuyeuses. C'est que expliquer les Seraphs et Nephils et tout ce qui les entourait à de parfaits néophytes n'était pas de tout repos, elle saluait la patience qu'avait eu tour à tour Blackbird et Leeroy pour lui en parler de manières aussi complètes et compréhensives. Elle-même se demandait si elle serait capable d'expliquer le tout le moment venu, du moins si l'occasion se présentait, à un humain comme elle.

En entendant le nom des deux pseudo-dieux, le Nephil eut un petit mouvement de recul, ouvrant un peu plus les yeux. C’était à lui de parler des contracteurs – pas à la russe.
Alors, elle savait. Pourtant, John était persuadé que Saskia n’était pas contractante – qui avait pu lui parler des chats ? Poser la question pourrait être déplacé, mais il était curieux ; et apprendre de nouveaux noms était toujours enrichissant.

Enfin, avant de parler de tout cela, il devait décider ce qu’il allait révéler. Dévoiler sa nature, indiquer Bey à Saskia, presque la supplier d’éviter Kyu serait une solution… Mais si jamais elle ne faisait pas ce choix, alors le nom du jeune homme serait un peu plus connu chez les Seraphs. Et après l’affrontement contre Lenna, il avait pu découvrir ce que c’était qu’un être sanguinaire, prêt à vous tuer simplement parce que votre marque est différente de la leur. L’espace d’un instant, la sensation de la faux plantée dans son épaule jusqu’à l’os lui revint en tête, et il frémit presque.

Dévoiler sa nature était risquée, en fait. Peut-être que quelqu’un d’autre la conseillait déjà, et John n’avait pas vraiment envie de marcher sur les plates-bandes d’un autre ; surtout si celui-ci était Seraph.
Le choix de la sûreté était donc fait. Il se racla un peu la gorge, et reprit, prenant un ton neutre.

« - Alors, tu les connais… Qui t’en a parlé ? »

C’était plus sec que quelques instants auparavant, mais c’était un sujet grave. Une fois les noms connus – ou non-, John serait en mesure d’agir. Tout de même, il préférait indiquer Bey à Saskia, afin de ne jamais l’avoir comme ennemie ; comme il l’avait fait pour Nylian.
Pourtant, il se demandait si ces deux jeunes femmes se rendaient compte de la cruauté de ce monde de vœux. Si jamais une des deux étaient amenées à faire un vœu – quoique la russe semblait plus encline – à Kyu, alors leur relation avec John changerait du tout au tout. Le seul Seraph qu’il s’autorisait à côtoyer était Leeroy, et c’était bien car leur relation était particulière, et que celui-ci était Solitaire…

Ce monde était décidemment bien triste.

Quoique, une fine couche de curiosité demeurait dans l’esprit du jeune homme. Si jamais Saskia faisait le vœu d’amener Avdeï, le Nephil se demandait bien quels genre de pouvoirs elle pourrait obtenir.

Le sujet était grave et important, Saskia pouvait presque le sentir au ton que venait de prendre John, lui quelques minutes plus tôt jovial et enjoué était devenu bien sérieux. Il y avait de quoi. La demoiselle ignorait si glisser les noms de Blackbird et Leeroy était une bonne ou mauvaise idée. Après tout, si elle se dirigeait vers les Nephils, indiquer ces deux Seraphs ne lui porterait pas préjudice. Malheureusement, elle ignorait dans quel camp se situait John. En vue de sa réaction, il devait se trouver dans l'une ou l'autre des factions, ou alors il restait tout comme elle un humain bien au courant de ces choses-là, n'ayant toujours pas eu le cœur de se décider ? Difficile à croire. Le placer dans l'un ou l'autre des groupes expliquerait pas mal de choses, surtout une chose ; ses capacité de combat assez impressionnantes pour elle, pauvre petite humaine incapable d'écraser même une araignée.

– Deux Seraphs. La première m'a indiqué Kyu, et le second m'a conseillé Bey.

Là, ainsi elle était honnête tout en taisant ces fameux noms. À croire que tout n'était qu'une histoire de noms. Noms des contractants, noms des factions, noms des créatures exauçant le souhait. Tout tenait à peu de choses, juste le hasard qui décidait pour eux.

– Et toi tu me conseilles quoi, John ?

Une manière comme une autre de le questionner sur son affectation. À moins qu'il ne soit lui aussi Solitaire comme Leeroy et indique la créature ennemie de sa faction ? Ce serait vraiment trop dommage. Elle se rendait désormais compte que le choix avait une importance particulière au sein de cet autre monde, qui restait le même mais avec des avantages et des inconvénients – surtout des inconvénients.

John soupira. Un Seraph qui conseillait Bey, il en connaissait un lui aussi ; Leeroy Stone. Pour autant, balancer son nom de manière si ouverte et gratuite pourrait causer des tords à son ami – alors, il valait mieux taire ce possible concours de circonstances.

En revanche, le moment redouté était arrivé : l’heure du camp. Même si garder son clan secret était attirant, il n’avait pas envie de voir surgir un jour Saskia chez les Seraphs… Même si une idée germait dans son esprit. Si jamais elle finissait par devenir une ennemie, il pourrait en faire une traître. Leeroy en voulait à Kyu et à son camp par extension ; en faire un mentor de la russe pourrait arranger les affaires entre elle et John. Si jamais elle devient Solitaire, alors il pourrait la fréquenter sans souci.
La manipuler ne lui plaisait pas, et ce n’était pas dans son caractère ; alors il allait laisser le Seraph le faire à sa place. Finalement, il allait citer le nom qu’il voulait taire, pour le bien de Saskia. Sauf si elle devenait disciple de Bey, évidemment.
Il arbora un petit sourire, comme de celui qui s’apprêtait à donner un conseil.

« - Bey. Mais si jamais tu deviens Seraph… Je connais un type bien, Leeroy Stone. Lie-toi avec lui, il veillera sur toi. »

Là-dessus il avait tout de même un peu menti. Le Solitaire ne portait d’importance qu’à sa vie, et même celle de John n’était pas si chère à ses yeux ; alors, de celle d’une nouvelle recrue qu’il ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam, il n’en aurait que faire.
Sauf si elle décidait de rejoindre les rangs de sa rébellion secrète. Ce serait une belle raison pour Leeroy de changer un peu sa façon de voir les choses et de commencer à veiller sur d’autres gens. Sa nouvelle faction, en somme.

Certes, les pensées de John fusaient trop, et il considérait comme acquis ce qui était peu probable, mais cela serait tellement merveilleux que cela arrive : à la fois pour son ami et lui.
Pour Leeroy, car il briserait ainsi sa solitude ;  et pour John, car cela empêcherait une amie de sombrer ennemie.
Mais, il fallait que son cœur ralentisse et arrête de s’emballer : rien de cela n’arriverait, c'était bien trop compliqué.

La surprise, l’espoir, puis la déception ; dans l’ordre. John n’imaginait pas vraiment son ami assez familier avec quelqu’un pour lui donner régulièrement des cours – cela avait tout d’un investissement personnel envers un autre être, et la situation pécuniaire de la jeune femme lui imposait un bénévolat -, et cette possible proximité avait fait naître chez le Nephil toutes sortes d’espoirs quant à son idée de diriger Saskia vers le Solitaire si jamais elle penchait vers le mauvais côté du chaton.

Mais, elle semblait ne pas être dupe sur la nature correspondant tout à fait au rang du jeune homme : il n’était pas prêt à réellement veiller sur quelqu’un, à l’inverse de ce que John avait prétendu. Mentir à celle qu’il pouvait désormais qualifier d’amie – ou presque – lui pesait, mais finalement c’était pour son bien à elle. En tant que Seraph Solitaire et pacifiste, ses seuls ennemies seraient les ombres ; ce qui finalement la protégerait de tant de dangers.

« - Je sais pas… Tu me diras, il est peut-être de bons conseils, ha ha. J’te conseille Bey encore, les Nephils sont des gens très charmants. »

Il n’avait pas envie d’imposer ce choix à Saskia ; sinon, elle finirait par regretter ce qu’elle aura souhaité. La dernière fois, par son Kekkai, il avait déterminé qu’elle n’avait jamais vu le moindre Contracteur, alors, elle ne risquait rien pour le moment. Et précipiter l’entrée d’une humaine innocente dans cette guerrière violente et sanguinaire serait d’une tristesse infinie.

Mais la question suivante plongea John dans une intense réflexion. De but en blanc – et telle que la vérité est -, John n’a jamais tué personne. Pourtant ce sujet était revenu de plus en plus dans les pensées du Nephil récemment : après son combat contre Lenna, plus rien n’était pareil. Elle avait tenté de le tuer sans hésitation ; chacune de ses attaques avaient été dans un but purement létal. Et il s’en était sorti le bassin fêlé, l’épaule presque arrachée et le corps éreinté.
A l’inverse, lui ne s’était battu que pour se sauver, sans jamais tenter de blesser sérieusement la jeune femme. Une petite blessure au bras, un carreau dans l’épaule ; bref, pas de gros dégâts.

Cet affrontement l’avait souvent amené à réfléchir sur ses intentions à l’avenir : se laisserait-il faire à nouveau ? Ou alors serait-il en mesure cette fois-ci de porter atteinte à la mort de son adversaire ? C’était une question redoutable dont il portait en effroi la réponse – car il s’en doutait.

Mettant un terme à son mutisme, John ouvrit lentement la bouche et répondit.

« - Non. Mais j’ai déjà frôlé la mort plusieurs fois ; et par une Seraph dernièrement. Je n’ai pas pu me résoudre à porter atteinte à sa vie, alors j’en ai payé les conséquences… C’était pas joli à voir, ha ça non ! »

Marquant un petit arrêt, il poursuivit à contrecœur.

« - … Mais je tuerai peut-être. Tout ça m’a fait réfléchir, et il se peut que je sois amené tôt ou tard à ôter la vie de quelqu’un pour sauver celle d’un des miens, ou la mienne. J’ai horreur de cette idée, mais je crois que je n’ai pas le choix… Là-dessus, Seraphs ou Nephils, aucun ne vaut mieux que l’autre. Mais je t’avoue que j’en suis à une folle meurtrière de plus chez les Kyuphiles que les autres. »

Au moins Leeroy était doué dans son domaine, c'était indéniable. Mais sa relation avec le Solitaire n'était pas la même qu'avec John. Le Seraph était bien plus froid, tout le contraire du Nephil. Un de plus qui l'orientait vers Bey. En soit, rien d'étonnant. C'était tout dans son intérêt qu'elle vire Nephil, au moins n'auraient-ils pas à devenir ennemis. Sans oublier qu'une recrue de plus pour sa Faction, cela faisait toujours plaisir ! Mais le choix final lui appartenait. Elle savait déjà qu'elle prendrait bien assez vite sa décision. Juste, avant tout, il serait peut-être sage d'en toucher quelques mots à Howard, quitte à passer pour une folle finie ayant abusé de trop de vodka devant lui. Les préjugés avaient la vie dure, malheureusement. Il lui restait encore un peu de temps avant cette ultime étape ; la formulation de son vœu en bonne et due forme devant Bey. Ensuite, plus rien ne serait jamais pareil.

– De toute façon, je vois pas quel intérêt j'aurais à rejoindre Kyu plutôt que Bey… Leeroy m'a affirmé qu'ils étaient tous des extrémistes prêts à tuer, ça illustre bien la Seraph dont tu me parles !

Cela la chagrinait d'apprendre que John avait failli mourir. Cela ferait bientôt partie de son quotidien, difficile de l'oublier. Si John, qui semblait expérimenté, avait failli passer l'arme à gauche, autant dire que ses débuts seraient des plus chaotiques de son côté. Bien évidemment, elle avait peur. Ce n'était pas n'importe quoi ce qu'elle comptait faire. À dire vrai, cela ressemblerait presque à un suicide à retardement. L'idéal pour les dépressifs, mais elle, ce n'était pas son cas !

– J'ai pas mal l’impression que c'est « Tue ou sois tué » dans l'un ou l'autre des camps…

N'était-ce pas ce que Leeroy lui avait dit ? Depuis le début, il avait joué franc-jeu de ce côté avec elle. Mais elle n'avait rien voulu entendre, pensant qu'elle pourrait conserver ses valeurs morales et reste pacifique. Déjà que survivre face aux Ombres n'était pas une mince affaire, s'il fallait en plus rajouter les assassins de l'un ou l'autre camp, c'était tout bonnement impossible ! Elle admirait presque John, toujours en vie. Cela paraissait rare. Certes, elle ignorait depuis combien de temps il avait passé son contrat. D'ailleurs, cela pourrait toujours servir d'en apprendre un peu plus de ce côté-là, non ? Saskia, toujours aussi curieuse.

– D'ailleurs, tu as souhaité quoi de si cher pour t'engager là-dedans ?

Lui savait ce qu'elle désirait par dessus tout mais elle l'ignorait dans le sens contraire. À croire que tous aimaient bien lui extorquer des informations sur sa vie privée mais sans jamais faire de même de l'autre côté, l'exemple le plus probant était sans nul doute Leeroy.

Avec les phrases de Saskia, John avait presque envie de défendre les Seraphs. Akiro, Léonardo, Leeroy, voilà des exemples de disciples de Kyu qui n’étaient pas à jeter – quoique le dernier fût un cas très particulier dans cette affaire. Pourtant, il savait très bien qu’il n’avait pas à prendre ce parti dans la discussion en cours ; cela pourrait amener Saskia à devenir son ennemie, et ça, il n’en avait pas vraiment envie.

Néanmoins, la jeune russe semblait montrer une espèce dédain pour les deux camps – du moins, c’était ce qu’en déduisit le Nephil. Celui-ci ne voyait pas tout ceci comme réellement mortel jusqu’à ce qu’il ait rencontré Lenna, en fait. Son quotidien était d’affronter des ombres, des monstres qui envahissaient les hommes pour les inciter à commettre des crimes et autres actions néfastes ; alors, le contractant voyait ses semblables, bleus ou rouges, comme des sortes d’héros. Ils combattaient tous ensemble le mal et protéger ainsi les hommes.

Mais désormais, il est conscient de la réalité. Le monde n’est pas si beau qu’il se l’imaginait, et les deux factions sont réellement prêtes à s’entretuer au nom d’une guerre entre deux chatons aliens.
Sauf que John était et est trop redevable à Bey pour se liguer contre lui : cet entité quasi divine lui avait sauvé la vie ce soir-là. Alors même si cela devenait sanglant, contre ses anciennes croyances, il se battrait du côté des Nephils sans les trahir.

« - Je connais des gens biens, qui font ça pour détruire les Ombres et ainsi protéger les hommes… Pour d’autres, la guerre passe avant ça, et c’est bien triste. Cet affrontement ne me plaît pas, et je ne sais pas si les Nephils valent mieux que les Seraphs… Mais je me battrai pour les miens. Peu à peu, ça devient une sorte de famille, alors ça me plaît. Et j’en dois une à Bey, aussi. »

La question de Saskia tombait à pic quant à la dernière réplique du jeune homme ; mais il ne put s’empêcher de lâcher un petit rire. ‘Si cher’. Son vœu était ridicule, sa volonté de s’engager absente ; et pourtant il était là. Néanmoins, il ne tairait pas ce qu’il avait souhaité ce soir-là, aussi ridicule qu’il fut.

« - Tu vas rire, car c’est complétement con en fait. J’ai quelques soucis familiaux on va dire, et à cause de ça j’ai fini emprisonné dans une cave et tout un délire… Bey s’est pointé, j’ai cru que c’était un jouet dirigé par mes geôliers, et pour les faire marrer j’ai souhaité un truc abruti. ‘Je veux devenir un meilleur voleur’. Tu peux rire, c’est un peu naze comme histoire… Toujours que mes pouvoirs m’ont permis de m’échapper et c’est pourquoi je suis redevable au p’tit chaton. Voilà voilà, tu sais tout maintenant. »

C’était la version très raccourcie de son contrat, mais il n’avait pas envie de déballer toute son histoire pour le moment. Cela prendrait du temps, et cela pourrait ennuyer la jeune femme de voir quelqu’un se faire passer pour une victime pendant trente minutes.

Vrai que Saskia n'avait pas pensé au côté « positif » du contrat ; protéger les humains en détruisant les Ombres. Tout n'était peut-être pas si sombre que ça, finalement ? Bon, s'exposer aux Ombres signifiait s'exposer au danger, ce qui était à peu de chose près similaire au fait de se battre contre le camp adverse. Mais au moins les Ombres paraissaient-elles dépourvues de toute émotion, de toute raison. Sûrement était-ce plus simple de les détruire que de s'en prendre à un Seraph ou un Nephil. En tuer une, c'était rendre service à tous. Malheureusement, même si quelqu'un restait dans l'optique de ne se battre que contre les Ombres, viendrait toujours un jour où il faudrait vaincre un Seraph ou Nephil, au moins pour sauver sa peau, comme John.

– Alors je suppose que bientôt nous ferons partie de la même famille, toi et moi...

Parce que oui, plus que jamais, elle était motivée pour faire son vœu. Auprès de Bey, s'il vous plaît. La Russe avait du mal à se projeter dans l'avenir. Tout ce qu'elle souhaitait, c'était revoir son petit frère, rien d'autre. Elle ne songeait pas qu'une fraternité entre Nephils ou Seraphs pouvait se créer. Peut-être Leeroy lui avait-il dépeint le tout d'une manière un peu sombre finalement ? À moins que le côté famille ne soit que chez les Nephils, ce qui irait dans le sens des paroles de Leeroy ? Trop de prises de tête en cette journée d'hiver. Inutile de se torturer davantage l'esprit, elle s'en rendrait bien vite compte une fois son vœu exaucé.

Saskia écouta le récit de John quant à son vœu. En effet, c'était complètement con, elle était au moins d'accord avec le garçon sur ce point. De sacrés soucis de famille pour que John se retrouva enfermé dans une cave, il fallait appeler Pascal le grand frère de toute urgence, histoire qu'il envoie la famille de John faire un bon vieux parcours d’accrobranche à l'ancienne et que John et le reste de sa famille puissent se retrouver en face à face avec des objets de porcelaine à briser, comme d'habitude. Son vœu était encore plus curieux que désormais John avait arrêté ses activités illégales.

– Mais tu t'es retiré du vol, non ? Alors c'est un peu comme si ton vœu avait été inutile...

Oui, c'était ce qu'elle en concluait. Un vœu de gâché. Quelle tristesse. En somme, John s'était embarqué dans une guerre meurtrière pour du vent. Lui ne devait pas avoir eu toutes les informations qu'elle possédait. Comme c'était triste.

– Ça t'arrive de regretter ton vœu, parfois ?

Non parce qu'il fallait être honnête ; souhaiter devenir un meilleur voleur pour arrêter par la suite était stupide. Très stupide même. Alors non, Saskia n'essayait pas de le pousser à nouveau sur cette voie de l'illégalité mais il fallait admettre que c'était incroyablement dommage. Désormais, il risquait sa vie au quotidien pour un vœu inutile.

John alla poser sa main sur l’épaule de Saskia. Alors, elle semblait décidée à rejoindre les Nephils ; c’était une excellente nouvelle. Enfin, dans la mesure où cela était mieux que devenir Seraph aux yeux du jeune homme – car le bien fondé de devenir contractant était un autre débat, bien plus houleux.

« - Si tu as pris ta décision, alors j’en suis ravi ! »

C’était un peu procédural, mais cela signifiait tout à fait l’état de John : ravi qu’elle choisisse son camp, mais sérieux quant à la dimension de l’affaire.

La conclusion de Saskia sur le vœu de John était partagée : dire que ce vœu était toujours utile serait mentir. Alors, certes, cela lui avait bien servi dans ses premières semaines, lui octroyant des revenus mirobolants assez facilement – d’ailleurs, il avait presque l’assurance de reprendre ses mauvaises habitudes sans problèmes s’il le souhaitait ; mais il avait tourné la page. Définitivement. Ou, tant que la société voulait toujours de lui.
A l’inverse, les pouvoirs conférés par son souhait était relativement utiles ; surtout sa téléportation. De prime abord, cela semblait amusant comme pouvoir, mais si l’on fouillait davantage on pouvait découvrir la puissance éclatante de cette capacité : peu de personnes pouvait résister à une chute libre de cinquante mètres, expérimenté ou non.

Alors, regretter son choix n’était qu’à moitié justifié ; peut-être fallait-il voir dans cet acte plus qu’une simple demande imbécile. Le faire lui avait ouvert les portes d’un nouveau monde, meurtrier, sanglant – mais aussi porteur d’espoir et dédié à la protection des humains. Il y avait gagné un début de famille, et une nouvelle chance dans la vie.
Donc, non il assumait pleinement son contrat avec Bey.

« - Ça rajoute du challenge on va dire, ha ha. Mes pouvoirs sont cools, et grâce à Bey j’ai pu rebondir dans ma vie, et aider les autres : regarde, sans ce vœu, je n’aurais jamais pu rassembler l’argent pour tes faux-papiers. Sans lui, je serais mort dans une cave. Peut-être qu’il aurait pu être différent, mais je préfère pas me poser la question. Ça peut paraître un peu limité de ma part, mais j’aime pas remuer le passé… »

Oui, et non. Enfin, il aimerait bien le faire disparaître ce passé. Ou alors le tamiser jusqu’à ce qu’il n’en reste que les meilleurs souvenirs. Ou peut-être tout à la fois ; il ne savait pas.
Maintenant, sa vie était plus heureuse, et c’était déjà beaucoup.

Saskia comprenait mieux comment John avait pu réunir une telle somme pour les faux-papiers. Certes, lors de leur seconde rencontre elle savait déjà qu'il était un voleur mais elle l'imaginait voleur de bas-étage. Pas aussi bas qu'elle, même pas capable de chiper une pomme sans s'attirer tous les voyous du coin à dos ! Dans un sens, c'était un peu comme si Bey avait déjà œuvré pour elle par le biais de John. Drôle de réflexion. Si maintenant les vœux des autres allaient dans son sens, ce n'était pas plus mal. Toujours est-il que la demoiselle était curieuse de savoir en quoi consistait les mystérieux pouvoirs de John, lui qui paraissait tant les apprécier (et qui faisait partie du groupe très très fermé des Passifs inutiles, mais c'était une chose que Saskia ignorait).

– Cools dans quel genre ? Dans le genre flippant comme Leeroy et son serpent ? demanda-t-elle tout en souriant, ou différent ?

Elle savait que les pouvoirs étaient propres aux vœux de chacun. Saskia essayait de deviner de quels types de dons John avait bien pu hériter. Une capacité d’invisibilité ou de camouflage peut-être ? Le genre pratique pour dérober ce qui nous intéressait. Voir sans être vu. Il faut être honnête, Saskia n'était pas bien douée pour jouer à ce nouveau jeu qu'elle tentait d'inventer « Devine c'est quoi mon pouvoir », version détournée du légendaire « Devine ce que je vois » dont Truc et Muche étaient les créateurs.

– Quand je verrai Bey, j'hésiterai pas à le remercier pour le vœu qu'il t'a refilé vu que si j'ai bien tout saisi, c'est plus ou moins grâce à lui si j'ai une existence plus ou moins légale dans ce pays !

Elle n'y manquerait pas. N'était-il pas préférable de recevoir des remerciements plutôt que des crachats à la figure ? Il suffisait de voir Leeroy et sa haine de Kyu pour se douter que cet archétype devait exister aussi au sein des Nephils. Saskia n'était juste pas encore tombée sur ce spécimen. Ou alors Leeroy avait dit vrai et tous les Nephils n'étaient que d'adorables Bisounours entre eux, chose dont elle doutait suffisamment.

De prime abord, John hésita fortement avant de dévoiler son pouvoir – après tout, il y avait toujours le risque qu’elle se trompe de camp et puisse balancer son pouvoir au su de tous. D’un autre côté, Lenna l’avait peut-être déjà fiché… Mais c’est en apprenant que Leeroy s’était dévoilé à elle qu’il prit sa décision. Si un homme aussi paranoïaque, précautionneux, méfiant et tout un tas d’adjectifs du même sens avait consenti à montrer son serpent à Saskia, alors le Nephil pouvait faire de même.
C’était ironique de prend son ami comme modèle, mais il fallait bien avouer que celui-ci avait plus d’expérience que lui dans le monde des contractants.

Alors, John se leva et se téléporta au dos du siège de la russe, s’appuyant dessus.

« - De ce genre-là. C’est vachement amusant comme pouvoir, tu peux pas imaginer, ha ha ! »

Il le pensait véritablement. Parfois, quand une flemme d’entraînement le prenait, il s’amusait simplement à se téléporter, inventant au passage certains enchaînements complexes et loufoques ; et il était devenu un véritable génie au 1-2-3-Soleil!. Même si personne ne voulait à jouer, il fallait bien l’avouer – avec des excuses faibles sur leur âge trop avancé pour participer à des activités dites enfantines.
Et à côté de l’amusement de cette capacité, elle n’en demeurait pas moins redoutable – rares sont les personnes à pouvoir survivre à une chute de près de cinquante mètres.

En fait, il savait qu’il possédait aussi une capacité, mais plus… intime. Ou discret. Enfin, difficile à expliquer, et bien moins prestigieuse.
Alors la taire permettrait de ne pas ternir la magie de l’instant, probablement.

« - Fais gaffe à ta façon de le remercier, sinon il pourrait bien prendre ça pour un vœu… D’ailleurs, je te conseille de te répéter mille mois ce que tu comptes lui dire, une mauvaise interprétation des paroles est si vite arrivée. »

La suite logique serait d’inviter Saskia à rejoindre le monde des Nephils sur le champ, comme il l’avait fait pour Nelytsa. Pourtant, quelque chose le dissuadait de le faire : il était peut-être encore trop tôt. Elle n’avait pas encore vu de Contracteurs, et était donc insensible aux ombres ; donc, en sécurité. Repousser au maximum cet événement fatidique était la piste que préférait prendre le jeune homme, de peur que tout cela soit une erreur… D’un autre côté, cela pourrait peut-être lui donner une autre façon de voir sa vie, une sorte de nouveau départ.
Le choix était difficile.

« - Dis-moi Sas’… Est-ce que tu aimes ta vie comme elle est actuellement ? »

John disparut de la vue de Saskia. Où était-il ? Invisible ? C'est ce qu'elle crut de prime avant d'entendre la voix du jeune homme retentir derrière elle, juste derrière elle. Elle se retourna, c'était bien lui. De sa chaise, il avait atterri derrière elle en une fraction de seconde ! En moins d'un battement de paupière, il s'était téléporté dans son dos. La jeune fille était admirative face au pouvoir du garçon ! Pour un peu, elle en serait presque jalouse !

– C'est... Génial ! Tu m'étonnes que ça doit être amusant et terriblement pratique !

Son pouvoir n'était pas offensif comme le serpent de l'étudiant en biologie mais n'en restait pas moins un très bon don ! Il faut croire que la demoiselle avait tout faux concernant sa tentative de deviner le pouvoir de John ! C'était mille fois mieux que du camouflage ou n'importe quoi d'autre !

Saskia approuvait les dires de John. Elle ne s'était pas imaginée Bey aussi fourbe que cela. Ce serait vraiment trop dommage qu'elle gâche sa chance en remerciant la créature et que cette dernière interprète ses mots comme son vœu. Si tel était le cas, elle aurait tout perdu.

– Je ferai gaffe alors, t'façon c'est tout clair dans mon crâne ce que je vais lui demander, je vois pas comment ça pourrait être mal interprété !

Le retour de son petit frère, bien évidemment. Oh cela ne serait pas formulé de la sorte, la demoiselle avait encore un peu de temps avant de trouver la formulation adéquate. Elle ignorait quand Bey viendrait la visiter et si Bey fonctionnait de la même manière que Kyu, il lui suffirait de mettre en pratique les conseils de Blackbird et de juste penser très fort à la créature magique et celle-ci apparaîtrait alors sous ses yeux ébahis.

Saskia aurait presque pu rire au nez de John si la situation n'était pas aussi sérieuse en cet instant. Et lui qui l'appelait par un diminutif dont elle n'avait pas l'habitude de sa part, Howard était à la base le seul à user de ce surnom.

– Si j'aime... Ma vie ? Celle-là ? Tu crois vraiment que c'est à ça que je m'attendais quand je suis venue ici y a deux ans maintenant ? Pas vraiment, non, pas du tout même.

Mais c'était sa faute, entièrement sa faute. Elle avait un peu trop rêvé quant aux Etats-Unis, un peu trop cru pour vrais les romans de Kerouac et Ginsberg. Les années soixante étaient loin, la beat generation aussi. Les années 2000 avaient tout écrasé, laissant à peine de place pour l'adolescente qu'elle était. Elle avait réussi à faire avec, s'était plainte un nombre incalculable de fois mais avait fini par s'y habituer, à cette existence pitoyable. Désormais, elle avait une chance d'être un peu plus heureuse, de renouer avec son passé et elle n'avait pas l'intention de la laisser filer.

– Mais avec le retour d'Avdeï, ça ira mieux, c'est sûr, y a pas besoin de son pays quand on a sa famille.

Une manière comme une autre de voir les choses. La Russie lui manquait, bien évidemment, mais Avdeï lui manquait bien plus encore. Alors oui, son choix était fait si c'était ce que tentait de sous-entendre John.

Saskia partagea un certain enthousiasme quant à la téléportation de John, et cela lui arracha un petit sourire. Son pouvoir faisait toujours un effet la première fois que quelqu’un le découvrait, mais tous n’était pas emballés cette perspective : à quoi bon éviter les coups si on ne peut pas en donner ? Certes, cette capacité n’était pas foncièrement offensive, mais elle n’était pas défensive pour autant ; une sorte de mélange subtile entre les deux, servant à la fois de parade et de contrattaque. Effectivement, n’importe qui serait surpris en changeant soudainement d’environnement de combat – en passant du sol au marin, par exemple. Idée intéressante d’ailleurs, à tester un jour. Enfin, il fallait encore se battre dans une piscine ou proche…

Voilà qu’il s’était un peu trop emballé sur son précieux outil, et qu’il n’avait qu’à peine suivi les propos suivants de la jeune femme – du moins, il avait saisi qu’elle ferait attention à son vœu, c’était l’important. Et étant donné comme elle semblait l’attendre, l’erreur était peu probable – voire, impossible.


Pourtant, la réponse suivante de la jeune fille coupa John dans son élan de réponse, et le força à réfléchir davantage. La situation était plus compliquée que ce qu’il avait espéré : Saskia voulait que les choses changes, son quotidien ne lui plaisait pas. Il faut dire que c’était tout à fait compréhensible, car peu de gens pouvaient prendre plaisir à habiter au cœur de la pauvreté et de la misère – vouant leur existence à prier pour une élévation, qui n’arriverait jamais.
Sauf quand des chatons spatiaux faisaient leur apparition miraculeuse et changeaient totalement la vie d’un individu. Et c’était probablement ce qu’attendait la russe.

John soupira. Il ne voulait pas lui faire passer un contrat maintenant, il ne voulait pas lui retirer sa liberté de sitôt. Mais s’il ne le faisait pas… Il y avait un risque qu’elle se trompe de côté. Et ça, ce serait fâcheux. Très.
Mais, envisageable. Alors, il secoua un peu la tête pour se remettre les idées en place, et reprit le ton clair et sérieux.

« - Je vois… J’hésite entre te proposer d’appeler Bey dès maintenant, ou te dire d’attendre un peu. Et je crois que c’est la seconde sur laquelle je vais compter… Profite encore un peu de ta vie libre, et après fais ton vœu. Qui sait, peut-être qu’Avdeï arrivera d’ici là ? »

Non, même s’il ne savait rien de celui-ci, John savait que c’était impossible.

« - Enfin, attends encore un peu pour ça, ça vaut mieux. Parole d’un type qui doit tout à Bey. »

A l’inverse, lui n’aurait pas écouté ses propres conseils : sa vie était nulle, il faut bien l’avouer. Et il était condamné à un exode permanent, une fuite sans relâche des forces de l’ordre ; alors qu’elle, elle avait encore un certain champ d’action devant elle. Non, définitivement, il fallait qu’elle reste encore un peu à l’écart de tout cela – même si ce n’était qu’une histoire de jour.

Une fois qu’ils se reverraient, il serait alors peut-être temps de reconsidérer tout cela.

Dans la tête de Saskia, c'était tout clair dans son crâne ; elle préférait attendre. Avant tout, elle souhaitait mettre Howard au courant de ce qu'elle s'apprêtait à faire. Elle avait eu pour habitude de consulter le blondinet dès qu'elle était sur le point de prendre une décision importante, faire un pacte avec un diable du nom de Bey lui paraissait correspondre à une décision importante. Elle espérait qu'il ne la découragerait pas, maintenant qu'elle était toute pressée de revoir Avdeï. Elle savait que ce n'était plus qu'une question de temps, un temps qui risquait de lui paraître désespérément long. Elle avait passé ses dernières années à attendre, elle n'était plus à une semaine près. Même si elle sentait que ces derniers jours lui remueraient la poitrine et la transperceraient de part en part, elle tiendrait le temps de pouvoir se confier à Howard.

– J'avais l'intention d'attendre t'façon… Si j'ai bien tout saisi, à peine je ferai mon vœu que ma vie sera plus jamais comme avant… Les Ombres, la guerre contre les Seraphs, c'est pas le genre de truc qui donne envie de se précipiter…

Non, c'était la bête noire du contrat. Elle ne pouvait pas tout avoir, à la fois Avdeï, des pouvoirs, une arme et la paix. Il fallait bien une contrepartie, elle espérait juste ne pas faire le mauvais choix. Sitôt son contrat passé, sa vie changerait, et pas seulement suite à l'arrivée d'Avdeï. Sa vie deviendrait dangereuse, elle en avait pleinement conscience.

– En tout cas, c'est gentil à toi d'avoir voulu me parler de Bey, John.

Certes, la Russe était motivée avant que John n'ouvre la bouche. Du moins était-elle au courant de tout. Mais l'ancien voleur avait amorcé la discussion sur les contracteurs alors qu'elle n'avait rien demandé et qu'il aurait pu se taire. Elle voyait cela comme une preuve supplémentaire de sa gentillesse. Il avait été honnête avec elle sur toute la ligne, n'avait pas souhaité omettre le danger que supposait cette décision. Pour un peu, elle serait prête à le considérer comme un ami, un véritable ami, bien qu'ils ne se connaissaient pas depuis longtemps et ne cessaient de s’entrecroiser d'un jour à l'autre.

Saskia avisa le verre vide de John. Elle ignorait ce qu'il avait pensé de la mixture accompagné de confiture de cerises. Les Russes et leurs habitudes, vraiment ! Peut-être était-il temps de redescendre vers des sujets plus terre à terre, moins oppressants ?

– Tu reveux du thé ? Ou autre chose ?

Tout le monde ne possédait pas un goût certain pour le thé. Si Saskia pouvait en boire des litres, du moins affectionnait-elle cette boisson, notamment lorsqu'elle se retrouvait plongée dans des révisions diverses pour préparer ses cours particuliers en compagnie de Leeroy, ce n'était pas le cas de tout le monde.

John était soulagé : elle avait décidé de repousser à plus tard son contrat, pour profiter encore de la relative tranquillité que lui laissait sa vie actuelle. Enfin, elle n’avait pas renoncé pour autant – bien qu’il ne la connaisse pas très bien, le jeune homme était persuadé qu’elle souhaiterait littéralement que son frère vienne tôt ou tard. Et ce jour venu, il sera présent pour accompagner la russe dans ce nouveau monde. Du moins, c’était ce qu’il prévoyait de faire.

« - Bon choix. Lorsque tu te sentiras prête – ou jamais aussi, Avdeï pourrait bien surgir un jour ou l’autre -, je pourrai t’aider à mieux comprendre tout cela. »

Cela avait été solennel, mais en dire davantage serait inutile. D’ailleurs, John se demandait bien la politique de sa faction face à des cas comme celui-ci : les inciter fortement à faire immédiatement leur vœu, ou plutôt les laisser attendre le bon moment, au risque qu’ils deviennent Seraphs ? Une question qu’il ne poserait sans doute jamais, craignant que la réponse ne soit pas celle qu’il aimerait. Non, évidemment que les Nephils n’avaient pas tout à fait la même philosophie d’approche que lui quant à ça – surtout quand la personne se trouve être une amie, ou presque, du jeune homme.

« - C’est normal, il vaut mieux que tu sois au courant de tout que tu plonges tête la première dans l’affaire… C’est un coup à regretter. »

Il pensait fortement à Leeroy, l’étudiant qui aurait probablement été un merveilleux Seraph si jamais il en avait su davantage avant de passer son contrat. Triste histoire.

Enfin, Saskia semblait vouloir détourner la discussion, de redescendre à des blablas plus… humains. John réfléchit un peu à la situation, puis se décida, à contrecœur.

« - Non merci, je vais y aller je pense… A force de rester ici, on pourrait attirer Bey – ou pire, une ombre. Mais merci encore pour ton accueil, c’était sympa ! Je passerai te chercher dans quelques semaines pour l’appart’, si ça te dit toujours ? »

Voilà un autre détail qui avait failli lui sortir de la tête : il avait décidé de laisser la jeune femme loger dans son miteux domicile. Quoique, plutôt agréable au final, si on n’y passait pas toutes ses journées – et avec les études qu’elle avait entreprises, cela ne devrait pas être le cas.

John se dirigea face à son interlocutrice, afin de ne plus trop tarder à lui faire son au revoir. Le quartier Sud grouillait d’ombres en tous genre, et c’était une chance folle qu’il avait de ne pas en avoir aperçu l’éponyme d’une depuis le début de la discussion… Et malheureusement, cela ne devrait plus vraiment tarder ; alors autant s’en aller avant.

Non Avdeï n'allait pas surgir du jour au lendemain, débarquer à Palema sans aucune raison valable alors qu'il avait sa vie à Moscou et qu'il ignorait que sa grande sœur se terrait ici. Non, le seul moyen de réaliser ce miracle serait grâce à l'aide de Bey, Saskia avait fini par enfin le comprendre. Les miracles existaient mais exigeaient une contre-partie en échange.

– Je savais pas que la présence des Nephils pouvait attirer Bey ou des Ombres, désolée si je t'ai fait prendre un quelconque risque...

Il y avait encore plein de choses qu'elle ignorait. Mais chaque chose en son temps. Elle en savait déjà plus que nombre d'humains comme elle. Elle se considérait presque déjà comme une Nephil. Après tout, elle connaissait l'un d'eux, connaissait les Ombres, connaissait les Seraphs... Oui, elle était une presque Nephil. Cette pensée la réjouit. Sans oublier qu'elle ne serait pas seule dans cette aventure, John serait là pour l'épauler.

L'appartement lui était presque sorti de la tête avec leur discussion précédente. Mais si elle virait Nephil et ramenait Avdeï auprès d'elle, il était indéniable que l'appartement d'Hadence serait trop petit pour trois. Elle ignorait à quel point l''ancien appartement de John était grand mais cela ne pourrait être pire qu'ici. Mieux valait vivre à deux qu'à trois. Au moins serait-elle tranquille avec son frère et éviterait-elle de devoir mentir à Hadence quotidiennement concernant son changement de Nature. La Russe ignorait s'il y avait un moyen pour qu'un jour ou l'autre, on se rende compte qu'elle n'avait plus rien d'humain mais elle espérait que non.

– Bien sûr que ça me dit toujours ! Tu l'as bien vu ici, on se marcherait presque dessus... En tout cas, c'est très gentil à toi, ce que tu fais là.

Elle n'allait pas le remercier encore une fois, non, elle l'avait assez fait précédemment. Mais le sens de sa phrase revenait au même après tout. Elle se leva pour mieux raccompagner John à l'entrée. Ce n'était pas comme s'il risquait de se perdre vu les quelques mètres qu'il fallait faire mais c'était avant tout pour la forme.

– Evite de te perdre pour rentrer chez toi, par contre ! lui dit-elle avec un sourire, ça serait moche pour un voleur.

Ancien voleur, la nuance était là. Ancien voleur qui savait se téléporter. D'ailleurs, maintenant qu'elle y pensait, ne serait-ce pas plus simple d'user de son pouvoir pour qu'il puisse rentrer chez lui plutôt que de marcher ? Elle se doutait qu'il ne pouvait pas user de son don en public mais là ce n'était pas pareil ; elle était au courant.

– Et si tu veux faire ton truc de t'à l'heure pour te téléporter chez toi, te gêne pas !

Si Saskia possédait un pouvoir similaire, nul doute qu'elle ne se serait pas gênée, elle. Mais la décision appartenait à John après tout. La porte était encore fermée, à voir quel moyen il préférerait user pour repartir, conventionnel ou non.

Le talent inné pour la communication de John venait encore de frapper : Saskia avait mal compris ses propos, et c’était logique étant donné la façon dont il les avait tournés. A ce qu’il sache les Nephils n’étaient pas des aimants à chaton ou à ombres, mais il avait préféré raccourcir ses explications afin de … Eh bien, faire plus court.

« - Non non, c’est pas ça, ha ha. Il y a des ombres partout, mais seuls les contractants peuvent les voir… Alors il y a pas mal de chance que j’en croise une tôt ou tard par là. Mais les ombres très puissantes sont pas si fréquentes, j’ai pas vraiment couru de danger, t’inquiètes pas. Quant à Bey, j’imagine qu’à force de parler de lui il va finir par montrer sa queue, voilà tout. »

Il avait été un peu présomptueux vis-à-vis de son niveau, mais la jeune femme ne pouvait pas infirmer ses propos après tout – et il valait mieux qu’elle se l’imagine puissant que l’inverse. Ou non… Sujet à controverse.

Il sourit quand elle le remercia, et un peu plus quand tenta un petit trait d’humour ; mais un fou rire le prit au moment de l’idée pour rentrer chez lui. Se téléporter d’ici, au quartier Nord ? Ce serait démentiel, une vitesse de déplacement sans précédent… Pouvoir sauter sans voir l’endroit, simplement avec sa pensée – mieux encore, ne plus avoir de limite de portée.

Décidemment, Saskia ne connaissait rien du monde des contractants et l’étrange équilibrage de leurs pouvoirs, comme si une force surnaturelle – probablement Kyu, ou Bey – ne souhaitait pas ses petits soldats soient trop forts. Et des limitations, la téléportation de John en avait : pas à moins d’un mètre, de la fatigue qui croissait de façon gigantesque, pas plus d’une quarantaine de mètres… Assez pour que sa capacité soit puissante, sans l’être trop non plus ; sauf une technique qui était passé entre les mailles du filet parfait, et qui pouvait lui assurer une victoire contre des adversaires bien plus puissants que lui.

Mine de rien, cela fait beaucoup d’éloges de ce pouvoir, qui n’est pas si exceptionnel que le narrateur le laisse paraître – un peu de mégalomanie ?

« - Ça marche pas tout à fait comme ça, y a quelques conditions on va dire… Mais j’aimerais bien ! »

Avant de sortir, il adressa un dernier regard souriant à Saskia, et ouvrit la porte.

« - Allé, à la prochaine Sas’ ! »

Saskia avait déjà cru comprendre que seuls les contractants pouvaient voir les Ombres, Leeroy le lui avait déjà dit. Elle ignorait toujours ce qui les attirait et qui les créait mais plus tard, elle aurait le temps pour assouvir sa soif e savoir. Pour Saskia, la notion de puissance était vague. Pour elle, rien que les griffes aiguisées de ces créatures la terrifiaient à ses yeux, c'était suffisamment puissant pour tuer ou du moins blesser. Existait-il une hiérarchie chez les Ombres tout comme il en existait une du côté Seraphs et Nephils ? Mieux valait ne pas y penser.

Saskia était un peu déçue que le pouvoir de John ne puisse pas le porter jusqu'à chez lui. Tout don était restreint, c'était bien dommage. Elle ignorait les limites de celui de John mais aux yeux de la Russe, cela n'en restait pas moins un talent incroyable ! Elle espérait avoir quelque chose d'aussi sympathique mais elle n'y comptait pas trop ; Leeroy, là encore, lui avait clairement expliqué que le pouvoir allait de pair avec le vœu.  Elle n'aurait la révélation qu'une fois le contrat passé avec Bey, pas avant.

– Tant pis pour la sortie d'artiste alors ! Marcher, c'est sympa aussi ! Rentre bien !

Plus fatiguant mais moins fantastique. Il fallait savoir laisser la magie de côté pour se recentrer sur son humanité. La porte s'ouvrit, avalant John et ses dernières paroles d'au revoir. À peine disparut-il qu'elle avait hâte de le revoir. Peut-être serait-il là lorsqu'elle ferait son vœu. Elle pourrait lui présenter Avdeï et prendre ses marques dans ce nouvel appartement. Elle ferma la porte et se retourna face à l'appartement misérable d'Hadence. Vraiment, elle commençait à avoir hâte que sa nouvelle vie commence.