Finalement, John avait réussi à se débarrasser du molosse, prétextant l’arrivée d’un type qui lui en voulait. Ils avaient assez parlé ensemble pour que le type pense que John ferait l’affaire, et que ce dernier en sache assez pour améliorer ses plans ; il était donc temps de continuer la mission du soir.
En suivant le message de Nylian, John réussit à trouver le chemin jusqu’à la résidence du sale type, puis ouvrit la porte sans encombre. Il y retrouva la jeune femme, juste à côté de son petit ami d’un soir, une batte posée au sol. Le voleur contempla le spectacle, un peu déconcerté face à l’imprévu, mais en conclut assez rapidement que si elle l’avait frappé, ce n’était pas par pur plaisir. Enfin, si, mais pour autre chose aussi probablement.
Quoiqu’il en soit, à peine avait-il refermé la porte derrière lui que Nylian commença à lui poser une sorte d’ultimatum sur le gorille du bar, bien décidée à lui faire cracher le morceau. Il rit, réalisant qu’il n’avait pas vraiment expliqué son enfance à cette demoiselle, et qu’elle imaginait peut-être de sales affaires avec ce géant.

« - Pas la peine d’en venir là, c’est un mec qui m’a tabassé et laissé pour mort y a neuf ans. C’est une longue histoire, je te raconterai ça plus tard… L’important c’est qu’il m’a filé des infos sur mon père, et que ça m’arrange. J’ai un compte à régler avec ce salopard. »

Espérant avoir satisfait la curiosité de la demoiselle, il s’avança, pointa du doigt la batte et regardant d’un air léger sa camarade.

« - T’as fait fort quand même, il a été trop loin ? Et tu sors ça d’où, ça m’avait pas l’air d’être un grand amateur de base-ball. »

Écoutant les réponses de sa collègue, John scruta la pièce par son regard. Même si l’idée des mots de passe était très tentante, John n’était pas quelqu’un de très fort en informatique, et il allait sûrement laisser cette tâche à Nylian, si elle y consentait. De son côté, il allait se contenter d’embarquer quelques objets de valeurs et tenter de trouver des documents papiers compromettants ; ce qui, étant donné le sujet, allait être compliqué. John n’était pas dupe, et il se doutait bien que les jeunes pourris usaient de la technologie pour tout, et qu’il allait devoir se mettre à jour à ce niveau. Peut-être qu’il allait demander à Nylian de lui montrer comment faire, qui sait.

Enfin, la pièce était décorée de diverses photos représentant Thomas dans des pays pauvres, entourés d’autochtones souriant, mais aussi à côté de personnalités influentes, comme si tous ces bouts de papiers étaient des trophées. Le jeune méprisait de plus en plus ce Kayne, et en ouvrant un tiroir il tomba sur une boîte de cigares cubains, presque plein. Ils semblaient coûter cher, et donc il les fourra dans un sac en plastique qu’il avait sorti d’une poubelle sur la route. En continuant sa fouille, il ramassa quelques autres objets de valeurs : montre en argent, collier en or, quelques bagues un peu trop opulentes et emporta au passage une écharpe de soie. Cela faisait déjà un beau paquet, de quoi aider un bon nombre de gens ; désormais il était temps de s’occuper du côté juridique de l’affaire.

John soupira, rassuré que Nylian semble ne pas chercher à en savoir d’avantage sur le molosse. Pas qu’il ne veuille rien lui dire, mais cela restait tout de même une partie assez délicate de sa vie – et un épisode non sans conséquence-, alors il préférait parler de cela dans un milieu plus… intime. Il avait tout révélé à Leeroy dans un bar, et ce contre son gré ; alors cette fois-ci il chercherait un lieu où il serait plus à l’aise. Ce n’était jamais agréable de révéler la vérité sur son passé.
Quant à la batte, même si elle valait quelques dollars selon sa collègue, il décida de ne pas l’embarquer. Ça ferait un bon souvenir pour ce cher Kayne ; même, ce serait probablement le seul souvenir qu’il aura.

L’idée d’utiliser la carte pour faire des dons était plaisante. Un quelconque autre usage leur aurait sûrement porté préjudice, et cette solution servait à aider les gens ; c’était donc la bonne.

« - Hm, je te laisse faire tout ce qui est informatique, j’ai vraiment aucun talent là-dedans… »

Il s’en voulait un peu de laisser Nylian faire autant de chose, alors qu’elle n’en était finalement qu’à sa première fois. En fait, la plus coupable dans l’affaire était elle, et il avait du mal à l’accepter ; il n’avait pas imaginé inculper autant sa camarade dès la première affaire. Il ne lui restait plus qu’à prier que ce fameux médicament fonctionne réellement. Sinon, ces deux-là finiraient mal…

Son tour de la pièce fait, il s’approcha de la jeune femme qui était en train de sortir un dossier du bureau. Passant sa tête par-dessus son épaule, il comprit à peu près de quoi il s’agissait : ce n’était pas la première fois qu’il cherchait à piéger les gens, et il avait déjà vu des livres de compte par le passé. Conscient que Nylian en faisait déjà trop, il prit sur lui cette partie, le ramassant avant qu’elle ne puisse le ranger ou l’éplucher.

« - Je m’occupe de ça. A ton avis, il nous reste combien de temps avant que la bête se réveille ? »

Et aussitôt avait-il fini qu’il s’approcha d’un mur, s’appuyant dessus et ouvrant le livret. Il veilla à ne rien en faire tomber et commença à le lire. Il était loin d’être un expert-comptable ou même d’être doué en calcul mental, alors repérer des incohérences serait compliqué. Il aurait besoin de temps, de beaucoup de temps, probablement plus que ce qu’il pourrait avoir ce soir. Il fallait trouver une solution de contourner cela, sans pour autant emporter le cahier ; ce serait trop suspect.

« - L’appareil photo de mon téléphone est vraiment naze, y a moyen que je prenne en photo les pages du cahier avec le tien ? Dès qu’on en sera sorti on trouvera un moyen de me refiler tout ça tout en vidant bien ton portable. »

Donc il lui fallait un nouveau téléphone. Cela faisait des années qu’il vivait en marge de la société de consommation, n’achetant un téléphone que s’il en avait l’urgence ; mais il devait se rendre à l’évidence, un smartphone était réellement utile dans ses activités. Le prix de l’affaire le fit tiquer, mais après tout il trouverait toujours un moyen de se faire assez d’argent pour le payer, quitte à augmenter son nombre de vols.

« - Merci. Donc trois ou quatre heures… Ça devrait être largement suffisant, d’ordinaire je passe beaucoup moins de temps chez les gens. »

John attrapa le téléphone déverrouillé de sa collègue, et étala le cahier sur le bureau. Au bas mot, il lui faudrait bien une trentaine de minutes pour finir son forfait ; pourtant, il n’était pas dupe. Nylian avait probablement raison quant à la falsification de ces quelques papiers, mais espérer ne serait pas de trop. Il s’était déjà fait une somme conséquente pour le vol, et tout ce que sa camarade comptait prendre en plus ne serait que du bonus pour elle : il voulait punir le riche, mais trop prendre amènerait à augmenter de manière significative la sécurité du Nord, qui avait déjà été améliorée à cause de certains de ses exploits. Maintenant, l’heure était à incriminer le pourri, et il lui fallait trouver de quelle manière le faire.

Il tournait les pages sans vraiment prendre le temps de les lire, les prenant en photo mécaniquement, perdu dans ses pensées. Il se demandait si elle allait tenir la culpabilité de l’acte, si elle comptait continuer ou simplement se contenter d’un seul vol, voire seulement quelque un, pour s’enrichir. Nylian ne semblait pas faire cela uniquement pour l’argent, en tout cas pour le moment ; ainsi John était rassuré. Il ne voulait pas faire d’elle une femme avide et vénale… Le but était d’aider les gens et non pas augmenter sa richesse personnelle, et finalement il ne faisait qu’améliorer la condition de vie de la jeune femme en l’invitant à travailler avec lui. Mais si jamais elle commençait à être trop intéressée par le profit, commençant à sélectionner ses cibles sur le compte en banque et non pas les actes, alors John se séparerait d’elle. Et ça, il espérait que cela n’arrivait pas – c’était agréable de ne plus être seul.

Son regard se remplit soudainement, quand ses yeux vides décryptèrent un nom presque maudit. Georges Brun. Le père de John faisait partie de ce carnet, et celui-ci venait de revêtir une importance bien plus grande en un instant. Arrêtant sa petite affaire quelques temps, il commença à fouiller à la recherche de plus en amples informations sur cette présence. De fils en aiguille, il comprit que son père était à Thomas Kayne par plus qu’un simple versement, mais qu’il était en fait le second actionnaire de cette entreprise, après l’entrepreneur évidemment.

La famille Brun était riche et possédait plusieurs entreprises à travers le monde, sans pour autant qu’une seule ne soit globalement connue comme prédominante dans son milieu. En quelques sortes, Georges avait un rayon très étendu pour ses méfaits, quoiqu’en ne pouvant pas réaliser de maux absolus, limité par l'influence de ses industries. John avait découvert pendant ses recherches antérieures que son père possédait une grande partie d’une entreprise de pharmacie, mais il n’avait pas pu faire de lien entre Kayne et lui ; il faut dire qu’officiellement, ce mystérieux actionnaire était présenté en réalité comme un ensemble de beaucoup d’indépendants ayant tous acheté une part de cette affaire. Évidemment, tous ces indépendants étaient liés entre eux comme étant des membres éminents des différentes filiales Brun, mais John n’avait pas réussi à le réaliser avant ce soir. Ce n’était pas une découverte extraordinaire, mais cela renforcé l’idée selon laquelle Thomas Kayne était un pourri, et encore plus celle autour de Georges. Peut-être même que c’était le père Brun qui avait emmené le jeune ambitieux dans ce monde illégal.

Il en parlerait à Nylian le moment venu, mais pour l’instant, il se décida à reprendre ses photos en chaîne ; après avoir bien sûr noté toutes les informations sur Georges qu’il avait pu découvrir pendant ce petit aparté.

La suite des photos avait été sans encombre, sans remarque. Une fois la mémoire du portable bien remplie par ces données inutiles pour la plupart, il ferma enfin le cahier et alla le remettre à sa place, dans un tiroir du bureau. Il s’étira un peu, baillant étant donné l’heure et passa à nouveau un regard dans la pièce qui l’environnait. Thomas ne se réveillait toujours pas, ronflant désormais comme un camionneur. C’est bien. Tout se passe selon le plan pour le moment, il faut que ça continue… Ce médicament est bien pratique, va falloir que je vois avec Nylian comment s’en procurer plus. Quoiqu’avant elle voudra sûrement en savoir plus sur le gorille de tout à l’heure… Bah, ça vaut le coup.
La pièce avait déjà été fouillée, le gros des choses intéressantes était entre les mains du duo. Nylian semblait vouloir dépouiller Thomas, alors John n’avait plus vraiment de raison de se limiter dans son vol ; cela allait peut-être rendre ses futurs activités plus difficiles, mais il se voyait mal ordonner à sa comparse de tout reposer et de partir le sac bien allégé. Non, ce serait plus simple d’obtenir d’elle des compliments que de la voir faire cela, donc le voleur se résigna à embarquer plus. De toute manière, cet argent servirait à aider des gens dans le besoin, donc leur apporter encore plus de liquide ne serait pas un mal.
Alors qu’il commençait à rouvrir des tiroirs rapidement refermés auparavant, Nylian débarqua dans le salon.

« Rodger t'en es où ? »

John tourna la tête vers la jeune femme, remarquant d’abord son sac bien rempli : elle avait dû faire quelques trouvailles intéressantes là-bas. Il s’avança vers la jeune femme, lui tendant son téléphone.

« - 5 sur 5, à vous ? Bref, j’te rends ton tel’, j’ai eu pas mal de choses intéressantes. »

Il marqua un arrêt, car ce serait trop long d’expliquer tout ce qu’il avait appris sur son père, puis reprit :

« - On a déjà pas mal, donc à toi de voir : tu veux t’arrêter là, ou tu veux encore plus piller ce salopard ? Je te laisse le choix, d’habitude je m’en tire avec beaucoup moins que ça… J’oserais presque dire que t’es efficace, ha ha ! »

En fait, il pouvait même dire qu’elle l’était, mais c’était trop tôt pour la féliciter. Déjà, il devait finir ce qu’ils avaient à faire, s’enfuir, compter le butin, se le partager et enfin peut-être il lui parlerait de son bon travail. Il ne fallait pas qu’elle soit trop en confiance d’ici là, un élément imprévu arrive si rapidement… Et John en savait quelque chose.

Laissant Nylian sortir la première, il refit un tour rapide de la maison pour ranger certains placards ou tiroirs encore ouverts, afin que Thomas ne pense pas à déclarer tout ce qu’il avait perdu. En entrant dans la chambre, il remarqua un mince filet de poudre sur le sol, et comprenant ce que cela pouvait être, il se retint d’éclater de rire. Elle avait eu une bonne idée, il fallait l’avouer ; il prit la peine d’éteindre la lumière et de fermer la porte cachant la batte sous le lit. Retournant dans le salon, il remarqua l’écran de l’ordinateur encore allumé et ne comprit pas vraiment ce qu’il en retournait ; après tout il ne parlait pas vraiment la langue de l’informatique.
Une fois sa petite inspection finie, il referma la porte prenant la peine de bien laisser les clés dessus, puis, rejoint sa comparse à l’extérieur, qui avait déjà avancé sans lui. Il la rattrapa rapidement, l’accompagnant jusqu’à chez elle pour s’occuper du butin. Il comptait lui laisser une bonne part pour qu’elle puisse bien faire son treizième mois que son travail ne lui offrait probablement pas – ce soir avait été très fructueux pour la bonne cause. Il espérait que Thomas ne fasse pas de manipulations pour récupérer tout l’argent versé. D’ailleurs, il se demandait si finalement cela n’aurait pas été plus judicieux de mettre ces bonnes actions au nom de Kayne : il n’aurait pas osé salir son image publique en retirant cet argent. Enfin, il n’y avait pas eu que cela de fait, et même si c’était annulé la recette avait été très bonne, John avait beaucoup de choses à revendre pour payer vêtements et nourriture aux mendiants du quartier Sud.

Nylian était efficace, et cette première petite entreprise l’avait convaincu de retenter sa chance avec elle, visant plus gros et plus compliqué la prochaine fois. Sauf que d’ici là, elle allait devoir patienter un peu, il avait son père à visiter avant. Et il ne savait pas comment cette petite entrevue allait se terminer…. Sa mort ? Celle de son père ? Des preuves récupérées ? Un emprisonnement ? Tant de solutions possibles, et aucune ne s’imposait aux yeux de John. Finalement, tout ce qui lui restait, c’était d’espérer sans sortir en vie, et intact.


Une fois le partage fini, retournant cette fois chez lui. Il attrapa son téléphone et se décida à envoyer un message à la jeune femme. Ce serait probablement le dernier qu’il allait envoyer avant un certain temps, du moins jusqu’à ce qu’il finisse sa mission paternelle.

J’ai un truc important à faire, je vais disparaître quelques jours. A bientôt, t’étais pas trop mauvaise ce soir !